La Confédération et le Canadien National (1949-1988)

À Terre-Neuve, le chemin de fer n'était pas juste une façon pratique de se rendre au cœur des grands espaces; il assurait deux liaisons vitales. Aux yeux du public, sa vocation initiale aura été de relier les agglomérations de l'est de Terre-Neuve à l'arrière-pays, ouvrant la route de l'ouest à la façon des autres lignes ferroviaires nord-américaines. La deuxième liaison était clairement entre Terre-Neuve et le Canada.

Le Newfoundland Railway et la Confédération

Dès le départ, il y aura eu une association entre le Newfoundland Railway et la Confédération avec le Canada. D'une part, c'est après que l'union avec le Canada ait été rejetée sans équivoque en 1869 que le chemin de fer a été proposé; certains y voyaient alors un exercice nécessaire de l'indépendance de Terre-Neuve, « l'œuvre d'un pays ». D'autre part, la « voie du peuple » était aussi une tentative d'américanisation de Terre-Neuve par le développement de son économie non maritime. Son plus ardent promoteur, William V. Whiteway, était un partisan déclaré de la Confédération en 1869. Les connexions de la famille Reid au Canada allaient fournir des arguments additionnels à ceux qui présentaient le chemin de fer comme un cheval de Troie pour la Confédération.

Bien que cette association n'ait pas nécessairement été aussi sinistre que la dépeignait la presse partisane de l'époque, il demeure que la famille Reid aura pris à plusieurs reprises l'initiative de pourparlers exploratoires à une union avec le Canada. Robert G. Reid avait avancé des suggestions dans ce sens après la faillite bancaire et de la crise financière de 1894. Au moment de la passation du contrat du chemin de fer en 1898 et au début des années 1900, les calculs de William Reid se sont traduits par son soutien politique à Alfred B. Morine, un partisan convaincu de la Confédération. Reid a encore essayé d'encourager cette union durant la Première Guerre mondiale; il espérait que le chemin de fer soit nationalisé et absorbé par les Chemins de fer nationaux du Canada, ce qui aurait soulagé sa famille de sa participation à une opération déficitaire. Cet espoir serait partagé par certains membres de la Commission de gouvernement après 1934.

Alfred B. Morine (1857-1944), s. d.
Alfred B. Morine (1857-1944), s. d.
Ministre des Finances de Terre-Neuve à la fin des années 1890, Morine était un partisan avoué de la Confédération.

Illustration tirée de A History of Newfoundland, from the English, Colonial and Foreign Records de D. W. Prowse, Macmillan, Londres, 1895, p. 550. Artiste inconnu.

Lorsque la Confédération a été sérieusement débattue à la Convention nationale et au cours des campagnes référendaires de 1946 à 1948, les familles des 5 000 employés du Newfoundland Railway étaient considérées comme des groupes d'intérêt naturels en sa faveur. Dans leurs conceptions, leurs attitudes et leurs attentes, les travailleurs du chemin de fer étaient perçus comme plus « nord-américains » que les habitants des petits villages de pêche isolés. Nombre d'entre eux, affiliés à des syndicats internationaux, étaient bien placés pour connaître les échelles salariales plus élevées en vigueur au Canada. Ses partisans clamaient aussi que la Confédération assurerait la prospérité de la ligne ferroviaire par la croissance de ses activités avec le Canada.

En vertu des articles 31 à 33 des conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada de 1948, le Newfoundland Railway, ses services, ses employés et ses propriétés ont été pris en charge par le gouvernement fédéral. Les changements ont été immédiats, notamment des augmentations de salaire et des mises au niveau des normes des Chemins de fer nationaux du Canada (CN). Usée une nouvelle fois au nom de l'effort de guerre, la ligne avait besoin d'améliorations majeures pour composer avec le trafic accru qui allait effectivement accompagner le boom de la construction d'après l'union et l'augmentation de la demande locale pour les biens de consommation nord-américains.

Compagnie des messageries nationales du Canada, 1949
Compagnie des messageries nationales du Canada, 1949
Dépôt frigorifique de la gare Riverhead de St. John's, au temps de sa prise en charge par la Compagnie des messageries nationales du Canada.

Photo de la collection A. R. Penney. Avec la permission de Harry Cuff Publications.

Après la Confédération

Durant la décennie suivant la Confédération, le Canadien National a effectué des dépenses considérables à Terre-Neuve, rénovant le terminal de Port aux Basques, commandant de nouveaux traversiers (y compris en 1955 le William Carson, premier service ferroviaire et maritime pour passagers), modernisant les cours de triage de Corner Brook et de St. John's, introduisant des traverses traitées et des rails de 85 livres, relevant de quatre pieds la voie ferrée à travers le Gaff Topsail et remplaçant les locomotives à vapeur par des unités diesel-électriques (1953-1959). Malgré tout, les déficits d'exploitation annuels se succédaient, et les anciens employés du Newfoundland Railway se plaignaient que les cadres subalternes du CN avaient un penchant pour les économies de bouts de chandelle.

Protégé jusqu'à un certain point par son inclusion dans les conditions de l'union, le chemin de fer était soutenu par la fonction publique locale, et vu comme une sorte de monument à l'indépendance antérieure de Terre-Neuve. Ceci dit, l'achèvement de la route transcanadienne à travers l'île en 1965 a amorcé une spirale descendante au cours de laquelle le chemin de fer a encaissé des pertes de trafic, de financement, d'appui de la direction et d'attrait pour les consommateurs.

En 1968, le CN mettait en service un service d'autocars « Roadcruiser » à travers l'île; l'été suivant, on annonçait la suppression du service estival d'express ferroviaire pour passagers, dont l'ultime voyage a eu lieu le 2 juillet 1969. Il devenait de plus en plus clair que les jours du transport de marchandises par voie ferrée étaient également comptés, la plupart des cargaisons, sauf celles de faible valeur, étant transportées par camions porte-conteneurs, malgré que le train ait un certain temps livré une concurrence réussie dans ce secteur. Une commission d'enquête parlementaire sur le système de transport à Terre-Neuve, présidée par Arthur Sullivan, a recommandé en 1978 la fermeture graduelle du chemin de fer. Devant les protestations du public, le Newfoundland Railway a été détaché de la division de l'Atlantique du CN, dont le siège social était à Moncton, pour être placé dans une division distincte, Terra Transport; cinq ans plus tard, il sautait aux yeux que le chemin de fer arrivait en bout de ligne.

Autocar « Roadcruiser », 1978
Autocar « Roadcruiser », 1978
Cet autocar « Roadcruiser » du Canadien National porte le logo de Terra Transport.

Photo de la collection A. R. Penney. Avec la permission de Harry Cuff Publications.

Fermetures

Les lignes de Bonavista et de Carbonear ont été supprimées en 1983, suivies l'année d'après par celle d'Argentia et par 32 gares sur la ligne principale. Même les plus convaincus des partisans du chemin de fer étaient forcés d'admettre que la fin approchait : les trains ne circulaient plus que rarement, le transport ferroviaire était à peine envisagé dans les choix des consommateurs et des entreprises, et le foin poussait littéralement entre les rails. Le soutien du gouvernement provincial à l'égard du chemin de fer était surtout une affectation visant à obtenir le meilleur arrangement possible du gouvernement fédéral afin qu'il se dégage de sa responsabilité.

Le 20 juin 1988, on annonçait que les gouvernements fédéral et provincial s'étaient entendus sur la fermeture définitive du système de transport ferroviaire. Le Canada avait convenu de consacrer 800 millions de dollars à la réfection à long terme de l'autoroute. Le dernier train a roulé le 20 septembre 1988 et, à la fin de 1990, tous les rails avaient été récupérés. Depuis, la plate forme de la voie du Newfoundland Railway a connu divers usages commerciaux et récréatifs, et les efforts se sont conjugués pour en faire un sentier de randonnée, baptisé T'Railway, au profit des habitants de la province.

Le sentier Grand Concourse, vers 2000
Le sentier Grand Concourse, vers 2000
La section du sentier Grand Concourse correspondant au Newfoundland T'Railway débute à la gare historique de la rue Water et s'éloigne en direction ouest à travers les agglomérations de St. John's, Mount Pearl et Paradise.

Photo publiée avec la permission du Newfoundland T'Railway Council, 2000.

En 1997, on annonçait que le T'Railway allait former un parc linéaire provincial; il a été plus récemment intégré au Sentier transcanadien.

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