L'administration de la loi jusqu'en 1729

Bien que Terre-Neuve ait été explorée dès le 16e siècle et partiellement colonisée à partir du 17e siècle, aucun gouverneur ni aucun magistrat civil n'ont été en poste jusqu'en 1729. À cette époque, le fait qu'aucun gouverneur ne soit affecté à ce territoire faisait de Terre-Neuve une entité distincte des colonies de la Nouvelle-Angleterre, mais cela ne signifiait pas nécessairement que l'île vivait dans une situation anarchique ou, comme le veut l'imagination populaire, qu'elle était le fief d'amiraux de la pêche tyranniques exerçant la justice de façon arbitraire. Comme il n'y avait pas de gouverneur attitré à St. John's, de nombreuses autorités et juridictions se mêlaient de faire respecter la loi et de gouverner les habitants de l'île et les travailleurs de l'industrie de la pêche.

St. John's, en 1689
St. John's, en 1689
Carte en médaillon du manuel de navigation English Pilot publié en 1689. L'image révèle que la ville était occupée à la fois par les résidants et les travailleurs de la pêche migratoire. Les petits carrés blancs au bord de l'eau indiquent l'emplacement des installations de pêche des résidants (connus sous le nom d'habitants-pêcheurs), tandis que les petits carrés noirs montrent les zones réservées aux travailleurs de la pêche migratoire.
Avec la permission du Centre des études terre-neuviennes, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Carte tirée de A New Chart of the Trading Part of New Found Land, de John Thornton, Londres: Thornton, 1689.

Avant 1729, la gouvernance était assurée à la fois par des institutions et des pratiques juridiques et populaires servant principalement les intérêts de l'industrie de la pêche. Le développement relativement lent des institutions gouvernementales était dû en grande partie à la politique britannique relative à Terre-Neuve et à l'organisation de l'industrie de la pêche. En général, l'île n'était pas considérée comme une colonie au sens traditionnel du terme, mais plutôt comme un poste de pêche saisonnier à l'usage exclusif de l'industrie de la pêche exploitée par l'Angleterre. D'un côté, jusqu'au premier quart du 18e siècle, comme la population établie était encore peu nombreuse, les habitants avaient de la difficulté à se mobiliser pour faire pression sur le gouvernement britannique dans le but de réclamer un gouvernement local. De l'autre, le gouvernement britannique veillait à ses intérêts commerciaux et déployaient des efforts afin que l'industrie de la pêche de Terre-Neuve demeure une industrie essentiellement anglaise. Alors que le peuplement, qui s'étalait tout au long de l'année, était inévitable et indispensable aux activités de la pêche migratoire, la création d'institutions gouvernementales officielles ne semblait pas d'une importance cruciale pour le moment. Jusqu'à la veille de l'instauration du gouvernement représentatif en 1832, les officiels du gouvernement britannique ont douté de la nécessité de doter Terre-Neuve de sa propre Assemblée législative.

L'adoption de la première Charte occidentale, en 1634, a officialisé le droit coutumier qui régissait la pêche et les pêcheurs venus du sud-ouest de l'Angleterre. Cette charte codifiait essentiellement une série de réglementations concernant diverses infractions pouvant nuire aux activités de pêche, notamment le vol et l'état d'ébriété. Elle instaurait entre autres le système des amiraux de la pêche à qui elle octroyait le pouvoir de juger tous les délits et conflits locaux, sauf les crimes violents, lesquels devaient être jugés en Angleterre quand les bateaux y retournaient à l'automne. La Loi sur Terre-Neuve adoptée en 1699, (communément appelée la King William's Act) a établi le fondement de la constitution de l'île, laquelle a été en vigueur jusqu'à la fin du 18e siècle. Elle accordait aux amiraux de la pêche le pouvoir d'administrer la justice dans l'industrie de la pêche et autorisait les commandants des navires de la marine stationnés à Terre-Neuve à agir à titre de juges d'appel. En officialisant le rôle des amiraux de la pêche et des officiers de la Marine royale, la Loi sur Terre-Neuve confirmait l'emprise du gouvernement naval à Terre-Neuve.

Dès le 18e siècle, des systèmes de gouvernance parallèles ont eu cours à Terre-Neuve. L'île était effectivement soumise à une double autorité : d'une part, les lois et réglementations des colonisateurs et, d'autre part, la Charte occidentale (et ainsi, la Loi sur Terre-Neuve) encadrant l'industrie de la pêche. Ce clivage, qui a perduré pendant le 18e siècle, a été marqué par des désaccords entre les officiers de marine et les amiraux de la pêche. Ces derniers faisaient invariablement l'objet de critiques et de moqueries de la part des officiers de marine.

English version