Les Autochtones et l'autonomie gouvernementale

De nombreux peuples autochtones de la province et du pays voient dans l'autonomie gouvernementale une façon de préserver leur culture et d'avoir un meilleur contrôle sur leurs terres, leurs ressources et l'administration des lois et des coutumes qui affectent leur existence. Les Autochtones affirment avoir un droit inné de se gouverner eux-mêmes du fait qu'ils ont été les premiers peuples à gouverner le Canada et qu'ils n'ont jamais cédé de plein gré leur autonomie aux colons venus d'Europe; cette position est confirmée dans la Constitution canadienne et a été reconnue en 1995 par le gouvernement fédéral.

Les gouvernements autochtones peuvent prendre plusieurs formes au Canada, mais tous procurent à leurs membres un plus grand contrôle sur les affaires politiques, économiques, sociales et culturelles de leurs collectivités. Les négociations sur les accords d'autonomie gouvernementale sont très longues, et réunissent ordinairement des représentants des Autochtones, de la province et du Canada; les accords sur les revendications territoriales font normalement partie de ce processus. Les gouvernements autochtones œuvrent dans le cadre de la Constitution canadienne, qui prévoit qu'ils collaborent avec les autres paliers de gouvernement (fédéral, provincial et municipal).

À Terre-Neuve-et-Labrador, les groupes autochtones en sont à diverses étapes dans leur quête d'autonomie gouvernementale et d'accords de revendications territoriales. En 2004, les Inuit ont conclu un accord de revendication territoriale et ont obtenu leur autonomie l'année suivante, avec la formation du gouvernement du Nunatsiavut. Les Innus, les Mi'kmaq et les Inuit du Sud (de NunatuKavut) ont eux aussi présenté des propositions d'autonomie gouvernementale ou de revendications territoriales au gouvernement fédéral.

Politique fédérale sur les groupes autochtones

Avant l'arrivée des Européens, les groupes autochtones de Terre-Neuve et du Labrador étaient des nations souveraines formées de peuples autonomes qui exploitaient les ressources naturelles de leur territoire. Bien que ces groupes n'aient jamais cédé de plein gré leur autonomie à des gouvernements étrangers, les Autochtones se sont trouvés, dès les premiers contacts, de plus en plus affectés par les lois et les coutumes européennes, qui venaient souvent limiter leur accès aux ressources et menaçaient leurs cultures. De nos jours, plusieurs groupes autochtones entendent regagner une part de leur autonomie passée en concluant des accords d'autonomie gouvernementale et de revendications territoriales.

Après l'arrivée des premiers colons d'Europe à Terre-Neuve et au Labrador et au Canada, un certain nombre de proclamations, de lois et de décrets officiels ont affecté les droits des Autochtones. Avec l'une des premières, la Proclamation royale de 1763, le roi George III a voulu en partie protéger les habitants autochtones de l'Amérique du Nord britannique. Cette proclamation décrit les Autochtones comme des groupes politiques autonomes et établit les procédures par lesquelles la Grande-Bretagne peut se porter acquéreur de territoires autochtones : ainsi, seule la Couronne, au lieu de colons particuliers, peut acheter des terres des Autochtones, et un groupe autochtone ne peut perdre son titre de propriété qu'en le cédant de plein gré dans le cadre d'une assemblée publique de représentants des Autochtones et de la Grande-Bretagne.

Un siècle plus tard, le Parlement britannique adoptait l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (aussi appelé Loi constitutionnelle de 1867) pour créer le Dominion fédéral du Canada. Cet acte confiait la garde des habitants autochtones au gouvernement canadien, fixant les obligations financières du pays à leur endroit. Aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle amendée en 1982, la population autochtone du Canada inclut « les Indiens, les Inuit et les Inuit du Sud ». Le terme « Indien », aux fins de la Constitution, s'applique aux Innus et aux Mi'kmaq de Terre-Neuve et du Labrador.

En 1876, le gouvernement canadien a adopté la Loi sur les Indiens pour éclaircir les rapports d'Ottawa avec les Autochtones de plein droit et ses responsabilités à leur égard. Cette loi, qui a connu depuis de multiples modifications, assigne au gouvernement fédéral le financement de la prestation de services de santé, d'éducation et d'aide sociale à une large partie de la population autochtone. Toutefois, au moment de l'union avec Terre-Neuve et le Labrador, le Canada n'a pas élargi cette législation pour y inclure la nouvelle province, interdisant aux groupes autochtones d'obtenir le statut légal d'Indiens et d'avoir accès aux services fédéraux. Cette situation s'est améliorée durant les années 1980, quand les Mi'kmaq de Conne River ont été reconnus en vertu de la loi.

En 1969, le gouvernement fédéral a rendu public un livre blanc recommandant l'abrogation de la Loi sur les Indiens et l'assimilation des peuples autochtones à la culture canadienne dominante. Ce rapport a soulevé une tempête de protestations chez les Autochtones, qui sentaient menacés leurs droits issus de traités et leurs autres droits fondamentaux. Bien que le gouvernement canadien l'ait retiré en 1971, ce document avait provoqué chez les Autochtones un mouvement national en vue de protéger leurs droits et leurs cultures. À Terre-Neuve-et-Labrador, la Nation des Innus, la Fédération des Indiens de Terre-Neuve (qui représente aujourd'hui de nombreux Mi'kmaq), l'Association des Inuit du Labrador et la Nation des Métis du Labrador (connue aujourd'hui comme le Conseil communautaire du NunatuKavut) ont été formées en réaction à ce livre blanc. Dans les années et décennies subséquentes, bon nombre de groupes autochtones au Canada ont étudié diverses stratégies pour obtenir l'autonomie gouvernementale ou pour régler des revendications territoriales avec les autorités fédérales et provinciales.

Ce n'est qu'en 1995 que le gouvernement fédéral a reconnu officiellement que les groupes autochtones avaient un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Canada a aussi convenu que les peuples autochtones du pays avaient des besoins distincts et leurs histoires propres, ce qui entraîne qu'un même système de gouvernement ne conviendra pas à tous les groupes. En conséquence, Ottawa a revu ses politiques de négociation pour accommoder une large gamme de demandeurs, y compris les Indiens de plein-droit et les Indiens non inscrits, les Inuit et les Inuit du Sud.

Autonomie gouvernementale des Autochtones au Canada

Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC), un ministère fédéral, négocie et veille à l'application des accords de revendications territoriales et d'autonomie gouvernementale au nom du gouvernement du Canada. Ces négociations durent parfois des années, voire des décennies, et doivent franchir une série d'étapes, notamment l'accord-cadre, l'accord de principe, l'accord définitif, la ratification et la mise en œuvre. Ceci dit, avant même d'entamer ce processus, les groupes autochtones doivent effectuer des recherches afin de rédiger et de soumettre au ministère une proposition, que ce dernier peut accepter ou refuser de négocier. Si la proposition est rejetée, les Autochtones doivent mener d'autres recherches et soumettre une proposition révisée.

Pour être efficaces, les gouvernements autochtones doivent avoir une autorité et des pouvoirs législatifs sur une vaste gamme de secteurs. Le gouvernement fédéral autorise les groupes autochtones à négocier des compétences complètes sur certains secteurs liés aux affaires internes et à la préservation de la culture (détermination des structures d'autorité et de constitutions internes; institution de tribunaux autochtones; création de lois de portée locale ou régionale; santé; éducation; mariages; adoption et protection de l'enfance; police; droits de propriété; agriculture; chasse, pêche et trappage sur leurs territoires; taxes foncières; travaux publics; et aménagement des ressources naturelles).

Les pouvoirs des gouvernements autochtones sont limités dans d'autres domaines, où ils sont tenus de collaborer avec d'autres paliers de gouvernement et ne sont pas libres de légiférer à leur guise : le divorce, la protection civile, l'administration de la justice, la main-d'œuvre et la formation professionnelle, les pénitenciers et le programme de libération conditionnelle, la protection de l'environnement et la cogestion des pêches.

Enfin, d'autres domaines restent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Ce sont ceux qui sont liés à la souveraineté, à la défense et aux relations extérieures du Canada, y compris le commerce international, la politique étrangère, la sécurité et les frontières nationales, la conclusion de traités internationaux et l'immigration. Le Canada conserve aussi son autorité sur les champs d'action qu'il estime d'intérêt national, comme le service postal, les réseaux de transport nationaux, la régulation de l'économie nationale et le respect de la loi et le maintien de l'ordre dans le pays.

AANC relève que le Canada a conclu 17 accords d'autonomie gouvernementale avec 36 collectivités amérindiennes; 15 de ces accords sont associés à des accords sur les revendications territoriales globales. En date de 2009, ce ministère était engagé dans 80 négociations différentes avec quelque 384 collectivités dans le pays.

Autonomie gouvernementale des Autochtones de Terre-Neuve-et-Labrador

Les négociations des peuples autochtones de Terre-Neuve-et-Labrador avec les autorités fédérales et provinciales en sont à diverses étapes. Les Inuit ont obtenu l'autonomie gouvernementale en 2005, et ont formé le gouvernement du Nunatsiavut. Ils ont aussi conclu un accord global sur un territoire de 72 520 km2 dans le nord du Labrador, qui intègre les cinq principales localités inuit de Nain, Hopedale, Rigolet, Makkovik et Postville. Le parlement des Inuit du Labrador est appelé Assemblée du Nunatsiavut; son président et ses députés sont élus pour des mandats de quatre ans.

De leur côté, les Mi'kmaq de Conne River se sont inscrits en 1984 à titre de bande en vertu de la Loi sur les Indiens et Ottawa a confirmé en 1987 la légitimité de leur statut de réserve, ce qui leur permet d'avoir accès aux programmes, aux services et aux subsides fédéraux. Ces Mi'kmaq ont présenté des revendications territoriales auprès du gouvernement fédéral, mais Ottawa n'a pas encore entamé de négociations officielles à ce sujet. En 2008, quelque 7 800 Mi'kmaq vivant à l'extérieur de Conne River ont conclu un accord de principe avec le gouvernement fédéral pour former une bande sans territoire en vertu de la Loi sur les Indiens.

En 2002, la Nation des Innus a obtenu que ses membres soient reconnus comme Indiens inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens. Le gouvernement a aussi reconnu comme terres de réserve les localités de Natuashish (en 2003) et de Sheshatshiu (en 2006); les résidants de ces deux collectivités élisent des conseils de bande pour représenter leurs besoins et leurs préoccupations. La Nation des Innus a soumis une demande de revendication territoriale au gouvernement fédéral en octobre 1990, ce qui a mené à la signature d'une entente-cadre en 1996. Le groupe négocie actuellement un accord de principe avec les administrations fédérale et provinciale, et a aussi entamé en 2006 la négociation d'un accord d'autonomie gouvernementale.

La Nation des Métis du Labrador (maintenant appelée Conseil communautaire de NunatuKavut) a présenté à Ottawa, en 1991, une demande de revendication territoriale globale pour des terres du centre et du sud-est du Labrador; en date de 2009, le Conseil communautaire de NunatuKavut attendait de savoir si ses interlocuteurs acceptaient ou refusaient de négocier sa proposition. Le conseil communautaire représente quelque 6 000 Métis vivant au Labrador.

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