Les technologies de pêche depuis la Confédération

Divers progrès dans les technologies de pêche et de transformation du poisson durant la deuxième moitié du 20e siècle ont entraîné des changements dramatiques et, en bout de ligne, dévastateurs, dans les pêcheries de Terre-Neuve-et-Labrador. Des filets et divers autres engins plus performants ont relevé les taux de capture, et l'arrivée de puissants navires, conçus pour transformer et congeler le poisson à leur bord, a permis aux flottes locales et étrangères de s'attarder, plus longtemps que jamais dans le passé, au large de Terre-Neuve et du Labrador.

Avec l'émergence d'un nouveau marché du poisson congelé aux États-Unis dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, Terre-Neuve et le Labrador ont peu à peu délaissé leur commerce traditionnel de la morue salée avec les pays d'Europe, d'Amérique du Sud et des Antilles pour s'engager sur la voie de plus en plus industrialisée de la société de consommation nord-américaine. Dès lors, les pêcheurs capturaient le poisson de fond dans des chalutiers d'entreprises, des travailleurs transformaient les prises dans des usines d'entreprises, et les consommateurs achetaient les produits finis au rayon des aliments congelés des supermarchés d'Amérique du Nord.

Chalutier canadien, s.d.
Chalutier canadien, s.d.
Le Sandra Gage au port de St. John's.
Photographie : Harry Stone. Reproduit avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-001.1-M36a), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Si les bateaux et les engins de pêche continuaient d'être perfectionnés au gré du 20e siècle, les règlements liés à leur utilisation ne progressaient pas au même rythme et, à terme, n'allaient pas réussir à protéger les stocks de morue de la surpêche. C'est dans les années 1970 seulement que la communauté internationale a établi un système de contingents en vue de préserver ces stocks et que le Canada à fixé à 200 milles la limite de ses eaux territoriales pour protéger ses eaux littorales des chalutiers étrangers. Ceci dit, des décennies de pêche excessive avaient déjà décimé les stocks de poisson, tant et si bien que le gouvernement du Canada s'est vu contraint en 1992 de décréter un moratoire sur l'exploitation commerciale de la morue du Nord.

Industrie du poisson congelé

L'industrie du poisson congelé a marqué d'importants progrès à Terre-Neuve-et-Labrador après l'union avec le Canada en 1949, mais c'est durant la Deuxième Guerre mondiale que la future province a commencé à s'intéresser à ce secteur émergent. Des chercheurs américains avaient inventé vers la fin des années 1930 une méthode de congélation rapide qui allait permettre à l'industrie terre-neuvienne de conserver ses poissons destinés à l'exportation sans avoir à les saler. Le procédé, qui consiste à congeler rapidement (surgeler) le poisson entre deux plaques de métal, donnait un produit presque aussi savoureux que le poisson frais, mais qui se conservait bien plus longtemps.

Durant les années 1940, le besoin d'aliments pour la Grande-Bretagne en guerre a créé un marché immédiat pour le poisson surgelé. À la fin des hostilités, Terre-Neuve et le Labrador avaient exporté outremer 10 millions de livres de filets de poisson surgelés, et la Commission de gouvernement et divers investisseurs privés appuyaient ce secteur en pleine croissance. Même s'il était clair que la Grande-Bretagne, une fois la paix revenue, ne resterait pas un grand importateur de poisson surgelé, un important nouveau marché, celui des États-Unis, allaient s'ouvrir.

Si la Commission de gouvernement soutenait ainsi l'industrie, c'était en réponse à la nouvelle demande pour des produits de la mer surgelés, bien sûr, mais aussi parce qu'elle était plus étroitement réglementée que celle du poisson salé. En embauchant des travailleurs pour transformer le poisson dans une poignée d'usines appartenant à des entreprises, la Commission jugeait que le poisson exporté serait d'une qualité supérieure et plus uniforme que le poisson séché et salé traditionnellement par les pêcheurs et leurs familles sur leurs propres vigneaux. Le gouvernement a encouragé l'adhésion des entreprises à la nouvelle industrie, consentant entre 1943 et 1949 plus de 800 000 $ en prêts aux entreprises de production de poisson surgelé.

Après la Confédération de 1949, le gouvernement du Canada a pris le contrôle sur le secteur de la pêche, tandis que le gouvernement de la nouvelle province héritait de l'autorité sur le secteur de la transformation à terre. Les deux paliers ont continué d'appuyer le développement de l'industrie du poisson surgelé à Terre-Neuve-et-Labrador en créant des programmes éducatifs pour les pêcheurs, en prêtant à des entreprises de produits de la mer et en aidant à construire des bateaux et des engins de pêche plus modernes. Cependant, bien des pêcheurs continuaient de produire du poisson salé, et il faudra attendre jusqu'en 1964 avant que la production provinciale de morue surgelée surpasse celle de morue salée.

Secteur de la pêche hauturière

Au début du 20e siècle, la plupart des pêcheurs se dirigeaient vers les Grands Bancs dans des goélettes (aussi appelées banquiers ou banquais) pour participer à la campagne internationale de pêche de la morue du Nord. Une fois sur les bancs, ces navires mettaient à l'eau des doris d'où les pêcheurs capturaient le poisson au moyen de palangres, de lignes à main et de turluttes. Lorsque les moteurs à vapeur et diesel se sont répandus au début des années 1900, des chalutiers ont commencé à remplacer les goélettes sur les bancs.

Plus spacieux, puissants et efficaces que les goélettes, ces navires permettaient de conserver les prises plus de deux semaines sous de la glace concassée. Au lieu de pêcher à partir de doris, les équipages des chalutiers restaient à bord, immergeant de vastes filets en forme de poches, appelés chaluts à panneaux, pour capturer des morues et d'autres poissons de fond. Après avoir été halés sur une certaine distance, ces chaluts étaient hissés à bord, vidés et remis à l'eau sans délai. Sur les chalutiers à pêche latérale, des filets étaient immergés de chaque côté du bateau; sur les chalutiers à rampe arrière, le chalut était remonté par l'arrière.

Le Cerna, après 1976
Le Cerna, après 1976
Chalutier-usine à rampe arrière battant pavillon roumain, au port de St. John's.
Photographie : Harry Stone. Reproduit avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-001.1-L13b), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

En 1907, la France a été la première à envoyer des chalutiers à pêche latérale sur les Grands Bancs. Pour ramener leurs prises à bord, ces bateaux devaient s'immobiliser complètement, un côté au vent; cette pratique les exposait aux dommages dès que les vents se faisaient violents, si bien qu'ils devaient souvent cesser de pêcher par mauvais temps. Vers 1950, on a commencé à voir de plus en plus de chalutiers à rampe arrière sur les bancs. Plus versatiles que les chalutiers à pêche latérale, ces bateaux pouvaient pêcher par tous les temps. Les pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador ont commencé à recourir à des chalutiers à pêche latérale durant les années 1930, puis à des chalutiers à rampe arrière durant les années 1960.

Outre les améliorations apportées à la conception des navires et des filets, divers autres progrès technologiques auront révolutionné la pêche dans la deuxième moitié du 20e siècle. Le raffinement du sonar, du radar et d'autres dispositifs de détection du poisson durant les années 1960 a permis aux pêcheurs de localiser et de suivre les bancs de poissons. Après 1980, nombre de bateaux se sont aussi équipés de systèmes de localisation Loran C; ces émetteurs radio à basse fréquence allaient aider les pêcheurs à établir leur longitude et leur latitude exactes, celles des bancs de poisson et l'orientation de leurs filets maillants.

Toutefois, c'est l'introduction des chalutiers-usines congélateurs (à rampe arrière), durant les années 1950, qui a vraiment révolutionné la pêche en haute mer. Non seulement les pêcheurs prenaient-ils plus de poissons que jamais dans le passé, mais ils pouvaient les transformer à bord. Arrivé sur les Grands Bancs en 1954, le premier de ces bateaux, le Fairtry de Grande-Bretagne, mesurait plus de 280 pieds de long, faisait 2 600 tonnes de jauge et était équipé d'installations de congélation rapide, d'unités d'entreposage à froid, de fileteuses automatisées et d'une unité de production de farine de poisson. Rapidement, des centaines de ces chalutiers-usines du monde entier se sont mis à sillonner les Grands Bancs. Les prises de morue du Nord allaient connaître une flambée spectaculaire, atteignant un sommet de 810 000 tonnes en 1968. Toutefois, les stocks ne pouvaient soutenir une pêche aussi intense et les captures ont décliné au fil des années 1970.

Secteur de la pêche côtière

Les progrès technologiques ont aussi rendu plus efficace la pêche côtière à Terre-Neuve et au Labrador après 1949. À la fin des années 1960, nombre de pêcheurs côtiers se servaient de puissants moteurs diesel et avaient troqué leurs petites embarcations non pontées pour des bateaux pontés plus grands appelés palangriers. Faisant de 35 à 60 pieds de long, ces bateaux pouvaient se rendre plus loin que les embarcations traditionnelles, permettaient aux pêcheurs de recourir à une gamme d'engins plus étendue, y compris aux filets maillants, aux palangres (très longues lignes munie de centaines d'hameçons appâtés) et aux trappes à morue. Des dispositifs électroniques d'aide à la navigation et de détection du poisson sont aussi venus aider les pêcheurs à s'attarder sur les lieux où la morue était la plus abondante.

Palangrier à St. John's, 2007
Palangrier à St. John's, 2007
À la fin des années 1960, nombre de pêcheurs côtiers de Terre-Neuve et du Labrador avaient troqué leurs petites embarcations non pontées pour des bateaux pontés plus grands appelés palangriers.
Photographie : Jenny Higgins, © 2007

Malgré tout, le plus grand changement à affecter la pêche côtière après la Confédération aura été le passage de la production de morue salée à celle du poisson surgelé. Au lieu de sécher et de saler leurs prises pour les vendre au marchand local, les pêcheurs côtiers se sont mis à vendre leur poisson frais aux entreprises qui étaient propriétaires d'usines de transformation. À la différence de la pêche hauturière, qui avait fait la transition d'une activité saisonnière à une pêche menée à l'année longue, la pêche côtière avait surtout cours entre juin et septembre.

Secteur de la transformation

Dans la foulée de la Confédération de 1949, le secteur de la transformation à Terre-Neuve et au Labrador a peu à peu abandonné la pratique du séchage local du poisson salé sur des vigneaux pour passer à la production de produits de poisson de fond frais et congelés dans des usines appartenant à des entreprises. En 1978, quelque 150 de ces usines donnaient de l'emploi à plus de 8 000 travailleurs dans la province. Une bonne part de ces hommes et de ces femmes se sont ainsi prêtés à un travail répétitif et sans frein sur des chaînes de montage; ils avaient pour tâches l'enlèvement de la peau, le filetage, le désarêtage, l'enlèvement des parasites, le pesage et l'emballage du poisson pour son exportation sur les marchés d'Amérique du Nord. Les entreprises expédiaient ordinairement leurs produits sous forme de filets surgelés ou de blocs de 10 livres de morceaux de poisson surgelés. Avec ces matières premières, diverses entreprises de Nouvelle-Angleterre et d'ailleurs aux États-Unis fabriquaient des bâtonnets de poisson et d'autres biens de consommation.

Après le moratoire sur la pêche de la morue de 1992, nombre d'usines de transformation de la province ont dû fermer leurs portes ou licencier des employés. La croissance de l'exploitation des mollusques et des crustacés à la fin des années 1990 a permis à bien des travailleurs de retrouver de l'emploi, notamment dans la transformation des crabes et des crevettes. Selon les statistiques officielles, quelque 6 900 hommes et femmes travaillaient dans 138 usines de transformation de la province en 2005.

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