La chasse au phoque au 20e siècle

Du début du siècle jusqu'en 1914, une hausse générale des prix a apporté une relative prospérité à Terre-Neuve. Le cours des produits du phoque s'étaient modestement rétablis de leur creux de vague des années 1890 et une vingtaine de vapeurs se rendaient chaque année à la banquise. Dans ce climat amélioré, certains marchands se sont mis à investir dans de plus gros vapeurs à coque de fer et d'acier. Comme l'adoption de la propulsion à vapeur 40 ans plus tôt, cette transition était dictée par la difficulté croissante de trouver des phoques en nombre suffisant. Les navires à coques en bois, souvent de taille et de puissance insuffisantes, ne pouvaient pas pénétrer assez loin dans la glace dense, ce qui forçait leurs équipages à de longues marches dont ils revenaient parfois les mains vides.

Les nouveaux navires étaient nettement plus puissants. Le premier, l'Adventure, a été acquis par Harvey and Co. en 1905. Une fois démontrée son efficacité, d'autres armateurs ont emboîté le pas, jusqu'à ce qu'il y en ait une flottille de neuf. Ces navires constituaient de lourds investissements, que les propriétaires espéraient recouper par des campagnes de chasse plus fructueuses et leur utilisation à l'année longue. Ainsi, Bowring Brothers a armé le Florizel (1 018 tonnes) et le Stephano (2 144 tonnes) pour leur faire assurer une liaison pour passagers et marchandises avec New York, ainsi que pour chasser les phoques. Cette expérience serait loin d'être convaincante. Même si quelques records ont été établis (en 1910, le Florizel a ramené 49 069 phoques en un voyage, un record), le nombre total de prises ne s'est pas accru pour la peine et les navires n'ont pas généré assez de revenus le reste de l'année. Lorsque les acheteurs se sont faits pressants durant la Première Guerre mondiale, les propriétaires n'ont été que trop heureux de s'en départir.

Le SS Adventure, s.d.
Le SS Adventure, 1909
Le vapeur SS Adventure, ancré à Fort Chimo (Kuujjuaq), baie d'Ungava, 1909
Photographie de Hugh A. Peck. Épreuve argentique à la gélatine. Extrait de la collection du Musée McCord. Le vapeur SS Adventure, ancré à Fort Chimo (Kuujjuaq), baie d'Ungava, 1909 Don de Richard H. Peck.

La chasse au phoque dans l'entre-deux-guerres

Entre les deux guerres mondiales, la chasse aux phoques a vu son effort d'avant 1914 réduit de moitié. En moyenne, neuf vapeurs seulement se rendaient à la banquise chaque année, avec 1 500 hommes d'équipage, pour en ramener quelque 150 000 phoques dont la valeur n'atteignait pas 1 p. 100 du total des exportations. On a bien ajouté quatre gros navires d'acier à la flotte à la fin des années 1920, et on a tenté l'expérience de repérer les troupeaux de phoques par avion, mais sans réussir à améliorer la situation d'une industrie en détresse. Durant la Seconde Guerre mondiale, les navires d'acier ont disparu et la flottille de chasse au phoque a de nouveau été réduite de moitié. Seuls survivaient quatre gros navires de bois. Aucun vapeur ne s'est rendu à la banquise en 1943 et, à la fin des hostilités, la vieille flottille avait disparu.

Shannon Ryan a fait remarquer que « la vie de chasseur de phoques à la veille de la Seconde Guerre mondiale avait peu changé de ce qu'elle était vers 1860, au début de la chasse par des vapeurs. » (Ryan, p. 124) Les hommes étaient répartis en « bordées » sous le contrôle d'un chef de bordée qui les guidait sur la banquise et supervisait les autres tâches. Ils devaient se lever tôt pour sauter sur les glaces dès 5 h du matin, abattant des phoques à coups de gaffes et les écorchant de leurs couteaux tranchants. Ils halaient les peaux jusqu'à des radeaux de glace convenus, où le navire passait les prendre; s'il était immobilisé par les glaces, les hommes devaient y traîner les peaux eux-mêmes. Vers 19 ou 20 h, ils remontaient à bord où les attendait un quart de service pour l'entreposage et la mise en glace des peaux, la manutention du charbon et diverses autres tâches. Il s'agissait là d'un labeur ardu, éreintant et sordide.

Revitalisation de l'industrie du phoque

L'après-guerre a vu une renaissance de l'industrie, mais celle-ci était transformée. Trois grandes tendances peuvent être dégagées. D'abord, les gros navires à vapeur se sont raréfiés; on s'est plutôt mis à utiliser des petits bateaux à moteur, souvent à partir de villages de pêche plutôt que de St. John's. Ensuite, il y a eu un essor considérable de la chasse à partir de la côte. Puis, après 1948, des navires battant pavillons norvégien et canadien ont commencé à participer à la chasse, marquant la fin du règne de St. John's comme capitale de la chasse au phoque dans l'Atlantique nord (vers la fin des années 1950, Halifax envoyait plus de bateaux) et les marchands de St. John's se sont retirés de l'industrie. Les Terre-Neuviens allaient toujours chasser, mais ils le faisaient sur des navires appartenant surtout à des intérêts étrangers : des 26 navires à se rendre à la banquise en 1962, deux seulement étaient immatriculés à Terre-Neuve, et 60 p. 100 des 60 000 phoques débarqués à Terre-Neuve avaient été tués par des chasseurs côtiers.

Le Carino, mars, 1972
Le Carino, mars 1972
Après la Seconde Guerre mondiale, le recours accru à de petits bateaux à moteur comme le Carino a transformé l'industrie de la chasse au phoque.
Avec la permission de C. W. Sanger, ©1972.

L'effort de chasse de l'après-guerre a exercé un stress excessif sur les troupeaux. Ils avaient bien profité des années de guerre pour se rétablir à environ trois millions de têtes, mais leur population avait diminué de moitié vers 1965. La chasse n'étant ni supervisée, ni réglementée, certains chasseurs sans expérience ni discipline ont eu recours à des pratiques contestables.

C'est dans ce contexte qu'est né le mouvement de protestation contre la chasse au phoque. Le gouvernement canadien a réagi en réglementant la chasse en 1964, et en fixant des contingents en 1971, afin de rendre l'abattage plus humain et d'aider le troupeau à se stabiliser et à se repeupler, tout en veillant à ce que le Canada atlantique continue d'en tirer des revenus. Cette politique n'a cependant pas apaisé les opposants, qui ont poursuivi leur campagne et précipité l'effondrement du marché du phoque.

Même si la demande de produits du phoque a augmenté ces dernières années, ce qu'il subsiste de l'industrie dans la province est essentiellement une activité de chasseurs côtiers largement dispersés, comme elle l'était au 18e siècle.

Avec l'effondrement de la pêche de la morue au début des années 1990, les pierres angulaires de l'économie traditionnelle des petits villages côtiers de Terre Neuve et Labrador ont virtuellement disparu.

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