La chasse au phoque à Terre-Neuve et au Labrador

Les phoques du Groenland (ou phoques à selle) composent la grande majorité des phoques chassés dans le golfe du Saint-Laurent et près des côtes de l'est de Terre-Neuve et du Labrador (sur ce qu'on appelait le front). Ces mammifères grégaires effectuent chaque année des migrations saisonnières. Le troupeau du nord-ouest de l'Atlantique passe l'été dans la baie de Baffin, pour descendre à l'automne vers le sud, le long de la côte du Labrador. Parvenus dans le détroit de Belle Isle vers la fin de décembre, certains s'engagent dans le golfe du Saint-Laurent et les autres se dirigent vers les Grands Bancs. En février, les phoques trouvent des glaces sur lesquelles leurs femelles peuvent mettre bas. Celles du troupeau du golfe mettent bas au large des Îles-de-la-Madeleine. Le troupeau de l'Atlantique voyage en direction nord à la rencontre de la banquise qui dérive vers le sud le long de la côte du sud du Labrador et du nord-est de Terre-Neuve. C'est sur ces vastes étendues glacées que naissent les jeunes. Pesant à la naissance autour de 7 kg, ils sont couverts d'une fourrure jaunâtre qui vire rapidement au blanc. Ils engraissent rapidement, gagnant de 25 à 30 kg après deux semaines. À ce stade, leur condition est excellente. Leurs poils blancs tombent ensuite (durant la mue, on les appelle guenillous) et ils perdent du poids. Une fois sevrés, ils plongent dans la mer; ils sont alors appelés brasseurs. À un an, on les appelle bêtes de la mer. Une fois que les adultes ont mué et se sont accouplés, le troupeau entreprend le voyage de retour vers l'Arctique.

Jeune phoque du Groenland
Jeune phoque du Groenland
Les phoques du Groenland nouveaux-nés sont aussi appelés blanchons à cause de leur épaisse fourrure blanche, qui aura mué au bout de trois semaines.
Avec la permission de Fred Bruemmer ©1974. Tiré de The Life of the Harp Seal de Fred Bruemmer, Optimum Publishing Company, Montréal, 1977, p. 20.

Types de phoques

D'autres espèces de phoques fréquentent les eaux de Terre-Neuve-et-Labrador : le phoque à capuchon, le phoque barbu et le phoque commun. La fourrure du phoque commun a été utilisée pour la confection de vêtements, tandis que la graisse du gros phoque barbu a fourni une huile prisée. Cependant, ces espèces ne pouvaient rivaliser en nombre avec les phoques du Groenland, étant plus éparpillées et ne mettant pas bas sur la banquise en grands rassemblements. Étant donné que les phoques du Groenland migrent près des côtes d'année en année et se regroupent sur les glaces au printemps en vastes troupeaux, ils sont beaucoup plus à la portée des chasseurs côtiers.

Utilisations des phoques récoltés

Bien entendu, les peuples autochtones ont été les premiers à récolter des phoques. Toutes les cultures indigènes représentées à Terre-Neuve et au Labrador avant et après l'arrivée des Européens ont tiré parti de cette ressource à divers degrés. Jusqu'à récemment, le phoque a été un élément fondamental du mode de vie des Inuit du Labrador, essentiellement adapté aux ressources locales. Ils en mangeaient ou en nourrissaient leurs chiens; ils en fondaient la graisse en huile pour s'éclairer et faire la cuisine; ils en utilisaient le cuir pour fabriquer des vêtements et des bottes, ainsi qu'à une multitude d'autres fins, notamment comme monnaie d'échange avec les marchands européens.

Les colons européens, à l'exception de ceux du Labrador qui avaient adopté les mœurs des Inuit, voyaient le phoque autrement. Au lieu de s'adapter à leur environnement comme le faisaient les peuples indigènes, ils vendaient les phoques pour se procurer des biens que les Autochtones en auraient tirés. Ainsi, la viande du phoque n'est jamais devenue un ingrédient courant de la cuisine terre-neuvienne, bien que ses nageoires soient prisées en saison. Les Européens utilisaient rarement les fourrures pour les vêtements; si de petits articles (bottes, mitaines et chapeaux) étaient fabriqués dans quelques localités, seuls les membres des classes aisées de St. John's portaient des manteaux de phoque. Ce n'est donc pas parce qu'ils s'en servaient dans leur quotidien que les colons chassaient les phoques, mais parce qu'ils avaient besoin de l'argent que les marchands leur versaient pour les peaux et la graisse.

Curées dans le sel, les peaux étaient expédiées par bateau à des manufactures de cuir. Le gras était fondu en huile, d'abord en laissant la viande pourrir naturellement. En 1852, S. G. Archibald écrivait : « En juillet, en août et en septembre, les odeurs et les effluves des cuves et de l'ébullition sont quasiment insupportables. « On a tout intérêt à éviter un séjour dans la ville de St. John's durant l'été. » Utilisée comme source d'éclairage et comme lubrifiant pour les machines, comme assouplisseur de tissus et dans la peinture, les explosifs et la margarine, l'huile de phoque était plus rentable que les peaux. Vers la fin des années 1840, cette huile représentait 84 p. 100 de la valeur des produits du phoque exportés; dans les années 1890, cette proportion était encore de 54 p. 100. Quand ils trouvaient un troupeau de phoques, les gens disaient qu'ils étaient « dans le gras ».

Méthodes originales de chasse commerciale

Au 18e siècle, quand la chasse au phoque commerciale a débuté à Terre-Neuve et au Labrador, les phoques adultes représentaient le gros des captures par les gens de la côte, qui les prélevaient de trois façons. La première, et la plus populaire, consistait à placer des filets pour intercepter les phoques durant leur migration; lourds et résistants, mais peu dispendieux, ces engins étaient employés systématiquement aux endroits où les phoques longeaient la rive, et plus communément sur la côte sud du Labrador, le long du détroit de Belle Isle et sur la côte de Terre-Neuve au nord de Twillingate. Leur utilisation au sud de la baie Notre-Dame était moins courante, mais pas inhabituelle pour autant.

Les autres méthodes de chasse, qui dépendaient davantage du facteur chance, étaient moins efficaces. Si le vent poussait près de la côte les glaces où les phoques mettaient bas, les hommes pouvaient les atteindre à pied, les tuer et en ramener les peaux. Ils utilisaient aussi parfois des barques à cette fin, en restant relativement près de la terre ferme. Ces deux méthodes sont couvertes par l'expression chasse côtière. Cette industrie jouait un rôle vital dans le cycle de vie annuel dans le Nord, et a été un facteur très important de croissance et de dispersion des villages dans le nord-est de Terre-Neuve. La pêche estivale de la morue est restée l'activité principale, mais le gagne-pain annuel dépendait aussi de l'exploitation d'autres ressources. En plus de chasser les phoques, les équipages restés derrière piégeaient les bêtes à fourrure durant l'hiver et pêchaient le saumon au début du printemps. Ce sont ces équipages qui ont permis le peuplement permanent du nord de Terre-Neuve, et l'émergence d'importants centres de chasse au phoque comme Fogo, Greenspond et Bonavista.

Fogo, s.d.
Fogo, s.d.
Fogo a été un des grands centres de chasse au phoque de l'île de Terre-Neuve.
Avec la permission de la Division des archives and collections spéciales (Coll - 137, 13.13.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Vers la fin du 18e siècle, la population du sud-est de l'île de Terre-Neuve a commencé à s'intéresser à cette chasse au phoque visiblement lucrative. La péninsule d'Avalon était à l'écart des routes migratoires des phoques, et il était rare que les glaces printanières les y amènent. La seule façon de participer à cette chasse était de naviguer vers le nord pour trouver les phoques. C'est ce qu'ont fait en 1793 les premières goélettes à se rendre jusqu'à la banquise. Malgré leur faible tonnage (autour de 45 tonnes), ces bateaux ont connu du succès dès leur première campagne : ainsi a débuté l'industrie de la chasse au phoque traditionnelle de l'île de Terre-Neuve, soit la poursuite des phoques au moyen de bateaux naviguant jusqu'au champ de glaces pour chercher activement des phoques jeunes et adultes. Cette activité allait se perpétuer durant près de 200 ans.

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