La musique

Origines

Comme pour bien des histoires à Terre Neuve-et-Labrador, celle de la musique terre-neuvienne d'inspiration européenne commence avec la morue.

Arrivés dans l'île au 16e siècle pour pêcher la morue, les Européens ont amené leur musique avec eux. Cette musique va devenir la voix de Terre Neuve et Labrador, une puissante évocation de son style de vie, de son histoire et de son caractère. La musique est une carte de visite internationale et, dans la province, la forme d'art la plus populaire. Nombreux sont ceux et celles qui n'ont jamais lu un ouvrage littéraire ou assisté à une pièce de théâtre de Terre-Neuve, mais presque tous les habitants de la province ont déjà entendu The Kelligrews Soiree ou dansé aux rythmes d'un groupe musical local.

La musique est arrivée avec les Irlandais, les Écossais, les Français et les Anglais qui se sont établis sur les rives de l'île et sur la côte du Labrador. Ils chantaient des chansons de marins en travaillant et partageaient des ballades et des airs à la fin de leur journée. Avec le temps, ces colons et leurs descendants ont repris les vieux airs et écrit de nouvelles chansons pour raconter leurs propres histoires. La musique locale parle du travail, de la politique, de l'humour, des craintes, des espoirs, des tragédies et des aléas du quotidien. Qu'il s'agisse de l'histoire simple de Lukey et de son bateau ou de doléances sur l'oppression d'une vie de labeur et de misère, les gens ont su en faire des chansons.

Évolution

Si elle est restée fidèle à ses racines européennes, la musique folklorique transmise au gré des générations a beaucoup évolué selon les villages. D'autres types de musique ont connu des variations plus modestes. À la fin du 19e siècle, quelques collectivités avaient une chorale religieuse, une fanfare militaire ou civile et des troupes d'amateurs produisant des opérettes et d'autres divertissements légers. St. John's et Harbour Grace, les grands centres de ces activités, étaient visités par des orchestres et des compagnies en tournée, et des chansonniers locaux comme Johnny Burke y étaient populaires. Au Labrador, les missionnaires moraves ont formé chorales et fanfares dans chaque village pour initier les Inuit à la musique sacrée protestante, pratique qui allait entraîner l'extinction virtuelle de la musique inuit autochtone.

Distribution de l'opérette Abie's Irish Rose, 1929
Distribution de l'opérette Abie's Irish Rose, 1929
Ce type d'opérettes divertissait le public terre neuvien à la fin du 19e siècle. L'orchestre de ce spectacle était sous la direction de Gus Stafford.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (MF-287, 1.02), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Ce n'est qu'au 20e siècle que la musique folklorique sortira des cuisines et des salons pour s'imposer comme une voix importante de la culture terre-neuvienne. Au cours du dernier siècle, cette musique a été entendue par un public plus vaste et a changé plus rapidement que dans les quatre siècles précédents réunis.

Durant la première moitié du 20e siècle, la publication de plusieurs recueils a contribué à répandre et à populariser la musique. Le plus populaire de ces recueils aura été Old Time Songs and Poetry of Newfoundland, de Gerald S. Doyle. Publié en 1927, ce répertoire s'est retrouvé dans des milliers de foyers. Les Terre Neuviens des années 1930 entendaient de la musique locale à la radio. Des émissions comme The Big Six et The Irene B. Melon diffusaient les grands succès d'Irlande et de Terre-Neuve.

Influences sociales et culturelles

La radio allait aussi exposer les auditeurs à des musiques d'ailleurs, notamment aux chansons populaires américaines et à la musique de danse britannique. Éventuellement, la Deuxième Guerre mondiale estompera les divergences culturelles entre Terre-Neuve et le Labrador et le reste de l'Occident.

Les soldats des bases militaires américaines de l'île et du Labrador avaient leurs propres goûts musicaux; leurs stations de radio et leurs musiciens en tournée jouaient du jazz, du pop et du country.

Après la guerre, les changements sociaux et culturels vont être précipités par l'union avec le Canada et la modernisation. Durant les années 1950 et 1960, la nouvelle génération a adopté le rock, troquant violons et accordéons pour la guitare électrique. Cette nouvelle génération, plus ouverte au monde, a relégué la musique d'antan aux scènes de ses origines, soit aux fêtes de cuisine et aux réunions familiales.

Regain d'intérêt pour la musique traditionnelle

L'émission All Around the Circle, diffusée pour la première fois en 1964 à la télévision de CBC, a déclenché un regain d'intérêt pour la musique traditionnelle. Une autre « renaissance » débutait aussi en Ontario, où des exilés terre-neuviens comme Harry Hibbs allaient populariser leur musique traditionnelle teintée de country.

À la fin des années 1960, de jeunes musiciens et artistes en quête d'une alternative à la musique pop se sont découvert un nouvel intérêt pour la culture et la musique traditionnelles de leurs ancêtres. Vers le milieu des années 1970, de jeunes groupes réinterprétaient de vieux airs et ballades sur des instruments électriques, avec les arrangements complexes et les rythmes endiablés de la musique rock qui avait entouré leur jeunesse. Le Wonderful Grand Band a été un des groupes néo-traditionnels les plus populaires de la province. Un autre groupe, Figgy Duff, a laissé un héritage magistral, enregistrant sur disque des pièces folkloriques et originales et interprétant sa musique dans des festivals nationaux et internationaux.

Figgy Duff et d'autres musiciens et musiciennes comme Anita Best, Kelly Russell et Jim Payne ont aussi contribué à découvrir et à mettre en valeur certains des meilleurs interprètes de la génération précédente : Émile Benoit, Rufus Guinchard et Minnie White avaient tous passé la soixantaine quand ils sont devenus professionnels et sont partis en tournée dans l'île et ailleurs dans le monde.

Rufus Guinchard et Émile Benoit, 1979
Rufus Guinchard et Émile Benoit, 1979
Guinchard (à g.) et Benoit en spectacle au St. John's Folk Festival. Ce n'est que passé la soixantaine que l'un et l'autre ont commencé à jouer leur musique en public.
Avec la permission des archives et collections spéciales (Coll - 154, E 1043), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La musique de Terre-Neuve se répand

Les années 1970 et 1980 ont aussi vu un élargissement du concept de « musique terre neuvienne », les publics et les musiciens accueillant avec confiance des influences locales et extérieures. Le rock, le pop et le blues dominaient dans les boîtes de nuit et les danses dans les écoles secondaires. Une forte communauté de musique classique et chorale s'est établie autour de l'école de musique de Memorial University et du Newfoundland Symphony Orchestra. Quelques excellents jazzmen sont apparus, dont le Jeff Johnson Trio, reconnu comme l'un des meilleurs groupes de jazz au Canada à cette époque.

La dernière décennie du 20e siècle a vu un optimisme sans précédent pour le potentiel commercial de la musique terre-neuvienne. Célébrée par les East Coast Music Awards, la musique du Canada atlantique fut présentée comme une industrie, une ressource économique encore à exploiter. Cette commercialisation et le style de vedettariat de l'industrie du divertissement ne faisaient pas le bonheur de tous. Ainsi, Ron Hynes a enregistré deux disques avec la multinationale EMI, mais est redevenu par la suite un compositeur-interprète indépendant basé à St. John's. D'autres ont cependant prospéré dans ce contexte. Les Irish Descendants, par exemple, ont produit deux disques d'or, tandis que le Thomas Trio and the Red Albino était considéré, avant sa dissolution au début des années 1990, comme l'un des groupes rock les plus prometteurs au Canada.

The Irish Descendants, s.d.
The Irish Descendants, s.d.
De g. à dr. : Kelly Russell, Byron Pardy, Mike Hanrahan, Paul "Boomer" Stamp et Con O'Brien.
Photographie de Justin Hall. Avec la permission de Michael Greggs.

Parmi les musiciens de la province qui ont connu de grands succès et de brillantes carrières furent les membres du groupe Great Big Sea, un quatuor de St. John's. Mieux que tout autre groupe auparavant, Great Big Sea a fait apprécier la musique terre-neuvienne à un vaste public de jeunes Canadiens en interprétant un mélange éprouvé de musique traditionnelle et de chansons pop originales.

Musique autochtone et labradorienne

Une nouvelle vague musicale a aussi renouvelé l'intérêt envers la musique autochtone et labradorienne. Avec ses chansons qui célébraient le territoire et ses habitants, Harry Martin est devenu l'un des artistes les plus populaires du Labrador. En 2001, à l'East Coast Music Festival, Martin et les Flummies, un groupe folklorique du Labrador, ont été mis en nomination pour le titre de meilleurs artistes autochtones de l'année. Au nombre des nouveaux-venus à cette date, on doit aussi mentionner David Penashue, dont le groupe Tipatchimun exécutait des chansons en innu sur des rythmes rock. Dans l'île, les Mi'kmaqs de Conne River ont lancé un enregistrement de tambours et de chant choral.

Difficultés de la vie de musicien

Comme partout ailleurs, les musiciens de Terre Neuve et Labrador ont du mal à joindre les deux bouts. Se donner en spectacle devant des auditoires enthousiastes mais restreints dans des clubs locaux, des concerts et des festivals n'a rien de lucratif. Pourtant, des compositeurs, des chanteurs et des musiciens de talent ont continué d'émerger, la scène musicale étant florissante (en particulier dans les boîtes de St. John's) et les progrès technologiques facilitant la production d'enregistrements de qualité. Il existe de nos jours plus de musique locale chez les disquaires que jamais dans le passé. Outre le populaire circuit des festivals folk, on a vu à St. John's des événements internationaux comme le Festival 500 et le Sound Symposium.

Conclusion

Il saute aux yeux de bien des façons que le musicien contemporain de Terre-Neuve-et-Labrador a peu à voir avec le troubadour ou le violoneux des siècles d'antan. Mais l'esprit qui anime sa musique suggère une filiation directe entre le passé et le moderne. Comme leurs ancêtres, les chanteurs et les musiciens d'aujourd'hui respectent une éthique de l'autonomie, associent des influences extérieures et locales, n'ont pas peur de l'expérimentation et traitent leur patrimoine musical avec respect et audace. Une telle formule est garante de la vitalité de leur musique dans les années à venir.

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