Le commerce au XIXe siècle

Tout au long du XIXe siècle, l'économie de Terre-Neuve et du Labrador a reposé sur leur capacité d'exporter leurs produits à des acheteurs de l'étranger. En tout premier lieu, elle était basée sur la vente de morue salée produite localement aux pays du sud de l'Europe, au Brésil et aux Antilles. Les produits du phoque ont vu leur importance s'accroître durant les premières décennies du siècle, pour connaître un déclin rapide après 1870, avec l'affaissement des stocks. L'industrie minière a également pris de l'expansion vers la fin du siècle, la colonie commençant à exporter du cuivre, du minerai de fer et d'autres minéraux. Les retombées commerciales de la chasse au phoque et des mines auront toutefois été insignifiantes, comparées à celles de l'industrie de la morue salée, qui comptait pour quelque 70 pour cent de toutes les exportations de la colonie à la fin du XIXe siècle.

Le commerce de la morue salée

Au XIXe siècle, les pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador ont produit de la morue salée de diverses qualités qu'ils ont écoulée sur une vaste gamme de marchés. Les pêcheurs côtiers de l'île offraient la meilleure qualité de poisson parce que, pêchant près de chez eux, ils pouvaient sécher le poisson presque immédiatement après l'avoir pris. Ce poisson légèrement salé et sec, qu'on appelait poisson côtier, allait souvent chercher les meilleurs prix sur le marché. Ceci dit, cette catégorie était classée en diverses qualités, selon la taille, l'apparence, le niveau d'humidité et la qualité globale du produit. Les marchands avaient recours à des trieurs pour classer les prises des pêcheurs et en établir la valeur.

Morue dans une barque, s.d.
Morue dans une barque, s.d.
La pêche de la morue a été un pilier de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador tout au long du XIXe siècle.

Reproduit avec la permission de la section Archives and Special Collections (Coll. 137 24.02.028), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

La meilleure morue côtière, de qualité dite marchandable, était épaisse, jaune ou dorée, peu salée et pas trop sèche; on la classait en deux catégories : marchandable de choix et marchandable de deuxième qualité. La deuxième catégorie de qualité pour la morue, appelée morue de Madère, était plus mince que la précédente et de qualité moindre. Venait ensuite la morue des Antilles, la plus basse qualité commerciale pour le poisson salé. Dans les faits, si un acheteur n'était pas du tout d'accord avec la classification d'un poisson, il pouvait insister pour qu'on la change avant de l'acheter; ainsi, une morue classée de qualité marchandable pouvait parfois être reclassée morue de Madère.

Les pêcheurs qui migraient chaque année pour pêcher au Labrador produisaient une autre qualité de poisson, qu'on appelait morue salée-séchée de type Labrador. Ce poisson était plus humide, plus salé et généralement inférieur à la morue côtière, surtout en raison du climat humide du Labrador et de la période de manutention requise pour le ramener sur l'île. Les trieurs classaient cette morue en deux catégories selon sa qualité, soit Labrador no I et Labrador no 2. Quant à la morue des pêcheurs sur les bancs, sa préparation était de qualité inégale, et les trieurs la classaient soit comme morue du Labrador, soit comme morue côtière.

Une fois que les pêcheurs avaient pris et salé leur morue, c'est aux marchands de la colonie qu'il appartenait de la vendre à des acheteurs étrangers. à cette fin, la plupart embauchaient des agents qui travaillaient directement dans les divers marchés du sud de l'Europe, du Brésil et des Antilles. Une fois qu'une cargaison de morue arrivait, ces représentants s'arrangeaient pour la négocier à un acheteur intéressé, parfois contre de l'argent et parfois contre des denrées introuvables à Terre-Neuve et au Labrador, comme la mélasse et le café.

La morue salée de Terre-Neuve et du Labrador était prisée sur les marchés du Brésil, des Antilles et de l'ouest de l'Europe, notamment en Espagne, au Portugal, en Italie et, à un moindre degré, en Grèce. Tous ces pays au climat chaud avaient un besoin essentiel de sources de protéines à la fois faciles à conserver et abordables, conditions que réunissait la morue. Qui plus est, aucun de ces pays ne possédait ses propres lieux de pêche, mais nombre d'entre eux pouvaient échanger contre la morue des denrées produites localement. Les pays d'Europe produisaient entre autres du sel, des noix et du vin. Le Brésil avait du coton et du café à proposer, tandis que les Antilles exportaient du sucre, de la mélasse et du rhum en échange de la morue terre-neuvienne.

Si la colonie était en mesure de commercer avec un tel éventail de marchés, c'est qu'elle pouvait proposer plusieurs qualités du même produit. La morue marchandable se vendait bien en Europe, tandis que le Brésil achetait la morue de Madère et que les Antilles préféraient la morue de moindre qualité et la moins chère. L'Espagne, le nord de l'Italie et la Grèce acceptaient aussi les deux catégories de morue du Labrador.

Exportations de phoque

Même si la morue salée aura représenté la vaste majorité du commerce d'exportation de Terre-Neuve et du Labrador au XIXe siècle, l'industrie ne s'est pas élargie durant cette période et le niveau d'exportation est resté essentiellement inchangé. Il en a été tout autrement de la chasse au phoque, qui a connu une forte expansion durant les premières décennies du siècle pour se contracter durant les années subséquentes.

Tri des peaux de phoques, s.d.
Tri des peaux de phoques, s.d.
La colonie exportait la plupart de ses produits du phoque vers la Grande-Bretagne, oû l'huile et le cuir de phoque étaient très prisés.

Reproduit avec la permission de la section Archives and Special Collections (Coll. 137 03.02.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe : Holloway.

La colonie exportait la plupart de ses produits du phoque vers la Grande-Bretagne, oû l'huile et le cuir de ce mammifère étaient très prisés. Les progrès en éclairage vers le début du XIXe siècle ont amené une forte demande pour l'huile de phoque et eu un grand impact sur la croissance de l'industrie. Cette huile pouvait être utilisée pour éclairer les maisons, les quais, les lampadaires et même les phares. Elle servait également au corroyage (finissage) du cuir, à la fabrication de savons et comme lubrifiant. En Grande-Bretagne, le cuir de phoque deviendra populaire pour la garniture de meubles et pour la confection de gants, de bottes, de manteaux, de chapeaux et de divers autres articles.

L'exportation des produits du phoque a diminué après 1850, l'arrivée de l'éclairage au gaz et la popularité du pétrole comme combustible d'éclairage réduisant la demande d'huile de phoque. L'industrie allait connaître un déclin plus accentué après 1870, lorsque les stocks de phoques ont commencé à montrer des signes de surexploitation. À la fin du siècle, les produits du phoque ne représentaient qu'environ 7 p. 100 des exportations de la colonie, une chute spectaculaire par rapport aux 30 à 40 p. 100 relevés dans la première demie du siècle.

Autres exportations

En plus des produits de la morue et du phoque, l'océan a doté Terre-Neuve et le Labrador de nombre d'autres ressources à exporter, mais de bien moindre importance. On y retrouve le saumon, le homard, le hareng, le capelan et le calmar, qui ont trouvé leurs marchés dans divers pays, notamment en France, au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Bien que les ventes de ces produits aient été lucratives (par ex., les exportations de hareng ont rapporté près de 200 000 $ par an durant les années 1890), elles auront eu un impact négligeable sur le commerce d'exportation de Terre-Neuve et du Labrador, comparé à celui de la morue salée.

Capelans, s.d.
Capelans, s.d.
En plus de la morue et du phoque, Terre-Neuve et le Labrador ont exporté d'autres produits de l'océan, mais en quantités moindres, notamment du saumon, du homard, du hareng, du capelan et du calmar.

Reproduit avec la permission de la section Archives and Special Collections (Coll. 137 25.03.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

L'industrie minière a aussi gagné en importance vers la fin du XIXe siècle. Une mine de cuivre, ouverte à Tilt Cove en 1864, est restée en production jusque tard dans le XXe siècle; à son apogée, en 1877, elle a exporté quelque 1 240 000 $ en minerai. Amorcée en 1895 sur l'île Bell, une mine de fer allait se révéler encore plus productive que celle de Tilt Cove : en 1900, la mine de l'île Bell fournissait environ 9 p. 100 des exportations de la colonie, le minerai étant pour l'essentiel expédié en Nouvelle-Écosse. Les exportations de bois d'œuvre ont aussi gagné de l'importance vers la fin du siècle, mais sont restés loin de concurrencer les exportations de poisson et de minéraux de la colonie.

Importations

Tout au long du XIXe siècle, le secteur agricole de Terre-Neuve et du Labrador est demeuré d'une grande faiblesse, ne produisant qu'en petites quantités quelques denrées pour les marchés locaux. Pour cette raison, les habitants de la colonie dépendaient lourdement de l'importation d'aliments et d'autres produits de consommation de l'étranger. Au XVIIe siècle, nombre de ces denrées provenaient de Grande-Bretagne; on y retrouvait du bœuf et du porc salés, des pois, du pain dur, de la bière, de l'équipement de pêche, des ustensiles de cuisine, des chandelles et, à un moindre degré, du fromage, du beurre, du vinaigre, de l'alcool et d'autres produits de luxe.

En se développant au fil des siècles suivants, la colonie s'est mise à commercer avec d'autres pays, en plus de la Grande-Bretagne. À la fin du XIXe siècle, elle importait du Canada, de la Nouvelle-Angleterre, du sud de l'Europe et des Antilles. Pour l'essentiel, il s'agissait de denrées alimentaires, dont divers produits agricoles de Nouvelle-Angleterre. Au nombre des autres importations figuraient les meubles, les livres, les matelas de plumes, les articles de verre, les médicaments et divers autres produits. La colonie payait parfois ces importations comptant, mais il arrivait qu'elle les troque contre de la morue salée ou d'autres denrées.

Ceci dit, la lourde dépendance de Terre-Neuve et du Labrador envers le commerce international a rendu son économie vulnérable aux facteurs externes hors de son contrôle. En temps de déclin de la demande pour la morue ou de hausse du prix des importations, les finances de la colonie en prenaient pour leur rhume. Conscient de cette faiblesse, le gouvernement responsable (instauré en 1855) a fait diverses tentatives, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, pour diversifier l'économie de Terre-Neuve et du Labrador dans les secteurs des mines, de l'agriculture et de la foresterie.

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