La restitution à la France (1763-1815)

Au terme de la guerre de Sept Ans, la France avait perdu son empire colonial en Amérique du Nord. Pour préserver ses pêcheries, elle a insisté pour que les privilèges associés à la pêche garantis par le Traité d'Utrecht (1713) soient rétablis et qu'un « abri » soit fourni aux pêcheurs migratoires de la métropole française. À cet effet, la Grande-Bretagne a restitué l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon à la France. En 1763, les autorités françaises ont repris possession des îles et, dès l'année suivante, une petite population de résidents français s'y était réinstallée.

Certains de ces habitants venaient de l'Île Royale, d'où ils avaient été exilés vers la France en 1758 après la capture de Louisbourg par les Britanniques. En 1766, un certain nombre d'Acadiens se sont installés à Miquelon dans le vain espoir de reprendre leur mode de vie agraire traditionnel. Ceux qui n'ont pas délaissé les îles après quelques années d'essais agricoles infructueux se sont tournés vers la mer, pêchant jusqu'à 15 à 20 kilomètres au large dans des chaloupes non pontées. Certains des résidents se servaient de goélettes et de brigantines pour pêcher sur le banc de Saint-Pierre, à quelque 75 kilomètres de distance, et, à un moindre degré, sur les Grands Bancs, encore plus éloignés, négligeant les bancs Banquereau et à Vert. Des flottilles de terre-neuvas de France sont aussi apparues et ont rapidement noué des liens d'interdépendance avec les résidents de Saint-Pierre. Au printemps, des goélettes de 50 tonneaux en moyenne, avec autour de huit hommes d'équipage, partaient de France à destination de Saint-Pierre, capturant une cargaison de poisson en route. Elles débarquaient ces premières prises à Saint-Pierre pour le séchage, et retournaient aux bancs pour y prendre une deuxième, voire une troisième, cargaison de morue, retournant chaque fois décharger leurs prises à Saint-Pierre pour les faire sécher. Ces trois premières cargaisons étaient livrées sur le marché par d'autres navires que les banquais. Après un quatrième voyage sur les bancs, les goélettes rentraient en France avec une cargaison de morue verte vendue sur les marchés français traditionnels. Ainsi, Saint-Pierre n'a pas seulement développé sa propre industrie de pêche, elle est devenue un élément essentiel de la pêche métropolitaine française sur les bancs.

Séchage de la morue à Saint-Pierre
Séchage de la morue à Saint-Pierre
Au printemps, des pêcheurs venaient de France pour capturer deux ou trois cargaisons de morue sur les Grands Bancs et les déchargeaient à Saint-Pierre, où elles étaient séchées.
Illustration de Burns. Tirée de Prowse, D. W., A History of Newfoundland from the English, Colonial and Foreign Records, Macmillan, Londres, 1895, p. 578.

En dépit de la richesse des eaux environnantes, les îles elles-mêmes ne possédaient pas toutes les ressources nécessaires pour soutenir la pêche. En 1763, un officier de la Marine britannique décrivait ainsi l'archipel :

« arides et désertes..., dénuées de toutes les nécessités vitales, sans matériaux pour bâtir des maisons, ni provisions pour les aider à passer l'hiver ... ils se fient à nos colonies pour subvenir à tous leurs besoins, et les invitent à commercer en termes très pathétiques, promettant de payer pour tout en mélasse, en produits français ou en lettres de change. »
(PRO Adm 1/482, correspondance de Lord Colville à Philip Stephens, 25 octobre 1763).

Commerce entre les Français et les Anglais

Dans ce contexte, un commerce dynamique s'établit durant quelques années après 1763 entre les îles françaises et les commerçants itinérants de la Nouvelle-Angleterre. Les autorités britanniques n'ont pas pu interrompre ces échanges, qui n'ont diminué qu'au moment où la demande de bois d'œuvre et de provisions de Saint-Pierre a été satisfaite au milieu des années 1760, lorsque la plupart des maisons, des entrepôts, des chafauds et des navires de pêche eurent été construits. Subséquemment, tous les biens d'importation encore requis seraient fournis par la flotte croissante de banquais de Saint-Malo.

Dès lors, des échanges de nature différente s'établiront entre Saint-Pierre et Terre-Neuve. Les Saint-Pierrais vont se rendre sur la côte sud pour y chasser et y couper du bois pour se chauffer et construire leurs vigneaux et leurs chafauds. Ils ont commencé aussi à acheter de la morue préparée par les colons terre-neuviens. Ces derniers étaient intéressés à ce commerce parce que les marchands de Saint-Pierre leur vendaient des provisions et de l'équipement à moitié prix de ce que leur demandaient les marchands britanniques de Terre-Neuve.

En plus du commerce, des liens culturels favorisaient les rapprochements entre les Français de Saint-Pierre et les résidents des côtes voisines de Terre-Neuve. En 1759, la baie de Plaisance était devenue la région la plus irlandaise de Terre-Neuve. Ses habitants étaient tous catholiques, une religion dont la pratique sera interdite à Terre-Neuve jusqu'en 1784. Même alors, faute du clergé requis, les résidents irlandais de la péninsule de Burin et de la côte sud se rendaient célébrer mariages et baptêmes à Saint-Pierre.

Guerre et évacuation

Malgré leurs efforts, les Britanniques ne sont pas parvenus à décourager ces relations, qui n'ont été interrompues qu'au moment où l'éclatement de la guerre a forcé l'évacuation des îles. Cette situation est survenue à deux reprises : d'abord en 1778, lorsqu'une guerre larvée entre l'Angleterre et la France a amené John Montagu, le gouverneur de Terre-Neuve, à mener une offensive contre l'archipel français; puis en 1793, au début de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, lorsqu'un détachement de Halifax, sous le commandement du capitaine William Affleck, a pris possession des îles.

Le gouverneur John Montagu (1719-1795), s.d.
Le gouverneur John Montagu (1719-1795), s.d.
Montagu a dirigé une offensive contre l'archipel français en 1778.
Peinture de  Richard Cosway (1742-1821). Reproduction autorisée sous licence dans le domaine public par Wikimedia Commons

Dans le premier cas, les habitants ont été renvoyés en France et leurs maisons ont été détruites. Cette évacuation s'est révélée de courte durée : l'archipel a été rendu à la France en 1783, et sa population autorisée à y revenir. Dans le second cas, seuls les pêcheurs saisonniers et la garnison ont été exilés immédiatement; les 950 habitants ont pu y rester jusqu'en 1794, année où on leur a ordonné de partir. L'archipel a alors été saisi et ses installations ont été utilisées par des pêcheurs anglais jusqu'à l'apparition en 1796 d'une escadre française commandée par le contre-amiral De Richery. Ce fut alors au tour des Anglais d'abandonner l'archipel, et des Français de détruire la ville. Les îles allaient rester désertes jusqu'en 1816, lorsque leur possession par la France a été rétablie, de concert avec une population résidente. Ce n'est qu'à partir de ce moment que l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon a été en mesure de jouer son rôle voulu de soutien d'une pêche résidente locale tout en servant d'établissement pour la flotte de pêche française en Amérique du Nord.

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