L'aviation à l'ère des pionniers

Terre-Neuve a joué un rôle important dans le développement des voyages aériens long courriers. Terre la plus à l'est de l'Amérique du Nord, la colonie est devenue un site de décollage privilégié par les pionniers qui ont tenté la traversée de l'Atlantique en 1919. Durant les années 1920, elle a aussi servi d'escale de ravitaillement à ceux qui tentaient de faire le tour du monde. En 1928 et en 1932, Amelia Earhart a établi deux records au cours de vols qui ont eu Terre-Neuve comme points de départ. L'arrivée des vols-passagers durant les années 1930 a marqué la fin de l'ère des pionniers, même si Terre-Neuve allait conserver son rôle d'escale essentielle entre l'Europe et l'Amérique du Nord.

Décollage du champ Lester, 14 juin 1919
Décollage du champ Lester, 14 juin 1919

Reproduit avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 05.04.004), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographie de Robert Holloway.

Vols transatlantiques

En avril 1913, le journal Daily Mail, de Londres, a offert un prix de 10 000 livres au pilote qui réussirait le premier vol transatlantique sans escale entre la Grande-Bretagne et toute destination au Canada, aux États-Unis ou à Terre-Neuve. Suspendu pendant la Première Guerre mondiale, le concours a été relancé au retour de la paix en 1918. Située le plus près de l'Europe et favorisée par des vents d'ouest dominants, Terre-Neuve s'est révélée le point de décollage favori.

Le printemps de 1919 a vu l'arrivée de quatre équipages, tous décidés à se mériter le prix et une place de choix dans l'histoire de l'aviation. Le premier était constitué du pilote australien Harry Hawker et de son navigateur, l'Écossais Kenneth F. Mackenzie Grieve. Le deuxième était formé des aviateurs britanniques Frederick Raynham (pilote) et C. W. F. Morgan (navigateur). Dans le troisième, commandité par le Handley Page Company Group (un manufacturier d'avions américain), le Britannique Mark Kerr agissait comme pilote. Enfin, les aviateurs britanniques John Alcock (pilote) et Arthur Whitten Brown (navigateur) composaient le quatrième équipage.

Alcock et Brown, et leur appareil biplan Vickers Vimy, 13 juin 1919
Alcock et Brown, et leur appareil biplan Vickers Vimy, 13 juin 1919

Reproduit avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 05.04.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Avant même de pouvoir prendre l'air, de nombreuses tâches les attendaient. Comme il n'y avait pas encore de piste d'atterrissage à Terre-Neuve, les équipages ont dû se mettre en quête de sites appropriés, par exemple de grands champs, et aplanir le terrain. Il leur a aussi fallu assembler leurs appareils, arrivés par navire en pièces détachées, et effectuer une série de vols d'essai. En outre, les mauvaises conditions météo ont provoqué de nombreux retards.

Pendant ce temps, le corps d'aviation des Forces navales américaines avait mis en place son personnel à Trepassey en vue d'effectuer sa propre tentative transatlantique, sans rapport avec le concours du Daily Mail. Les Forces navales cherchaient plutôt à faire voler un hydravion Curtiss NC-4 des États-Unis jusqu'en Angleterre, en effectuant de multiples escales de ravitaillement et d'entretien. Le lieutenant-commandant Albert C. Read et son équipage se sont envolés de Rockaway, dans l'État de New-York. Le 8 mai 1919, après des escales au Massachussetts, à Halifax, à Trepassey, aux Açores et à Lisbonne, ils se posaient le 31 mai à Plymouth, en Angleterre.

Le lieutenant-commandant Albert C. Read (à l'extrême-gauche) et son équipage, s.d.
Le lieutenant-commandant Albert C. Read (à l'extrême-gauche) et son équipage, s.d.
Tiré du The St. John's Daily Star, 10 juillet 1919, p. 9.

Read avait effectué avec succès le premier vol transatlantique, mais la course pour le prix de l'envolée sans escale à travers l'Atlantique se poursuivait à Terre-Neuve. Deux équipages ont tenté l'aventure le 18 mai 1919, mais sans succès. Partis d'un champ de Mount Pearl, Hawker et Mackenzie Grieve ont été forcés par une panne de moteur d'amerrir dans l'Atlantique 14 heures et 1 770 km plus tard, d'où ils ont été repêchés par un cargo danois. Le même jour, Raynham et Morgan se sont écrasés peu après leur décollage d'un champ voisin du lac Quidi Vidi, leur biplan Martinsyde se révélant incapable de porter les lourds réservoirs de fuel requis pour la traversée de l'Atlantique.

Le biplan Sopwith Atlantic, de Hawker et Mackenzie-Grieve, 1919
Le biplan Sopwith Atlantic, de Hawker et Mackenzie-Grieve, 1919
Reproduit avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 232 03.05), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Il n'y avait eu aucune nouvelle tentative quand, le 14 juin 1919 à 13 h 45, Alcock et Brown ont décollé du champ Lester, près de St. John's, à bord d'un biplan Vickers Vimy équipé de deux moteurs Rolls-Royce. Seize heures plus tard, ils piquaient du nez dans une tourbière de Galway, en Irlande. Vainqueurs de la bourse du Daily Mail pour la première envolée transatlantique sans escale, ils ont été anoblis par le roi George V. L'équipage de Kerr a donc renoncé à son projet de traversée, à bord d'un bombardier Handley Page de la Première Guerre mondiale.

Vols autour du monde/circumterrestres

Durant les années 1920, les imaginations se sont enflammées pour les voyages autour du monde. Une équipe d'aviateurs des services aériens des Forces armées des États-Unis a réussi le premier vol circumterrestre. Le 6 avril 1924, quatre biplans Douglas World Cruiser prenaient le départ de Seattle, dans l'État de Washington. Deux d'entre eux n'allaient pas compléter le périple : perdu dans la brume, le premier s'est écrasé le 30 avril contre une montagne tandis que l'autre a sombré le 3 août dans l'Atlantique Nord, après une perte totale de sa pression d'huile; dans les deux cas, les équipages ont survécu. Les deux autres appareils, le New Orleans et le Chicago, ont fait escale à Icy Tickle, au Labrador, le 31 août et à Hawkes Bay, à Terre-Neuve, le 2 septembre, avant de compléter leur voyage le 28 septembre 1924.

Terre-Neuve a joué un rôle important dans les tentatives de circumnavigation ultérieures. En 1927, Fred Koelher, de la Detroit's Stinson Aircraft Corporation, a choisi Harbour Grace comme éventuelle station de ravitaillement pour les vols autour du monde. Les gens de Harbour Grace ont alors lancé une campagne de levée de fonds pour aménager une aérogare et le gouvernement de Terre-Neuve y a investi 14 500 $. Le 27 août 1928, Edward F. Schlee et William S. Brock y effectuaient l'envolée inaugurale sur le monoplan Pride of Detroit; malheureusement, leur projet de tour du monde devait avorter le 11 septembre, une panne de moteur immobilisant leur appareil à Tokyo.

The Pride of Detroit at Harbour Grace, 1927
The Pride of Detroit à Harbour Grace, 1927
Reproduit avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 232 03.05), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's (T.-N.-L.). Photographe inconnu.

Le pilote américain Wiley Post et son navigateur australien Harold Gatty ont été plus chanceux en 1930, réussissant leur tour du monde à bord d'un Lockheed Vega baptisé Winnie Mae en un temps record de huit jours, 15 heures et 51 minutes. Entamé le 23 juin à Long Island, dans l'État de New York, leur périple de 24 903 kilomètres avait été ponctué de nombreuses escales, notamment à Harbour Grace.

Amelia Earhart

Terre-Neuve a aussi eu un rôle à jouer dans les vols historiques d'Amelia Earhart. Le 17 juin 1928, Earhart est devenue la première femme à traverser l'Atlantique en avion. Elle prenait place sur le Friendship, un Fokker F7 parti de Trepassey avec Wilmer Stultz pour pilote et Louis Gordon pour co-pilote et mécanicien; après un vol de 20 heures et 40 minutes, ils ont atterri à Burry Point, dans le pays de Galles. Le 20 mai 1932, Earhart allait être la première femme au monde à réussir la traversée de l'Atlantique en solitaire; partie de Harbour Grace dans un Lockheed Vega rouge, elle a atterri en Irlande du Nord après un vol de 13 heures et 30 minutes.

Amelia Earhart à Harbour Grace, 20 mai 1932
Amelia Earhart à Harbour Grace, 20 mai 1932
Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (PA-057854). Photographie d'Ernest Maunder.

À ce moment, l'ère héroïque des vols transatlantiques tirait à sa fin. Les progrès technologiques avaient perfectionné et rendu plus fiables les appareils, les prévisions du temps et les communications sans fil. Lorsque les vols long-courriers sont devenus plus sûrs et fréquents, le gouvernement et l'industrie ont manifesté leur intérêt pour l'établissement de services réguliers de transport des passagers et de la poste. L'emplacement de Terre-Neuve fera aussi en sorte que la province joue un rôle important dans l'établissement d'un service aérien transatlantique commercial.

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