Arts de la scène
Les premiers spectacles dont on ait enregistré la présentation à Terre-Neuve remontent à 1583, soit au voyage durant lequel Sir Humphrey Gilbert a revendiqué l'île au nom de la Couronne britannique. Sur ses navires, Gilbert avait emmené des Morris dancers, des hobby horses et des Rituels de la fête de mai pour divertir tant les indigènes que les membres de son équipage durant leur séjour.
Il n'existe pas de chronique de l'évolution des arts de la scène entre le début du XVIIe siècle, période de colonisation, et la fin du XVIIIe siècle, période où des historiens ont commencé à mentionner la pratique du mummering à Noël, notamment dans les villages de la baie de la Conception et de la baie Bonavista.
Le mummering (ou mumming) est aussi appelé jennying ou janneying dans de nombreux villages de la côte de Terre-Neuve. S'il est impossible de connaître la date exacte où cette tradition anglaise séculaire a été introduite à Terre-Neuve, les premières mentions qui en sont faites remontent à 1819.
Avec la gracieuse permission de Yva Momatuik et John Eastcott. Tiré de This Marvellous Terrible Place: Images of Newfoundland and Labrador, Camden House Publishing, Camden East, Ontario ©1988, p. 137
Le mummering était une coutume du temps de Noël selon laquelle des groupes de personnes affublées de costumes ridicules visitaient les résidences du village Ces Mummers ou Jennies, comme ils s'appelaient, se couvraient de vêtements aux couleurs vives, portaient des masques ou se noircissaient le visage et déguisaient leurs voix pour ne pas être reconnus aisément. S'ils étaient bien accueillis dans une maison, on les nourrissait et les abreuvait; en retour, ils divertissaient la compagnie par leurs pitreries, leurs chants et leurs danses, tandis que leurs hôtes s'efforçaient de les identifier. Une fois qu'on l'avait reconnu, un mummer retirait ordinairement son masque. Cette tradition terre-neuvienne est encore en vogue dans diverses régions de la Province.
Même à St. John's, durant les années 1840, on a rapporté au sein de la classe laborieuse des occurrences de mummering, de lords of misrule, de fools et de hobby horses pendant la période des Fêtes. On croit que ces pratiques auront favorisé pour un temps le statu quo, en agissant comme exutoire annuel des tensions sociales. Mais l'abus de boissons alcooliques, rallumant les foyers de dissensions religieuses et politiques, s'est mis à engendrer des violences de toutes sortes, au point où, en juin 1861, toute manifestation de mummering a été interdite à Terre-Neuve.
Après 1861, la pratique du mummering de Noël s'est perpétuée dans divers villages de la côte, parfois relevée de pièces de théâtre originaires d'Angleterre ou d'Irlande. Cette forme de divertissement a été enrichie, sinon quelquefois remplacée, par les spectacles de variétés présentés par des gens de la place, qui ont dominé l'affiche jusqu'au milieu du XXe siècle.
Avec l'aimable autorisation du Archives and Special Collections, Queen Elizabeth II Library, Memorial University of Newfoundland, St. John's, Terre-Neuve
À St. John's, la vigilance des policiers avait signé l'arrêt de mort du mummering. Le théâtre s'est alors alimenté des tournées de la Marine royale britannique et des troupes professionnelles des états-Unis et du Canada, dont les spectacles ont suscité l'apparition, surtout au sein de la classe marchande, de troupes de théâtre amateur dont Johnny Burke, le célèbre compositeur de ballades, s'est plu à faire la satire.
Si le théâtre des villages et celui de St. John's empruntaient l'un et l'autre leur contenu â l'étranger, la tradition des villages venait y intégrer des éléments locaux et, plus important encore, des attitudes locales. à St. John's, le théâtre reflétait les sentiments pro-britanniques et pro-irlandais d'une large part de la classe marchande et professionnelle : les produits importés y avaient donc une prédominance certaine. Il a fallu attendre les années 1970 pour que cette préférence soit contestée, quand des festivals de théâtre provinciaux et nationaux ont permis â quelques pièces écrites localement de trouver une audience. Simultanément, des jeunes comédiens de la première génération après la Confédération, arrivés à l'âge adulte, remettaient en question la position subalterne â laquelle on les avait relégués. Insatisfaits des pièces du répertoire étranger et local, ils se sont mis à écrire et à interpréter des créations collectives, jetant en peu de temps les bases d'un théâtre professionnel local qui exprimait avec force leurs perspectives souvent provocantes sur la réalité et l'histoire de Terre-Neuve.
Photo de Pam Hall, © CODCO, déposée au Archives and Special Collections, Memorial University of Newfoundland, St. John's (Terre-Neuve). Reproduite avec l'aimable autorisation de M. White.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, le gouvernement provincial s'était mis à encourager les arts, tant ceux de la scène que des autres domaines. Mais le nouveau théâtre de création collective, négligé par les agents gouvernementaux chargés de ces programmes, s'est trouvé relégué sur la scène alternative, le théâtre « officiel » se limitant aux festivals de théâtre amateur, aux comédies musicales produites localement et à l'occasionnelle visite de troupes d'ailleurs au Canada. Malgré tout, les créations collectives se sont révélées si populaires que les troupes qui les créaient ont fini par s'assurer le financement du Canada comme de la Province.
Illustration et musique, avec la gracieuse permission de Tickle Harbour. Peinture de la couverture, Brule, oeuvre de Gerald Squires.
Il n'y a pas que sur l'île que le théâtre a prospéré. Au Labrador, la tradition de la création collective est florissante, comme le prouve le Creative Arts Festival animé par les jeunes du Labrador. En plus du théâtre, qui inclut souvent des musiciens, les arts de la scène ont également connu une forte expansion dans le secteur de la danse contemporaine et de la nouvelle danse dont les thématiques, comme au théâtre, rejoignent souvent la vie et l'expérience de Terre-Neuve.