Exploitation et équipement ferroviaires

Dès le départ, il était clair que la situation de la colonie ne permettrait pas la construction d'un chemin de fer de « première classe » selon les normes nord-américaines. En 1880, le comité sur le chemin de fer de l'Assemblée législative a recommandé la construction d'une ligne à voie étroite, ce qui allait faire partie des conditions du contrat de construction accordé.

Caractéristiques du chemin de fer

La voie de 3,5 pi était une des caractéristiques principales du chemin de fer de Terre Neuve (une voie normale étant large de 4,66 pi). La première coûtait moins cher à construire et avait certains avantages en reliefs accidentés. La topographie de l'intérieur de l'île présentait certains obstacles redoutables aux constructeurs, et allait en présenter plus tard à ses exploitants. Les cours des rivières et des vallées (coulant surtout du sud-ouest au nord-est) exigeaient une évaluation de la pente aux 20 milles. L'inclinaison maximale recommandée, de 1 à 1,2 p. 100, a été trop souvent doublée, atteignant parfois 2,5 p. 100. Des courbes de 12 à 14 degrés d'arc étaient par trop fréquentes, beaucoup plus que sur les lignes à voies normales. Ces deux facteurs ont limité la quantité de marchandise que les convois pouvaient transporter sans risque sur la ligne; ils signifiaient aussi que sa conversion aux voies normales (envisagée après l'union et brièvement évoquée à nouveau en 1980) nécessiterait une reconstruction d'un coût prohibitif.

Le gouvernement avait aussi décidé en 1892, et inscrit dans le cahier des charges de R. G. Reid, que le réseau devrait piquer vers la côte ouest par la route la plus directe, à travers les terres dénudées du plateau Gaff Topsail. Si ce choix a réduit les coûts de construction initiaux, garder la ligne ouverte en hiver dans ce secteur élevé et désertique allait supposer une lutte annuelle et coûteuse, lutte qui a été perdue certaines années. Comme l'a écrit sans détour A. R. Penney, un vétéran cheminot : « La route directe sur le plateau Gaff Topsail était faisable, mais certainement pas commode. Le chemin de fer n'aurait jamais dû y être construit. »

Convoi enseveli sous la neige, plateau Gaff Topsail, vers 1970
Convoi enseveli sous la neige, plateau Gaff Topsail, vers 1970
Garder la ligne ouverte en hiver dans ce secteur élevé et dénudé allait supposer chaque année un combat coûteux.

Tiré de la collection A. R. Penney. Avec la permission de Harry Cuff Publications.

Un troisième problème durable de l'exploitation du chemin de fer à Terre-Neuve était la faiblesse du trafic. Si son tracé à travers le centre faiblement peuplé de l'île répondait à son mandat de « voie de développement », le volume de marchandises et de passagers restait trop faible pour garantir quelque profit que ce soit. Les tarifs ayant été fixés dans le contrat d'exploitation de 1901, le gouvernement était assez froid à l'idée de les renégocier. Bien entendu, le volume du trafic correspondait aussi à la faiblesse et à la dispersion de la population; de fait, ce faible volume hantait aussi le service de vapeurs côtiers, qui ne devait sa survie qu'à une injection régulière de fonds publics. L'ajout de lignes secondaires au réseau, entre 1909 et 1917, a encore alourdi le fardeau de l'entretien des voies dans des régions où le trafic ne serait jamais suffisant pour être rentable. Selon Penney, le réseau essuyait des pertes de 100 000 $ par an entre 1901 et 1910, et ces pertes ont tout de suite doublé avec l'ajout des lignes secondaires.

H. D. Reid assume le contrôle

L'année 1917 sera décisive pour la Reid Newfoundland Company. W. D. Reid est alors écarté de la direction par son frère, résolu à faire front à la situation difficile. Pour un temps, les pertes d'exploitation seront réduites par les profits liés à la construction des lignes secondaires, mais ce programme sera abandonné en raison des impératifs posés par la Première Guerre mondiale au réseau, aux fonds publics et au matériel roulant. Pire encore, les retards dans le calendrier d'entretien en temps de guerre et le grave ralentissement économique subséquent ont précipité la crise.

Sous la direction de H. D. Reid, le service a connu des améliorations. En 1919, en grande partie pour faciliter le service hivernal sur le plateau Gaff Topsail, les activités de la ligne avaient été segmentées en une division est, logée à St. John's, et une division ouest, basée à Bishops Falls. Ces deux divisions ont existé jusqu'en 1947, date où le service d'exploitation de St. John's a repris le contrôle de tout le réseau.

Mais après la guerre, les pertes d'exploitation ont doublé, passant de 340 000 $ à 680 000 $ en 1918-1919, et redoublant à 1 300 000 $ en 1920. Cette année-là, le gouvernement, reconnaissant que le chemin de fer était menacé de faillite, a convenu de le faire gérer par un comité de six représentants de la Reid Newfoundland Company et du gouvernement. Au cours des trois années subséquentes, cette exploitation conjointe étant prolongée et modifiée à plusieurs reprises, le comité est parvenu à lever des fonds pour apporter des améliorations cruciales au matériel moteur (par l'achat de six locomotives neuves de type « Pacifique ») et pour assurer l'entretien élémentaire de la ligne.

Puis, en 1923, le gouvernement a enlevé le chemin de fer à la Reid Newfoundland Company, remplaçant le comité conjoint par une Commission des chemins de fer constituée de représentants du gouvernement. H. J. Russell, un jeune Terre Neuvien ayant fait ses classes sous le régime des Reid, en a été nommé directeur général, poste qu'il a conservé jusqu'à son décès en 1949, année de l'union avec le Canada. Avec la perte du gouvernement responsable en 1934, le chemin de fer a été administré par un Commissaire des services publics.

Lauchie McDougall (1896-1954), s.d.
Lauchie McDougall (1896-1954), s.d.
McDougall, fermier à Wreck House, sur la côte sud-ouest de l'île, était payé par le chemin de fer de Terre-Neuve pour évaluer la force des vents dans son secteur et aviser Port aux Basques lorsqu'il jugeait trop dangereux pour les trains d'y circuler. Il est vite devenu un personnage bien connu du monde ferroviaire à Terre Neuve.

Tiré de la collection A. R. Penney. Avec la permission de Harry Cuff Publications.

Matériel moteur

Les premières locomotives à Terre-Neuve, des Huntslett de type 4-4-0, ont été achetées du chemin de fer de l'Île-du-Prince-Édouard, qui exploitait aussi un chemin de fer à voies étroites. Plus tard, des locomotives de type 2-6-0 ont été construites expressément pour la Newfoundland Railway Company en Angleterre, notamment par Hawthorne Leslie, de Leeds. Après avoir conclu le contrat de construction du chemin de fer de la baie Halls en 1890, R. G. Reid a acheté plusieurs engins de types 4-4-0 et 2-6-0 de la Baldwin Locomotive Works de Philadelphie.

En vertu du marché de 1901, l'administration et les ateliers des Reid ont déménagé en 1903 de Whitbourne à Riverhead, tout près de la nouvelle gare de l'ouest de St. John's. Dans ces ateliers, la Reid Newfoundland Company a construit ses propres wagons et quelques locomotives, en particulier entre le début de la construction des lignes secondaires, en 1909, et la Première Guerre mondiale, certaines des pièces et des organes de roulement étant fournis par Baldwin. Ainsi, St. John's a vu la construction de deux locomotives de classe 150 (utilisées pour les trains de marchandises) et de dix locomotives plus petites de classe 100, destinées aux lignes secondaires. Le chasse neige rotatif no 3 a aussi été construit aux ateliers Reid.

Locomotive no 153, vers 1912
Locomotive no 153, vers 1912
Construite à St. John's en 1912 par la Reid Newfoundland Company.

Tiré de la collection A. R. Penney. Avec la permission de Harry Cuff Publications.

Un programme de modernisation du matériel moteur a été entrepris en 1920, sous la gestion conjointe des Reid et du gouvernement. Durant les années 1920, des locomotives Pacific classe 190 de type 4-6-2 sont devenues les bêtes de somme du chemin de fer de Terre-Neuve. Dans les premières années de l'exploitation du réseau par le seul gouvernement, afin d'offrir aux voyageurs des services à coût inférieur sur les lignes secondaires et des services d'excursion et de navette aux habitants de St. John's et de Corner Brook, cinq wagons automoteurs à vapeur ont été ajoutés au parc roulant. Ces « voitures-fauteuils » ont servi jusqu'à la fermeture des lignes secondaires, dans les années 1930.

Les locomotives à vapeur qui ont le plus marqué les mémoires ont certes été les Mikado classe 1000 de type 2-8-2, dont la première à été achetée en 1930 et la dernière, le no 1024, en 1949. Cinq ont été obtenues en 1941 par prêt-bail du gouvernement américain. La plupart de ces locomotives ont été converties du charbon au mazout dans les années 1940. Envoyées à la ferraille en 1957, elles seront remplacées par des locomotives à moteur diesel. Ce passage au diesel, entamé en 1952, a été complété en 1960, et les 53 locomotives diesel construites par General Electric à London, en Ontario, dont 26 ont été livrées en décembre 1956, ont constitué le matériel moteur du réseau de Terre-Neuve jusqu'à sa fermeture en 1988. Il s'agissait surtout d'engins de 1 200 chevaux de classe 900, ainsi que de quelques locomotives de 800 chevaux de classe 800, utilisées sur les lignes secondaires.

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