La pêche et l'environnement

Lorsqu'elle est mal gérée, la pêche commerciale peut causer des dommages considérables à l'écosystème marin. C'est ce qui s'est produit durant les années 1990 à Terre-Neuve-et-Labrador, lorsque des décennies de surpêche ont causé l'effondrement des stocks de morue du Nord et entraîné un moratoire pour cette industrie vieille d'un demi-millénaire. L'énormité des pertes écologiques et économiques allait démontrer l'urgence de modifier les politiques et les pratiques liées à la pêche afin d'assurer la viabilité de l'industrie et de protéger la biodiversité marine.

Au nombre des perturbateurs des écosystèmes océaniques, outre la surpêche, il faut mentionner les chaluts et les autres engins de pêche qui détruisent l'habitat sous-marin et capturent d'énormes quantités de poissons juvéniles et d'espèces non visées; en outre, les usines de transformation et les bateaux de pêche rejettent des gaz à effet de serre et d'autres polluants dans l'environnement.

Pêche durable et surexploitation

Les populations de poissons, de crustacés et de mollusques sont renouvelables, mais pas inépuisables. Lorsque l'industrie retire de l'océan plus de poissons qu'il ne peut s'en reproduire, les stocks ne peuvent que diminuer, voire s'effondrer. Une pêche durable récolte des poissons sans épuiser les populations ou menacer l'écosystème, qui inclut tant les créatures marines que leur habitat. Une pêche vraiment durable peut protéger l'environnement et fournir indéfiniment aux humains des emplois, de la nourriture et des recettes fiscales.

Pourtant, la surpêche est un problème persistant et dévastateur dans plusieurs régions du monde. On lui attribue essentiellement l'extinction commerciale de la morue du Nord dans les années 1990; elle est aussi responsable de l'épuisement de nombreux autres stocks, notamment de harengs et de thons, dans les océans Atlantique et Pacifique. Certains chercheurs estiment que la biomasse mondiale de la morue, du thon et des autres grands prédateurs a diminué de 90 p. 100 depuis l'industrialisation de la pêche dans les années 1950.

De tous les facteurs qui ont contribué à la surpêche des stocks, le plus important aura été la rapidité des progrès techniques après la Seconde Guerre mondiale. Des filets de plus en plus efficaces ont gobé de plus en plus de poissons, alors que les progrès du sonar, du radar et d'autres détecteurs de poisson ont aidé à localiser et à suivre aisément les bancs de poissons. En 1954, le premier chalutier-usine congélateur est apparu sur les Grands Bancs, suivi de centaines d'autres dans les années subséquentes. Plus gros et plus puissants, ces chalutiers-usines peuvent rester en mer pendant des mois à la fois. Durant les années 1970, les technologies halieutiques étaient devenues si efficaces que les taux de capture commerciale de la morue sur les Bancs sont demeurés élevés, alors même que les stocks s'affaissaient à des niveaux extrêmement bas. Cette situation s'est prolongée jusqu'à ce que le gouvernement fédéral impose, en 1992, un moratoire sur la pêche de la morue.

Cette surpêche a aussi été favorisée par une mauvaise compréhension des populations de poissons et des écosystèmes marins. Au fil des années menant au moratoire, les chercheurs canadiens du secteur de la pêche ont régulièrement surestimé la taille des stocks de morue, amenant la fixation de contingents trop élevés par le gouvernement fédéral. Cette erreur émanait de la pratique d'estimer la taille des stocks sur la base des rapports de captures de la flotte hauturière commerciale canadienne; or, un chalutier moderne peut ramener des prises considérables, peu importe la taille de la population, masquant ainsi la chute dramatique des stocks de morue. Ignorant les cris d'alarme des pêcheurs côtiers, qui voyaient que la morue se faisait rare dans les eaux côtières, les chercheurs ont généralement choisi de se fier aux rapports de l'industrie de la pêche hauturière.

Engins de pêche

Bien que la surpêche soit le principal problème associé à la pêche commerciale, elle n'est pas le seul. Certains types d'engins peuvent causer de graves dommages en détruisant l'habitat et en tuant de grandes quantités de poissons trop jeunes et d'espèces non commerciales. La pêche hauturière commerciale utilise aussi des chaluts de fond pour récolter plusieurs espèces marines, surtout des poissons de fond et des crevettes. En remorquant leurs lourds filets et panneaux de chalut sur le fond marin, ces chalutiers endommagent un habitat important, détruisent toutes sortes d'organismes de fond, comme les coraux et les éponges, et laissent en suspension dans l'eau divers sédiments, substances organiques et autres particules qui affectent la santé de l'ensemble de l'écosystème marin.

Le chalutage par le fond a été pratiqué dans les Grands Bancs durant l'essentiel du 20e siècle, mais s'est intensifié après l'adoption des grands chalutiers-usines congélateurs dans les années 1950 et 1960. En l'an 1980, des chalutiers draguaient quelque 390 000 km2 (38 p. 100) du plateau continental de l'Atlantique. Après le moratoire, la pêche au chalut de la morue et des poissons de fond s'est reportée sur la crevette et le flétan du Groenland (aussi appelé turbot). En l'an 2000, la zone du plateau continental sujette au chalutage avait été réduite de presque la moitié, à 20 p. 100.

Les filets peuvent aussi ramener des prises accidentelles, espèces capturées dans des filets tendus pour d'autres espèces. Par exemple, des morues sont capturées durant la pêche à l'aiglefin, ou des crabes des neiges durant la pêche au flétan du Groenland. Abondantes, ces prises accidentelles risquent d'aggraver la situation d'espèces vulnérables, comme la morue, et de nuire à l'état de santé général des écosystèmes océaniques. Pour réduire ces prises accidentelles, les pêcheurs utilisent des engins conçus pour capturer une espèce à l'exclusion des autres; ainsi, des filets à mailles plus grandes peuvent capturer des poissons adultes tout en laissant passer les poissons juvéniles et les espèces plus petites. Un placement stratégique des filets peut aussi réduire les prises accidentelles; les filets maillants qui visent le flétan du Groenland risquent bien moins de capturer des crabes des neiges en eau profonde qu'à des profondeurs inférieures à 350 brasses.

Pêcher vers le bas de la chaîne alimentaire

Après l'effondrement des stocks de morue, les prises de crustacés ont connu une hausse régulière pour en venir aujourd'hui à dominer l'industrie, la crevette et le crabe étant les espèces les plus rentables. Cette transition découle des grandes perturbations causées à l'environnement par des décennies de surpêche : comme les morues et les poissons de fond déclinaient, les espèces dont ils se nourrissaient, notamment la crevette et le crabe, ont vu leurs populations exploser. Un tel ajustement de l'effort de pêche, des prédateurs à leurs proies plus petites, est appelé « pêche vers le bas de la chaîne alimentaire ». Loin de se limiter à la pêche de la morue du Nord, ce phénomène est ordinairement attribuable à des pratiques de pêche non viables. En date de 2011, les stocks de morue ne s'étaient toujours pas rétablis et on ignore toujours s'ils le feront un jour.

Dans la foulée du moratoire, divers changements ont été apportés à la gestion de la pêche commerciale : imposition d'engins de pêche qui capturent moins de poissons juvéniles ou d'espèces non visées, augmentation du nombre d'observateurs indépendants sur les bateaux de pêche hauturière et participation de plus de pêcheurs, de scientifiques et d'autres ressources pertinentes à la gestion des pêches.

En dépit de ces changements, on s'inquiète de la persistance de la surpêche et de la lenteur mise par le gouvernement fédéral à appliquer les nombreux changements recommandés par les pêcheurs et les chercheurs. Ainsi, après des années de hausse des contingents, le stock de crabes des neiges montrait en 1999 des signes d'essoufflement. En conséquence, le contingent a été réduit de 61 806 tonnes en 1999 à 51 098 tonnes en 2000, et encore à 43 955 tonnes en 2005; ces contingents sont restés sous les 48 000 tonnes jusqu'en 2008, année où ils ont été relevés à 55 320 tonnes.

Il est vital que le gouvernement et l'industrie apprennent des erreurs passées afin de gérer de façon durable la pêche actuelle et à venir. Pendant des siècles, l'océan a été le pilier de l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador, en plus de contribuer à façonner notre culture et notre patrimoine. Le garder en santé devrait être la plus grande de nos préoccupations.

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