De 1950 à 1969 : une pêche en difficulté

L'éclosion d'une industrie du poisson congelé n'a pas réglé tous les problèmes de la pêche, comme beaucoup l'avaient espéré. Si elle a ouvert de nouveaux marchés au poisson terre-neuvien et soulagé au moins les familles de pêcheurs vivant près des usines du labeur de l'apprêt de la morue, elle a entraîné diverses autres difficultés

D'abord, à la fin des années 1950 et dans les années 1960, le marché du poisson congelé aux États-Unis a rencontré divers problèmes, la demande ne connaissant pas la croissance espérée. En majorité, les Américains préféraient le bœuf, le porc et le poulet, et n'allaient pas changer d'un seul coup leurs habitudes alimentaires. En même temps, des pays comme la Norvège et l'Islande ont aussi industrialisé leur pêche et se sont mis à vendre du poisson de fond congelé aux États-Unis. Grâce à cette concurrence entre les vendeurs, les acheteurs américains ont pu continuer de payer leur poisson bon marché. À Terre-Neuve, cette faiblesse des prix a eu un impact sur les pêcheurs, leur rendant plus difficile l'achat de bateaux et d'engins plus modernes.

Chalutier soviétique, s.d.
Chalutier soviétique, s.d.
L'Andrey Markin au port de St. John's. Construit en 1977 en URSS, il faisait partie de la grande flotte de chalutiers de l'ex-Union soviétique qui ont pêché dans les Grands Bancs à compter du milieu des années 1950.

Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-001.1-M17a), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

De fait, l'un des plus gros problèmes de l'industrie de la pêche de Terre-Neuve durant cette période a été la participation croissante des Européens à la pêche hauturière. Dès le milieu des années 1950, des pays comme la France, l'Espagne, le Portugal et l'Union soviétique se sont mis à exploiter les bancs de poisson de Terre-Neuve au moyen de chalutiers à panneaux (gros chalutiers au diesel remorquant des filets en forme de sac tenus ouverts par de lourds ailerons ou panneaux). Plus nombreux et plus gros, ces bateaux ont fait exploser le rendement annuel de la pêche dans l'Atlantique du nord-ouest. Si 540 chalutiers à panneaux pêchaient dans ce secteur en 1953, leur nombre atteignait les 975 en 1962. Traditionnellement, les prises totales de morue s'étaient tenues entre 100 000 et 300 000 tonnes par an. Entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1960, les captures totales de morues par le Canada et les autres pays au large de la côte nord-est de Terre-Neuve ont triplé, atteignant 810 000 tonnes en 1968.

Il y a lieu de penser que l'augmentation des captures par les flottes hauturières d'Europe a nui à l'industrie de la pêche de Terre-Neuve. Pour les compagnies locales qui possédaient des chalutiers, la concurrence pour le poisson était difficile à soutenir, tandis que les pêcheurs côtiers se plaignaient qu'il n'y avait plus autant de poisson qu'avant. Et de fait, des études ont révélé une baisse de 20 à 40 p. 100 des captures moyennes par les pêcheurs côtiers de l'est de Terre-Neuve. Or, dans le cadre juridique en vigueur, les Terre-Neuviens étaient incapables de freiner cette pêche européenne. Selon le droit de pêche du temps, les pays étrangers devaient rester à trois milles des côtes. Après des années de protestation des pêcheurs des côtes atlantique et pacifique, le gouvernement canadien a déplacé en 1969 la limite de pêche à 12 milles des côtes. Ce n'est toutefois qu'en 1977, avec l'extension de cette limite à 200 milles au large de ses côtes, que le Canada a fini par empêcher les bateaux d'Europe de pêcher sur son littoral.

English version