Le rossignol du nord

Texte rédigé à partir des archives du journal The Gazette du 26 novembre 1998.

Georgina Ann Stirling est née à Twillingate, T.-N.-L., le 3 avril 1866. Elle était la plus jeune des 10 enfants de Ann Peyton et William Stirling. Ann Peyton était la petite-fille de John Peyton (1747-1827), qui avait fondé une entreprise de pêche à Exploits, juste à l'ouest de Twillingate, avant 1800. Celui-ci avait ramené son fils John (le père d'Ann) d'Angleterre en 1812 afin qu'il se mette au service de l'entreprise familiale. Originaire de Harbour Grace, William Stirling était médecin et il s'est établi à Twillingate en 1843 pour y exercer sa profession.

Georgina Ann Stirling
Georgina Ann Stirling
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll-251), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Georgina et ses sœurs ont été éduquées à Twillingate. La plupart d'entre elles ont également reçu une formation musicale dès leur plus jeune âge. Leur père, qui jugeait important que ses filles reçoivent une éducation complète et qui était conscient de leurs dons naturels pour la musique, a fait l'acquisition de deux pianos, un violon et une flûte pour leur usage personnel. Avant même d'atteindre l'âge de 15 ans, Georgina jouait de l'orgue à l'église en plus de jouer et de chanter lors de concerts présentés dans la région.

Ann Peyton est décédée le 9 août 1882 alors que Georgina Stirling n'était âgée que de 16 ans. L'année suivante, son père l'a inscrite au Toronto Ladies' College où elle a étudié les arts libéraux pendant plusieurs années, notamment la musique. Vers 1885, elle est retournée à Twillingate où elle a continué à chanter et à jouer de l'orgue lors de rassemblements religieux et d'événements sociaux. Elle s'est également impliquée dans le service communautaire.

William Stirling ne croyait pas seulement aux talents de sa fille Georgina, il se faisait aussi un devoir de l'encourager à les mettre à profit. Ainsi, à l'automne 1888, il l'a envoyée à Paris afin qu'elle reçoive une formation vocale. Après avoir passé une audition devant l'illustre professeure de chant Mathilde Marchesi, Georgina a été invitée à suivre ses cours à son école de Paris.

En 1890, alors que Stirling chantait lors d'un concert présenté par Marchesi, un imprésario italien touché par sa voix l'a invitée à se joindre à la maison d'opéra de Milan. Certains prétendent que c'est à La Scala de Milan qu'elle aurait fait ses débuts. Elle a passé l'année suivante au sein de cette compagnie avant de retourner à Paris où elle a poursuivi ses études de chant avec Marchesi.

Au cours de l'été 1892, Stirling est retournée à Twillingate pour la première fois depuis quatre ans. Elle y a été accueillie et honorée pour ses succès, et le journal local The Twillingate Sun a publié des articles sur plusieurs de ses performances. Pendant son séjour, elle a chanté lors de services commémoratifs tenus dans les églises anglicanes St. Peter's et St. Andrew's.

En octobre, Stirling a quitté Twillingate pour l'Europe. Lors d'une brève halte à St. John's, elle a chanté plusieurs œuvres, dont l'Ave Maria, lors d'un office liturgique tenu à la cathédrale catholique St. John the Baptist en présence de Mgr Power. Sa performance lui a valu des commentaires élogieux dans les journaux locaux.

La saison 1892-1893 aura été sa dernière à l'école de la professeure Marchesi. En 1893, elle a fait ses grands débuts à Paris comme chanteuse d'opéra, puis elle est retournée de nouveau à St. John's où elle a chanté au Methodist College Hall. Elle a passé l'année suivante à faire des spectacles en Angleterre. C'est à cette époque qu'elle a choisi d'adopter le nom de scène « Marie Toulinguet ».

Les cinq années suivantes ont été très occupées pour Georgina Stirling. Après sa tournée de 1894-1895 en Angleterre, elle a visité Twillingate, puis elle a donné plusieurs concerts à St. John's à l'automne 1895 alors qu'elle s'apprêtait à repartir pour l'Europe.

En 1896, Stirling a accepté l'offre de J. Henry Mapleson, un colonel et imprésario qui l'a invitée à se joindre à sa maison d'opéra établie à New York, la New Imperial Opera Company. À St. John's, en route pour New York, elle a participé à la dédicace de l'église méthodiste Gower Street récemment construite.

Les débuts de Stirling à la New Imperial Opera Company ont connu un succès retentissant et ont fait l'objet de critiques élogieuses dans les journaux de New York, Philadelphia et Boston. Malheureusement, la compagnie a connu des difficultés financières et a dû fermer ses portes à la mi-saison, laissant les artistes de la troupe désœuvrés. Au cours de l'hiver 1896-1897, Stirling a toutefois réussi à obtenir quelques contrats comme chanteuse dans des villes de l'est des États-Unis.

Arrivée à St. John's à la fin de juin 1897 en compagnie de son amie Marie du Bedat, une chanteuse originaire de Dublin, Stirling s'est retrouvée au cœur des festivités entourant le 60e anniversaire de l'accession au trône britannique de la reine Victoria. Les deux artistes ont accepté de participer à différents concerts et événements spéciaux organisés pour l'occasion. Stirling a chanté l'hymne national lors de la cérémonie de pose de la pierre angulaire de la tour Cabot alors qu'on célébrait également le 400e anniversaire de l'arrivée de John Cabot à Terre-Neuve. Stirling et du Bedat ont passé le reste de l'été à Twillingate.

Le 18 octobre 1897, Georgina Stirling a fait ses débuts avec la Scalchi Operatic Company, sous la direction de Sophia Scalchi, une ancienne membre de la troupe de Mapleson. La compagnie a fait une tournée aux États-Unis, depuis les Carolines en passant par l'Arkansas et jusqu'au Colorado. La troupe a été acclamée de toutes parts, tout spécialement Stirling qui a reçu des critiques très flatteuses : « Mlle Toulinguet a indubitablement donné la performance la plus remarquable de la soirée. » (Arkansas Gazette); « Mlle Toulinguet chante de façon impeccable et sans le moindre effort. Ses notes aiguës sont aussi claires que le tintement d'une cloche et son registre semble illimité. » (Charleston News). L'immense succès de cette tournée a permis à Stirling d'obtenir une série d'engagements en Italie l'année suivante.

Stirling a presque toujours vécu en Italie entre 1898 et 1901. C'est au cours de cette période qu'elle a abîmé sa voix, probablement à force d'avoir trop sollicité ses cordes vocales. Ce problème l'empêchant de chanter, elle a vécu une période de découragement et de dépression. On lui a prescrit une longue période de repos qu'elle a passée notamment à Londres auprès de ses sœurs Janet et Lucy. Par la suite, elle est retournée sur scène comme concertiste et non pas comme chanteuse d'opéra: sa voix était cassée à ce point. Elle a fait peu de spectacles, car cela avait tendance à aggraver son état psychologique. C'est peut-être aussi ce qui l'aurait incitée à chercher refuge dans l'alcool.

Après avoir passé l'été et l'automne 1904 à St. John's et à Twillingate, Stirling est retournée en Angleterre, où elle a vécu dans la ferme-colonie de Duxhurst pour femmes et enfants, dans le Surrey. Fondé par Lady Somerset en 1895, ce paisible domaine rural offrait sécurité et aide professionnelle aux femmes en voie de guérison à la suite d'un abus d'alcool. Il semble qu'elle ait fait d'autres séjours à cet endroit au cours des vingt années suivantes, après quoi elle retournait vivre avec Susan et Janet.

Susan Stirling Temple est décédée en 1925 et Janet Stirling en 1928. Ne pouvant plus compter sur ses sœurs pour obtenir du soutien psychologique et financier, Georgina Stirling n'a eu d'autre choix que de retourner à Twillingate. Elle s'y est établie rapidement et elle a été bien accueillie par les résidants de la ville. Elle a aidé à organiser des concerts commandités par le Hustler's Club auxquels elle a aussi participé comme chanteuse dans le but de collecter des fonds pour l'hôpital de Twillingate. Elle s'est aussi consacrée au jardinage, un passe-temps qu'elle avait découvert dans la ferme-colonie de Duxhurst. Georgina Stirling est décédée à Twillingate le 23 avril 1935.

En 1989, le Centre des études terre-neuviennes a fait l'acquisition d'un petit paquet de lettres qui avaient été expédiées au docteur William Stirling. Il contenait notamment plusieurs factures relatives aux cours de chant de Georgina à Toronto. En 2000, Amy Peyton de Gander, auteure d'une biographie consacrée à Georgina Stirling intitulée Nightingale of the North (1983), a offert aux archives plusieurs documents concernant Stirling et les membres de sa famille. Ils contenaient entre autres plusieurs lettres que s'étaient échangées les sœurs Stirling au fil des années, des coupures de presse à propos de la carrière artistique de Georgina et un document imprimé confirmant son audition et son admission à l'école de Marchesi et qui relatait également ses performances artistiques ultérieures. Ces documents nous donnent un aperçu à la fois instructif et passionnant de la vie et de la carrière de la première chanteuse d'opéra de Terre-Neuve.

English version

Archives et collections spéciales Table des matières (en anglais)