Impacts des nouvelles technologies de récolte sur la pêche à Terre-Neuve-et-Labrador

Au fil du 20e siècle, l'adoption de technologies de pêche de plus en plus complexes et efficaces a non seulement transformé l'industrie de la pêche à Terre-Neuve-et-Labrador, mais aussi révolutionné le mode de vie des travailleurs de la pêche. Progressivement, ces derniers ont abandonné la salaison traditionnelle de la morue et se sont trouvé des emplois dans l'industrie de la congélation, qui les payait en argent comptant plutôt qu'en crédit. Les apprêteurs se sont mis à travailler dans des usines plutôt que sur des vigneaux, et les États-Unis ont supplanté l'Europe, l'Amérique du Sud et les Antilles à titre de principal importateur de produits de la mer de Terre-Neuve-et-Labrador.

Travailleurs dans une usine de transformation de St. John's, 1978
Travailleurs dans une usine de transformation de St. John's, 1978
Dans les années qui ont suivi son adhésion à la Confédération canadienne, Terre-Neuve-et-Labrador a délaissé l'apprêt de la morue salée sur des vigneaux locaux pour la production de produits de poisson de fond frais et congelé dans des usines appartenant à des compagnies.
Avec la permission du ministère du Commerce et de la Technologie, gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. Tiré du document Fish is the future: the development program for the Newfoundland and Labrador fishing industry to 1985, ministère des Pêches de Terre-Neuve, St. John's, p. 13. ©1978.

Divers progrès technologiques ont aussi permis aux pêcheurs locaux et étrangers de retirer des quantités sans précédent de morues et d'autres poissons des eaux côtières et hauturières de Terre-Neuve et du Labrador. Or, les règlements visant à protéger les stocks de morue du Nord n'ont pas évolué au même rythme soutenu que la capacité de les récolter. Les taux de capture de la morue, après une rapide croissance durant les années 1960, ont connu un déclin tout aussi rapide durant les années 1970. En dépit des efforts des administrations des pêches canadiennes et internationales en vue de protéger les stocks, ceux-ci ne se sont pas rétablis.

D'une pêche pour la salaison à une pêche pour la congélation

À Terre-Neuve et au Labrador, la pêcherie familiale de salaison du poisson plongeait ses racines jusqu'au 16e siècle. En ce temps-là, les hommes attrapaient le poisson dans de petites barques non pontées, et les femmes et les enfants salaient et étendaient leurs prises sur des vigneaux aménagés au long des rives. Les compétences et les savoirs associés à ce processus se transmettaient au fil des générations, de même qu'entre voisins. À la fin de chaque saison, les pêcheurs troquaient leur morue à des marchands contre des approvisionnements ou du crédit.

Vigneaux, s.d.
Vigneaux, s.d.
Femmes occupées au séchage du poisson sur des vigneaux, au Battery. La pêcherie familiale de salaison était une activité saisonnière qui plongeait ses racines jusqu'au 16e siècle.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 03.07.006), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photographe inconnu.

La transition à une pêche pour la congélation a transformé ce style de vie. Les pêcheurs se sont mis à pêcher sur des chalutiers et à travailler dans des usines de transformation appartenant à des sociétés. Les pêcheurs côtiers qui avaient gardé leur bateau pouvaient désormais se faire payer en argent en vendant leurs prises aux usines de congélation au lieu de les troquer avec des marchands. L'usage de l'argent liquide étant de plus en plus répandu, le système de troc allait peu à peu disparaître. Les travailleurs des usines et des chalutiers se dotaient de compétences en suivant des programmes de formation administrés par l'État plutôt qu'en imitant des pêcheurs plus expérimentés. Lorsque le College of Fisheries, Navigation, Marine Engineering and Electronics a ouvert ses portes à St. John's en 1964, il offrait des cours de construction navale, de transformation du poisson et de formation d'équipages de chalutiers.

En dépit des efforts du gouvernement et de l'industrie pour les amener à travailler sur les chalutiers, les pêcheurs étaient souvent réticents devant les tâches ardues et l'inconfort des conditions de vie à bord. En effet, les équipages de chalutiers restaient jusqu'à dix jours d'affilée en mer, forcés de cohabiter dans des quartiers exigus. Les conditions de temps, tempétueuses et imprévisibles, ajoutaient une dimension de danger, surtout pour les équipages de chalutiers à pêche latérale, vieillis et instables. Quand les navires rentraient enfin au port, ce n'était souvent que pour une ou deux nuits, le temps de décharger leurs prises avant de repartir de nouveau. Les pêcheurs passaient donc une large part de leur temps loin de chez eux, ce qui causait de graves tensions dans leurs familles. Les couples ne pouvaient plus travailler ensemble parce que les équipages embauchés par les compagnies pour les chalutiers étaient composés d'hommes exclusivement. Comme l'a fait remarquer l'historienne Miriam Wright, les propriétaires voulaient sur leurs chalutiers des travailleurs mâles, à la fois formés à la technologie et forts physiquement.

Exclues du travail en mer, nombre de femmes ont trouvé du travail dans les usines de transformation. La plupart y exerçaient toutefois des emplois à la chaîne non spécialisés et peu rémunérés. À la différence du travail sur les vigneaux, souvent effectué en plein air près de la maison, qui donnait aux travailleuses le temps de s'occuper de leurs enfants ou des tâches ménagères, le travail dans les usines de transformation était étroitement encadré, souvent organisé par quarts, et présentait toutes sortes de dangers pour la santé. Les femmes devaient souvent travailler debout au même endroit durant des heures en répétant la même tâche sans interruption; celles qui utilisaient des couteaux risquaient de se blesser et de contracter des infections ou des allergies (comme « l'asthme des crabiers », causée par une toxine présente dans la carapace des crabes). Le milieu de travail était aussi prodigue en facteurs de stress comme le froid, les courants d'air, le bruit et les produits chimiques dangereux. Ceci dit, le travail en usine proposait aux femmes des salaires plus élevés que jamais auparavant, leur conférant une autonomie financière inédite et réduisant leur dépendance envers les hommes de la famille. Auparavant, dans les villages de pêche, les femmes travaillaient avec acharnement sur les vigneaux ou dans la sphère domestique sans espoir de rémunération.

Déclin des stocks de morue

En changeant les modes de récolte et de transformation du poisson, l'industrie n'a pas seulement transformé les lieux de travail, mais a aussi réduit la viabilité de la pêche à la morue du Nord. L'adoption des chalutiers, et en particulier des chalutiers-usines congélateurs, a permis aux pêcheurs canadiens et étrangers de récolter la morue avec une facilité et une efficacité sans précédent. Avant que le Canada ne porte à 200 milles la limite de ses eaux territoriales en 1977, des pêcheurs de l'Union soviétique, du Japon, de l'Espagne, du Portugal, de la France et de divers autres pays fréquentaient régulièrement les Grands Bancs. À la fin des années 1960, le stock de morue du Nord connaissait déjà un grave déclin.

Chalutier soviétique à St. John's, s.d.
Chalutier soviétique à St. John's, s.d.
L'adoption des chalutiers a permis aux pêcheurs canadiens et étrangers de récolter la morue avec une facilité et une efficacité sans précédent.
Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-001.1-M17a), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photo: Harry Stone.

La surpêche de morue en haute mer a aussi eu un impact négatif sur la pêche côtière à Terre-Neuve-et-Labrador. Les pêcheurs ont commencé à se plaindre d'une réduction de leurs prises durant les années 1960; de fait, les prises de morue du Nord dans les eaux côtières ont chuté des deux tiers entre 1954 et 1977. Pour compenser, nombre de pêcheurs se sont mis à utiliser des filets maillants dans les eaux du large durant les années 1980.

Même après que le Canada ait commencé à faire respecter sa limite de 200 milles en 1977, il n'a pas réussi à gérer une pêche durable de la morue du Nord. Les taux de capture ont continué de dépasser la capacité de rétablissement du stock, alors que l'adoption de divers appareils de localisation du poisson permettait aux pêcheurs de traquer et de récolter toute concentration de morue restante. Devant l'effondrement du stock au début des années 1990, le Canada a imposé en 1992 un moratoire sur la pêche commerciale de morue du Nord, mettant fin à une pêcherie qui datait de cinq siècles à Terre-Neuve-et-Labrador.

Plus de 30 000 personnes soudain jetées à la rue ont essuyé de plein fouet l'immense impact social et économique de ce moratoire. Bien que l'essor subséquent du secteur des mollusques et crustacés et d'autres pêcheries ait rendu leur emploi à certains, beaucoup d'autres ont quitté la province pour travailler ailleurs, ou ont tiré parti de divers programmes gouvernementaux de soutien du revenu.

Casiers de crabe au port de St. John's, 2007
Casiers de crabe au port de St. John's, 2007
L'essor du secteur des mollusques et crustacés et d'autres pêcheries dans la foulée du moratoire de 1992 a rendu leur emploi à certains travailleurs licenciés.
Photo de Jenny Higgins, ©2007.

As of 2007, uncertainty still surrounds the future of the Northern cod fishery. Although the federal government has allowed occasional restricted fisheries since 1992 – such as the five-week food fishery and two-week commercial fishery in 2007 – the moratorium remains in place and many scientists are unsure when or if the stock will rebound from decades of overexploitation.

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