Échanges et commerce à Terre-Neuve

Pendant près de 400 ans, l'économie de l'île de Terre-Neuve a reposé entièrement sur l'industrie de la pêche. Les marchands du sud-ouest de l'Angleterre (le West Country) finançaient les expéditions des bateaux destinés à la pêche migratoire en les équipant et en les ravitaillant en provisions et en hommes. Avec la croissance d'une population sédentaire le long de la côte de l'île de Terre-Neuve, les marchands du sud-ouest de l'Angleterre et, plus tard, les marchands locaux de Terre-Neuve, ont fourni aux familles de ces pêcheurs permanents les denrées et l'équipement nécessaires à leur gagne-pain. Les marchands qui, jusque-là, préparaient et équipaient les bateaux de pêche en partance pour les eaux de Terre-Neuve permettaient désormais aux habitants de l'île de bénéficier d'un crédit au début de la saison de pêche. Ces derniers les remboursaient à la fin de la saison en leur donnant des produits de la pêche, notamment de la morue séchée et salée.

Water Street en direction est, Ayre & Sons, St. John's, vers 1948
Water Street en direction est, Ayre & Sons, St. John's, vers 1948
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection des photos historiques du Département de géographie, collection 137, photo 1.02.004), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La communauté marchande

Au cours du 19e siècle, au moment même où le nombre de marchands de Terre-Neuve augmentait pour desservir une population sédentaire en pleine croissance, les plus importants et influents d'entre eux ont décidé de s'établir le long de la rue Water Street, à St-John' s. Ces marchands importaient des marchandises (au cours des premières années, il s'agissait principalement d'aliments et de matériel de pêche) afin d'approvisionner les plus petits marchands des ports secondaires qui, eux, approvisionnaient les pêcheurs locaux. À la fin de la saison de pêche, les marchands des ports secondaires récoltaient les prises, réglaient leurs comptes avec les pêcheurs et s'acquittaient de leurs propres dettes en transportant le poisson chez les négociants en pêche de St. John's qui le vendaient ensuite sur le marché européen. St. John's est ainsi devenu le cœur de l'activité commerciale de Terre-Neuve. Dans les maisons des marchands longeant le littoral, la principale marchandise d'exportation de l'île – la morue séchée et salée – était échangée contre des produits d'importation de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada.

Un événement mondain de la Sons of England Benefit Society (S.O.E.), juillet 1898
Un événement mondain de la Sons of England Benefit Society (S.O.E.), juillet 1898
Malgré la dure réalité économique qui affectait le quotidien de plusieurs familles de pêcheurs, l'industrie de la pêche a apporté la prospérité à certains marchands. Les événements mondains étaient importants pour les mieux nantis de cette société du 19e siècle.
Photographe inconnu. Avec la permission des archives (VA 19-112), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Au 19e siècle, la société marchande de St. John's était peu nombreuse et tricotée serrée. La transmission des entreprises se faisait de père en fils, les frères travaillaient comme associés et les anciens commis de ces entreprises créaient leur propre affaire avec l'aide d'anciens employeurs. Benjamin Bowring a immigré d'Angleterre pour ouvrir une entreprise à St. John's en 1811. Il l'a ensuite léguée à ses fils, qui se sont associés sous le nom de Bowring Brothers. Une autre entreprise, Steer & Ayre, les prédécesseurs de Steer's et Ayre & Sons, a été créée par John Steer et Robert Ayre, deux anciens employés de Bowring Brothers, avec l'aide de Bowring. Il arrivait parfois que les marchands mettent leurs ressources en commun pour créer de nouvelles entreprises telles que la Newfoundland Boot and Shoe Company, la White Bay Mining Association et la Newfoundland Pioneer Woollen Company.

L'intérieur du magasin Bowring, Water Street, St. John's, s.d.
L'intérieur du magasin Bowring, Water Street, St. John's, s.d.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection des photos historiques du Département de géographie, collection 137, photo 2.01.019), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le krach bancaire de 1894

Même si elle favorisait la bonne collaboration et un plus grand soutien mutuel, la nature insulaire de la communauté marchande a toutefois été blâmée pour les nombreuses difficultés économiques sévissant à Terre-Neuve. Cela s'est manifesté de manière encore plus évidente lors du krach bancaire de 1894 causé par les octrois de crédit trop importants offerts aux marchands de St. John's. Les octrois de crédit à grande échelle offerts aux pêcheurs par des compagnies marchandes de même que le retrait d'un grand nombre d'associés qui désiraient retirer leur argent de leurs entreprises ont fait en sorte que plusieurs sociétés se sont retrouvées avec un mince fonds de roulement, ce qui les a forcées à emprunter d'importantes sommes à la banque. Étant donné que plusieurs de ces marchands étaient aussi directeurs de banque, les politiques de prêt n'étaient pas toujours appliquées de manière impartiale. Tous ces facteurs ont contribué à l'effondrement des banques, à la dévaluation de la monnaie et à l'augmentation du taux de chômage.

Même si on considérait que les marchands étaient en grande partie responsables du désastre, les marchands de St. John's qui n'ont pas été poussés à la faillite malgré le krach bancaire ont offert leur aide à plusieurs personnes parmi les plus affectées. Au lieu de licencier la moitié de leurs employés, certaines compagnies ont permis à ces derniers de garder leurs emplois à mi-temps. Pour les payer, Bowring Brothers a imprimé des coupons que les travailleurs pouvaient échanger dans les différents magasins de l'entreprise. À cause de la dévaluation de la monnaie et de la stabilité financière précaire de l'entreprise, ces coupons ont fini par être aussi acceptés par d'autres magasins situés sur l'île.

De nombreux Terre-Neuviens considéraient que la situation financière des firmes marchandes était plus sûre que celle des banques, et ce, malgré leur implication dans le krach. Certaines entreprises de Water Street ont commencé à offrir des services bancaires et à permettre à leurs clients de déposer leurs épargnes dans des comptes à intérêt et à faire des achats dans leurs magasins en payant au débit d'un compte ouvert. Ces services bancaires étaient si populaires que, dans certains cas, ce sont ces firmes qui se sont endettées envers leurs clients et non l'inverse. Certaines offraient aussi des prêts, notamment Ayre & Sons, qui a consenti un prêt aux propriétaires du journal The Evening Telegram à la suite d'un incendie qui a détruit les presses. Ces derniers avaient été incapables d'obtenir un prêt de la banque.

Water Street en direction ouest, Ayre & Sons, St. John's, vers 1948
Water Street en direction ouest, Ayre & Sons, St. John's, vers 1948
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection des photos historiques du Département de géographie (collection 137, photo 1.02.003), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Des intérêts autres que l'industrie de la pêche

Les marchands de St. John's avaient visiblement des intérêts autres que l'industrie de la pêche. En fait, des événements tels que le krach bancaire et les mauvaises saisons de pêche en ont convaincu plusieurs de diversifier leurs activités. Certains ont investi dans les entreprises minières, le secteur manufacturier et les assurances tandis que d'autres se sont intéressés plutôt à la vente en gros et au commerce de détail. Avec la croissance de la population de St. John's, et en particulier celle des classes marchandes et professionnelles, les magasins de la ville ont commencé à élargir leurs activités et à proposer un choix de marchandises beaucoup plus vaste.

À Terre-Neuve, au 19e siècle, à cause de l'augmentation du niveau de vie et d'une plus grande diversification économique, on a commencé à importer davantage d'objets de luxe, d'équipement industriel, de matériel de pêche et d'aliments. Bien que les importations aient chuté de nouveau pendant la Dépression, la prospérité des temps de guerre est parvenue à renverser la situation. L'entrée dans la Confédération, en 1949, a fait en sorte que Terre-Neuve a commencé à importer davantage de marchandises du Canada que de la Grande-Bretagne ou des États-Unis.

Le magasin The Broadway House of Fashion, 331-333 Water Street, St. John's, s.d.
Le magasin The Broadway House of Fashion, 331-333 Water Street, St. John's, s.d.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection des photos historiques du Département de géographie (collection 137, photo 2.01.037), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

L'impact de la Confédération sur la communauté marchande

Peu d'études ont été consacrées à l'impact de la Confédération sur la communauté marchande, mais l'arrivée en masse de chaînes de magasins et de grands magasins a eu un effet négatif sur les entreprises locales. Bien que plusieurs partisans de la Confédération aient cherché à mettre fin au monopole des marchands locaux et à baisser les prix des marchandises en favorisant la concurrence et en se débarrassant des droits de douane sur les importations canadiennes, ils n'avaient probablement pas l'intention de détruire les entreprises commerciales locales. Toutefois, à long terme, l'incapacité des producteurs et des détaillants locaux à produire et à vendre des marchandises aussi efficacement et à aussi bon marché que leurs homologues du continent les a conduits à la faillite. En date des années 1970 et 1980, plusieurs vieilles entreprises de Water Street, dont Bowring Brothers and Ayre & Sons, ont fermé leurs portes ou réduit considérablement leurs activités. Au lieu de concurrencer les chaînes d'épicerie du continent, Ayre & Sons a vendu ses magasins Dominion et tenté de consolider ses activités commerciales.

Terre-Neuve a continué d'importer plusieurs des produits de consommation nécessaires à ses habitants tout en poursuivant l'exportation de matières premières principalement, un déséquilibre commercial qui a contribué à aggraver les problèmes économiques de l'île.

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