Changements sociaux : de 1949 à 1972

L'adhésion à la Confédération a entraîné une vague de changements sociaux immédiats à Terre-Neuve et au Labrador. Un nouveau réseau routier reliait désormais les collectivités autrefois isolées; les soins de santé devenaient plus abordables; les pauvres de la province recevaient des prestations des programmes d'aide sociale du Canada; et les réformes dans l'éducation amélioraient grandement le système scolaire public.

Mais en dépit de cette amélioration du niveau de vie matériel, les tensions montaient. Plusieurs craignaient qu'une surexposition aux médias nord-américains n'érode les dialectes et modes de vie traditionnels, tandis que d'autres s'indignaient des programmes de relocalisation et de centralisation de la province, qui entraînaient la disparition de centaines de petites collectivités, certaines ayant existé depuis des siècles.

Néanmoins, les deux premières décennies suivant l'adhésion à la Confédération ont été une bénédiction pour le gouvernement libéral de Joseph Smallwood, à qui, dans la conscience collective, on attribuait tous les avantages de faire désormais partie du Canada. L'enthousiasme de la population suscité par le confort matériel et les progrès évidents associés à l'adhésion à la Confédération a aidé Smallwood à rester en fonction pendant près d'un quart de siècle.

Avant la Confédération

Comparativement au reste de l'Amérique du Nord, la société de Terre-Neuve et du Labrador n'était pas très moderne en 1949. Une bonne proportion de ses résidents, en particulier ceux vivant dans les petits villages isolés, pratiquait un mode de vie pratiquement inchangé depuis des générations. La pêche était l'épine dorsale de l'économie, l'argent comptant se faisait rare dans certaines collectivités, où le crédit était toujours présent, et l'électricité, les routes bitumées et d'autres infrastructures n'étaient pas répandues, tout comme les journaux, la radio et d'autres formes de communication de masse.

La Deuxième Guerre mondiale a entraîné le pays dans une brève période de prospérité, les Forces armées américaines et canadiennes employant des milliers d'hommes et de femmes des collectivités environnantes pour construire des bases militaires à St. John's et à Goose Bay, entre autres. Le retour à la paix a cependant mis fin à ce boom de la construction, et nombre de travailleurs ont repris le métier qui était le leur avant la guerre, que ce soit pêcheurs côtiers, bûcherons ou mineurs. Il n'en demeure pas moins que les bases militaires avaient exposé les citoyens de Terre-Neuve et du Labrador à de meilleures conditions de vie, et plusieurs refusaient de retourner au mode de vie plus difficile du passé. En 1949, un vote pour la Confédération était un vote pour le changement, un vote pour la modernisation.

Éducation

Lorsque Terre-Neuve est entrée dans la Confédération, le gouvernement Smallwood a pris sans tarder des mesures pour améliorer le système d'éducation de la province. Pendant la première réunion de la Chambre d'assemblée, il a transformé le Memorial University College en une institution qui décerne des diplômes. La province a également restructuré le système scolaire public et ouvert de grands établissements d'études secondaires régionaux qui accueillaient des étudiants provenant des collectivités environnantes. Les enseignants étaient mieux formés que jamais, en grande partie grâce à l'expansion de la Faculté d'éducation de Memorial University.

La fréquentation scolaire a également augmenté de façon marquée pour diverses raisons. Bien que la Commission de gouvernement ait instauré l'école obligatoire pour tous les enfants âgés de 14 ans ou moins, elle n'appliquait pas activement cette règle. En 1948, seulement 76 p. 100 des enfants du pays allaient à l'école. Nombreux étaient les enfants qui restaient à la maison parce que leur famille n'avait pas les moyens d'acheter fournitures, chaussures ou vêtements d'hiver, ou parce qu'il n'y avait aucune école à une distance raisonnable. Après l'adhésion à la Confédération, les gouvernements provincial et fédéral ont construit une série de routes, rendant les écoles plus accessibles aux gens qui vivaient dans les petits villages isolés. Les autobus scolaires jaunes, pratiquement inexistants avant 1949, sont devenus chose courante et ont commencé à transporter beaucoup d'élèves.

L'augmentation de la fréquentation scolaire peut également s'expliquer par une mesure incitative économique : en tant que citoyens canadiens, les résidents de Terre-Neuve et le Labrador étaient désormais admissibles aux allocations familiales, conditionnelles cependant à l'inscription des enfants à l'école. Dans les années ayant suivi l'adhésion de la province à la Confédération, plus de 90 p. 100 des enfants en âge d'aller à l'école y étaient inscrits. La fréquentation à Memorial University a elle aussi connu une croissance stable, passant de 300 en 1949 à plus de 4 700 en 1966.

Communications et transports

Avant de faire partie de la Confédération, il n'y avait que 195 kilomètres de routes pavées à Terre-Neuve et au Labrador. En 1965, l'autoroute transcanadienne traversait l'île, et la province avait construit des milliers de kilomètres de routes secondaires, reliant les collectivités éloignées avec l'autoroute. Grâce à ces routes, les petits villages ne se trouvaient plus qu'à une journée de voiture des grands centres urbains, mettant ainsi fin à des siècles d'isolement. Au début des années 1970, il y avait approximativement une voiture pour cinq habitants dans la province.

Le transport aérien a lui aussi connu un bel essor. En 1949, le gouvernement Smallwood a participé à la fondation de l'Eastern Provincial Airways, qui deviendra l'une des quelques voies de communication entre le Labrador et l'île. La société Lignes aériennes Trans-Canada, qui deviendra plus tard Air Canada, offrait également des vols quotidiens vers le reste du Canada et le monde entier.

De meilleures technologies de communication ont poussé plus loin l'ouverture de Terre-Neuve et le Labrador au monde. La radio et la télévision ont été particulièrement déterminantes. En 1949, la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) a fait l'acquisition de la Broadcasting Corporation of Newfoundland, modernisé ses installations et ajouté plus de contenu canadien à sa programmation. La radio commerciale a connu une lancée au lendemain de l'adhésion à la Confédération, et une vaste gamme de stations AM et FM ont vu le jour. Souvent calquées sur les modèles nord-américains, elles ont exposé nombre de citoyens de Terre-Neuve et du Labrador – dans plusieurs cas pour la première fois – aux diverses formes de divertissement canadiennes et américaines, y compris la musique occidentale, les messages publicitaires, les flashs d'information, et les jeux-questionnaires.

En 1955, l'entrepreneur Geoff Sterling fondait le premier système de télédiffusion de la province, le réseau privé CJON. Neuf ans plus tard, la CBC suivait avec deux stations, une à St. John's et une à Corner Brook. Bien que le réseau CJON et la CBC laissaient une place à la programmation régionale, ils consacraient beaucoup plus de temps d'antenne au contenu canadien et américain. La publicité était également très présente, mais faisait rarement la promotion de produits locaux.

La politique d'électrification de Smallwood a grandement contribué à toutes les avancées importantes dans la radiodiffusion. En effet, sans électricité, ni la radio ni la télévision ne pouvaient prospérer. En 1949, la moitié de la province seulement avait l'électricité; en 1972, pratiquement tout le monde l'avait.

Santé et bien-être

Une fois membres de la Confédération, les citoyens de Terre-Neuve et du Labrador ont eu droit aux programmes d'aide sociale fédéraux et provinciaux, notamment les allocations familiales, les allocations aux anciens combattants, les prestations d'assurance-chômage et les pensions de vieillesse. En plus de représenter une aide bienvenue pour les pauvres de la province, ces versements ont aidé les petites collectivités à passer d'une économie axée sur le crédit à une économie monétaire. Les pêcheurs, libérés de leur dépendance au crédit accordé par les commerçants pour l'achat de biens de consommation, ont pu devenir des consommateurs indépendants.

Des avancées importantes ont également été réalisées sur le plan des soins de santé publics. Au début de 1957, la province a dévoilé un programme de soins médicaux progressif qui prévoyait la gratuité des soins de santé et des soins hospitaliers pour tous les enfants de moins de 16 ans. Cette même année, la province a adopté la Hospital Insurance Act (loi sur l'assurance-hospitalisation), rendant un large éventail de services médicaux plus abordables pour la population en général; cela comprenait les frais d'hospitalisation, les soins infirmiers et diverses procédures diagnostiques.

Réactions mitigées

L'adhésion à la Confédération a été accompagnée de nombreux changements, qui n'ont pas tous été bien accueillis par la population. La télévision et la radio ont fait entrer la culture et le divertissement nord-américains dans des milliers de foyers de Terre-Neuve et du Labrador, mais plusieurs craignaient la disparition des langues et des modes de vie traditionnels sous l'effet des influences extérieures. Les médias commerciaux ont instauré un matérialisme grandissant et marginalisé les arts et l'artisanat locaux. Les catalogues de vente par correspondance, par exemple, ont fait en sorte que les hommes et les femmes n'avaient plus autant besoin de chandails, chaussettes, couvertures et autres lainages tricotés localement. Les jeunes, attirés par les styles de vie urbains, quittaient les collectivités rurales plus que jamais, grâce notamment aux nouveaux modes de transport pratiques. Des centaines de petits villages ont disparu dans la foulée des programmes de centralisation et de relocalisation du gouvernement.

Le gouvernement Smallwood, pendant ce temps, croyait que tous les changements à l'éducation, aux transports et aux communications attireraient des industriels étrangers et de grandes entreprises à Terre-Neuve et au Labrador et garantiraient des emplois aux générations à venir. À la fin de sa carrière politique en 1972, Smallwood avait contribué à instaurer plus de grands changements sociaux que tout autre chef de gouvernement avant ou après lui. La question de savoir si ces changements étaient pour le bien ultime de la population est encore aujourd'hui débattue par la presse, la population, les artistes, les universitaires et les politiciens.

English version

La relocalisation (en anglais seulement)