Colonisation officielle : la mise en valeur de Terre-Neuve

L'Angleterre de la fin du XVIe siècle s'intéressait de plus en plus à l'implantation de colonies en Amérique du Nord. Au nombre des promoteurs, il y avait Anthony Parkhurst, auteur d'un opuscule sur Terre-Neuve, et Sir Humphrey Gilbert, qui avait fait escale dans le havre de St. John's en 1583, avant son tragique voyage de retour vers le continent.

Sir Humphrey Gilbert, vers 1584
Sir Humphrey Gilbert, vers 1584
Gracieuseté de The Rooms Provincial Archives Division (B16-18), St. John's (Terre-Neuve).

Un des membres de cette expédition, Edward Hayes, favorisait également l'idée de coloniser Terre-Neuve. De tels projets étaient souvent fondés sur la prémisse erronée que le climat nord-américain, celui de Terre-Neuve en particulier, serait similaire à celui des pays européens comme la France et l'Angleterre, situés sur la même latitude.

Ces projets étaient aussi largement motivés par la volonté des Anglais d'étendre leur emprise sur la pêche et le commerce du poisson, encore dominés par d'autres pays à la fin du XVIe siècle. Dans cet esprit, les promoteurs mettaient beaucoup d'accent sur la nécessité de fortifications, de droits territoriaux et de garnisons armées.

Il allait toutefois falloir attendre 1604, et la fin de la guerre opposant l'Angleterre et l'Espagne. La paix rétablie, on assiste à un formidable essor des investissements et des activités outre-mer. De nouvelles sociétés commerciales sont fondées, comme la British East India Company (1600). On se met à voir dans les colonies une forme d'investissement apte à produire des profits alléchants par l'exploitation des ressources locales. La première plantation anglaise d'outre-mer a été fondée en 1607, en Virginie. La deuxième, établie en 1610, a été l'établissement de John Guy à Cupids, dans la baie de la Conception (Terre-Neuve). Par la suite, les tentatives d'établissement de colonies dans le Nouveau Monde se sont succédées un peu partout à Terre-Neuve, sur la côte de l'Amérique du Nord et, plus au sud, dans les Antilles.

À l'origine, on a fondé deux principaux types de colonies à Terre-Neuve et ailleurs en Amérique du Nord : celles qui, comme à Cupids, étaient des entreprises commerciales créées par des groupes d'investisseurs, et qu'on a appelées colonies à charte; et celles qui, comme à Ferryland et à Renews, étaient fondées par des particuliers, et qu'on a appelées colonies de propriété.

Les investisseurs de la London and Bristol Company (aussi appelée, plus simplement, 'la Newfoundland Company'), commanditaires de la plantation de Cupids, avaient une certaine expérience de la pêche et du commerce, dans le cas des partenaires de Bristol, ou encore possédaient les capitaux et les contacts auprès des commerçants et des politiciens, dans le cas des marchands de Londres et des courtisans. Plus qu'un simple établissement à l'anse Cupid, ils prévoyaient construire une série de villages par l'entremise desquels ils auraient la main haute sur la pêche à Terre-Neuve et, par voie de conséquence, sur toute l'industrie. Ils confient l'entreprise à John Guy, un marchand de Bristol qui connaissait déjà Terre-Neuve et un des membres fondateurs du groupe d'investisseurs.

La colonie de l'anse Cupid espérait tirer parti des ressources agricoles, forestières et minières. Or, comme les profits se faisaient attendre, la compagnie a commencé à vendre des parcelles de terres à d'autres promoteurs : ainsi, Sir William Vaughan a-t-il pu fonder une colonie de courte durée à Renews, pour ensuite transférer des parcelles de ses terres à Lord Falkland et à Sir George Calvert, le futur Lord Baltimore, fondateur de la colonie d'Avalon à Ferryland.

Sir William Vaughan était un visionnaire, qui envisageait les colonies d'outre-mer comme solution aux problèmes socio-économiques de l'Angleterre, notamment à la surpopulation, au chômage et à la pauvreté. George Calvert, qui allait fonder une colonie à Ferryland en 1621, était fermement convaincu de la rentabilité des colonies d'outre-mer; mais il voulait aussi faire de sa plantation un havre de tolérance religieuse. En dépit de la discrimination officielle à l'égard des Catholiques pratiquée par l'Angleterre protestante, Calvert, lui-même converti au catholicisme, autorisait la présence à Ferryland d'un clergé tant catholique qu'anglican.

Même si des établissements informels se sont maintenus à petite échelle dès le début du XVIe siècle, les colonies à charte et les colonies de propriété se sont toutes soldées par des échecs. Pourquoi? En deux mots, parce que les colons et leurs commanditaires ont réalisé qu'il serait difficile d'habiter à Terre-Neuve à l'année longue, et impossible d'y réaliser des profits. Ainsi, à Cupids et au village voisin de Bristol's Hope, les colons avaient du mal à cultiver le sol, souffraient de la rigueur du climat, ne trouvaient pas de minerai précieux et ne pouvaient pas pêcher sans subir la concurrence des navires de pêche migratoire et les attaques de pirates comme Peter Easton. Les émigrants d'Angleterre étant davantage attirés par les colonies du continent que par Terre-Neuve, la population allait rester faible et fragile. éventuellement, les investisseurs ont fini par abandonner la partie. L'exploitation d'une colonie rentable exige suffisamment de ressources pour faire vivre les colons à l'année longue et pour justifier un commerce d'exportation rentable : or, à Terre-Neuve, seule la pêche faisait entrevoir du potentiel, mais elle n'était praticable que quatre ou cinq mois l'an. Cette industrie pouvait apporter des profits substantiels (après tout, elle l'avait fait pendant plus d'un siècle), pour autant qu'elle demeure une activité saisonnière et migratoire basée en Angleterre.

Ceci dit, ce n'est pas la colonisation qui a échoué, mais le système de colonisation systématique commandité depuis l'Angleterre. Des fouilles menées à Ferryland et, plus récemment, à Cupids, ont révélé que l'établissement par des planteurs avait déjà à cette époque enfoncé dans le sol terre-neuvien les premières racines d'une permanence.

En plus des plantations anglaises, il faut mentionner une tentative sérieuse de colonisation par les Français à Terre-Neuve. La colonie de Plaisance (aujourd'hui Placentia) n'était pas financée par des investisseurs privés ou des particuliers, comme les colonies à charte et les colonies de propriété des Anglais. Il s'agissait d'une colonie royale, fondée par la Couronne française pour défendre les intérêts de l'état. Les Français engagés dans la pêche migratoire florissante avaient adopté depuis plusieurs années l'excellente grève de Plaisance pour y sécher leur morue et, dès 1655, avaient envisagé d'y établir une colonie. Ce n'est qu'en 1664 qu'ils allaient lever le financement nécessaire à l'entreprise. Pour Jean-Baptiste Colbert, le puissant ministre des Finances et des Colonies, un village permanent à Plaisance ne pouvait qu'appuyer l'ambitieux plan d'intégration et de consolidation de la position de la France dans le commerce d'outre-mer.

Carte de Plaisance, 1703
Carte de Plaisance, 1703
Tiré des Nouveaux Voyages dans l'Amérique septentrionale, du Baron de Lahontan (Chicago, A.C. McClurg & Co., 1905), p. 345. Réimpression de l'édition anglaise de 1703, qui comprend une reproduction de la carte originale de 1703. Agrandissement.

Toutefois, la colonie s'est trouvée aux prises avec plusieurs des difficultés éprouvées par les colonies anglaises et les lourds investissements en soldats, en fortifications, en émigrants à gages et en subventions directes n' ont apporté que peu de bénéfices, tous les efforts pour diversifier l'économie se soldant par des échecs. Tant et si bien que le Gouvernement français abandonnait Plaisance à la fin de la Guerre de la Succession d'Espagne (1701-1713), pour tenter un nouveau départ au Cap Breton par la construction de la colonie fortifiée de Louisbourg.

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