Les peuples autochtones et la Confédération

Lorsqu'en 1949, la nouvelle province de Terre-Neuve (et du Labrador) entre dans la Confédération, les gouvernements provincial et fédéral n'ont prévu aucune mesure spéciale pour les peuples autochtones. Non seulement les Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada, une entente qui stipule les modalités de fonctionnement de la province, ne mentionnent-elles pas les peuples autochtones, elles ne précisent pas davantage leur situation au sein de la Confédération. En conséquence, les Innus, les Inuit du Sud, les Inuit et les Mi'kmaq de Terre-Neuve et du Labrador n'ont pas eu droit aux mêmes programmes, services et financement qu'accordait la Loi sur les Indiens aux autres peuples autochtones du Canada.

Dans les années qui suivent l'union au Canada, on ne sait trop si les politiques gouvernementales concernent la population autochtone de la province ni si leur mise en application relève du fédéral ou du provincial. Ce n'est qu'en 1954 qu'Ottawa formule enfin un plan visant à payer les coûts de prestation des services, notamment ceux en santé, destinés aux collectivités autochtones. Même si ce programme prend de l'ampleur au cours des ans, le financement ou les différents services qu'offre le fédéral aux autres groupes autochtones ailleurs au Canada ne sont pas au même diapason.

Les responsabilités financières et constitutionnelles d'Ottawa envers les peuples autochtones de la nouvelle province ne sont pas clairement exprimées dans les Condition de l'union. Cette lacune alimente les tensions entre les Autochtones et les représentants gouvernementaux, ainsi qu'entre les gouvernements fédéral et provincial. Selon les dirigeants autochtones, ce vide les empêche de protéger leur culture, de régler des revendications territoriales et d'obtenir leur autonomie gouvernementale.

Les Conditions de l'union

Le 11 décembre 1948, la future province signe un protocole d'entente, les Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada, qui spécifie les lois et les responsabilités de compétence provinciale et fédérale. Ce protocole touche de nombreux domaines dont la gestion budgétaire, l'éducation, la santé, les droits en matière de ressources, la souveraineté, les forces policières, la défense, les prestations d'assurance-chômage, les pensions de vieillesse, le transport et même la fabrication de la margarine.

Le 25 juin 1947, une rencontre entre des députés de Terre-Neuve et du Labrador et des représentants fédéraux à Ottawa marque le début des négociations de ce protocole, négociations qui se poursuivent tout au long de l'année suivante. Les délégués délibèrent de nouvelles politiques axées sur les peuples autochtones de la province. Les délégués de ces deux ordres gouvernementaux s'entendent pour confier au fédéral la gestion des affaires autochtones à l'instar des autres provinces et territoires. D'ailleurs, avant l'union avec le Canada, le gouvernement provincial ne comptait ni organisme ni ministère consacrés aux Autochtones, et n'avait conclu aucune entente sur des revendications territoriales ou autre.

Il est d'ailleurs précisé dans un résumé des travaux publié en octobre 1947 et intitulé Meetings between Delegates from the National Convention of Newfoundland and Representatives of the Government of Canada, que si Terre-Neuve devient une province canadienne, le gouvernement fédéral sera seul responsable « des Indiens et des Esquimaux » de Terre-Neuve et du Labrador (vol. 2, p.102). Ce document énonce également les avantages et les règles qui s'appliqueront à eux, notamment la gratuité scolaire, des soins de santé gratuits, des allocations familiales identiques à celles de la population blanche, des terres réservées et une exemption sur l'impôt foncier et l'impôt sur le revenu gagné sur la réserve.

Rencontre des délégués
Rencontre des délégués
Page titre, deuxième partie du document Meetings between Delegates from the National Convention of Newfoundland and Representatives of the Government of Canada. Le texte est disponible dans son intégralité en consultant le site Digital Archives Initiative (DAI).
Avec la permission du projet Digital Archives Initiative, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Il indique également que les Autochtones n'auront plus le droit de vote sauf s'ils renoncent à tous les avantages conférés par la Loi sur les Indiens. Contrairement aux Premières Nations du reste du Canada, la population autochtone de Terre-Neuve et du Labrador possède effectivement le droit de vote. En septembre 1948, des fonctionnaires fédéraux de la Division des affaires indiennes se demandent si les parties négociatrices ne pourraient pas modifier les politiques relatives aux Autochtones de la nouvelle province afin justement de préserver leur droit de vote. Ils proposent donc un amendement à la Loi sur les Indiens, sinon un traitement des Autochtones similaire à celui de la population en général. Certains s'interrogent sur la nécessité d'imposer la Loi sur les Indiens à un groupe qui n'a jamais bénéficié d'aucun statut particulier ou d'avantages spéciaux avant l'entrée dans la Confédération.

En octobre 1948, le secrétaire aux Ressources naturelles de Terre-Neuve et du Labrador, K. J. Carter, met en quelque sorte fin à la discussion lorsqu'il signale aux responsables fédéraux que l'application de la Loi sur les Indiens aux Autochtones de sa province constituerait un recul puisqu'ils seraient ainsi privés de leur droit de vote. Il allègue que c'est à son gouvernement que revient la gestion des affaires autochtones, soutenue par des subventions fédérales.

L'option de retrait va à l'encontre de la politique autochtone fédérale. Pourtant, les négociateurs fédéraux et provinciaux y consentent et justifient ainsi leur décision : l'application de la Loi sur les Indiens supprimerait leur droit de vote, l'absence de réserves compliquerait la prestation de services, le nombre d'Autochtones était faible et enfin, bon nombre d'Autochtones étaient déjà en voie d'assimilation dans une société blanche.

Des universitaires ont depuis suggéré d'autres raisons. Par exemple, pour le fédéral, les coûts énormes de la prestation de services dans les régions éloignées du Labrador. Pour le provincial, la possible supériorité des services offerts aux peuples autochtones sous responsabilité fédérale comparativement à ceux offerts au reste de la population. Cette situation n'aurait pas manqué de générer des tensions dans la province (Adrian Tanner, 1998; Edward Tompkins, 1988). À la même époque, le Comité spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Loi sur les Indiens recommande au fédéral l'assimilation des Premières Nations dans la population blanche ainsi que le retrait du statut d'Indien accordé en vertu de la Loi sur les Indiens. Cette orientation politique a pu jouer sur la décision des négociateurs (Maura Hanrahan 2003; Edward Tompkins, 1988).

Après l'entrée dans la Confédération

Les délégués provinciaux et fédéraux s'entendent sur le versement de subventions à la province sans droit de regard sur leur gestion par le fédéral. Toutefois, les Conditions de l'union n'intègrent pas cette modalité. La version finale du protocole d'entente ne prévoit aucune mesure ni ne fait allusion aux Autochtones de la province.

Toutefois, il confirme, quoiqu'indirectement, que les peuples autochtones sont dorénavant de compétence fédérale. La section III du document maintient que les Lois constitutionnelles de 1867 à 1940 s'appliquent pareillement à toutes les provinces canadiennes. La Loi constitutionnelle 1867 atteste que « l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci-dessous, savoir… les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ».

Le fédéral préfère cependant respecter l'entente conclue lors des négociations qui ont abouti à la signature des Conditions de l'union. Pourtant, le manque de directives dans les relations fédérales-provinciales, et de règles précises entre les fonctionnaires et les peuples autochtones, se traduisent au cours premières années de l'union par un versement irrégulier et une gestion chancelante des fonds.

En 1954, la province et Ottawa finissent par s'entendre. Le gouvernement fédéral financera les services de santé, d'éducation et d'aide sociale des Innus et des Inuit du Labrador, et la province s'occupera de répartir les sommes. Les fonctionnaires élargissent cette entente pendant les 30 années suivantes pour y intégrer les services municipaux, l'éducation (réaffirmée), les services sociaux et le développement économique. En 1973, les Mi'kmaq de Conne River ont désormais droit à du financement. Néanmoins, les Autochtones se plaignent fréquemment de ne pas recevoir directement ces sommes. Le gouvernement a plutôt choisi de rediriger l'argent vers des collectivités telles que Sheshatshiu et Nain, où se concentrent d'importantes populations autochtones. Les Autochtones à l'extérieur de ces collectivités n'obtiennent donc pas les services financés par le gouvernement fédéral.

Contrairement aux autres provinces et territoires, la nouvelle province n'a pas de bandes ou de réserves avant les années 1980. Les Autochtones de Terre-Neuve et du Labrador ne peuvent s'inscrire au Registre des Indiens. Leurs territoires, cultures et ressources ne jouissent d'aucune protection. Ils ne peuvent rien y faire. Le gouvernement Smallwood peut donc simplement submerger les territoires de chasse des Mi'kmaq et des Innus et détruire des cimetières innus pour construire les centrales hydroélectriques de Bay d'Espoir et de Churchill Falls.

Le barrage nord de Bay d'Espoir, s.d.
Le barrage nord de Bay d'Espoir, s.d.
La construction de la centrale hydroélectrique de Bay d'Espoir inonde le territoire de chasse des Mi'kmaq.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 075, 5.05.127), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les milieux gouvernementaux et universitaires ont publié plusieurs rapports blâmant les gouvernements fédéral et provincial pour leur gestion des affaires autochtones depuis l'entrée du dominion dans la Confédération. Le plus important d'entre eux est intitulé Report of the Royal Commission on Labrador, publié en 1974. Il révèle que la participation financière du fédéral aux peuples autochtones du Labrador est moindre que celle accordée aux Premières Nations des autres provinces et territoires. Il recommande le versement direct du financement aux Autochtones plutôt qu'à des collectivités déterminées. Ottawa doit aussi procurer les mêmes services et programmes qui existaient partout au Canada.

L'évolution de la situation

Depuis l'union avec le Canada, les Autochtones se sont battus pour conquérir leur autonomie et régler les revendications territoriales. Certains d'entre eux ont même reçu le statut d'Indien en vertu de la Loi sur les Indiens. Même si des dirigeants autochtones soutiennent que les Conditions de l'union ralentissent leur progression, les peuples autochtones se sont considérablement rapprochés de leurs objectifs au cours des dernières décennies.

En 1984, après des années de négociations, les Mi'kmaq de Conne River sont les premiers Autochtones de la province à s'inscrire au Registre des Indiens. Trois ans plus tard, Ottawa reconnaît également la collectivité de Conne River comme réserve d'Indiens inscrits. En 2008, les quelque 7800 Mi'kmaq ne résidant pas à Conne River concluent avec le fédéral un accord de principe qui leur permet d'instituer une bande sans terres aux termes de la Loi sur les Indiens.

En 2004, à la suite du règlement d'une revendication territoriale avec les gouvernements fédéral et provincial, les Inuit du Labrador acquièrent leur autonomie gouvernementale. C'est l'ultime revendication territoriale formulée par les Inuit au Canada et l'aboutissement de plus de 15 ans de négociations. Le 1er décembre 2005, les Inuit du Labrador fondent le gouvernement de Nunatsiavut.

En 2002, l'organisme Innu Nation et deux conseils de bande réussissent à faire inscrire les Innus du Labrador dans le Registre des Indiens. Cette mesure leur donne droit aux programmes et aux services offerts aux autres Premières Nations du Canada. En 2003 et 2006 respectivement, le gouvernement déclare terres de réserve les collectivités de Natuashish et Sheshatshiu. L'organisme Innu Nation mène actuellement des négociations avec les deux ordres de gouvernement dans le but de régler des revendications territoriales et parvenir à l'autonomie gouvernementale.

En 1991, l'organisme Labrador Metis Nation (devenu depuis le NunatuKavut Community Council) dépose auprès du gouvernement fédéral des revendications territoriales pour des terres situées dans les zones centrale et sud-est du Labrador. En 2008, Ottawa n'avait pas encore statué sur la légitimité de cette revendication en vue de possibles négociations.

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