La pêche migratoire et le commerce du poisson en Angleterre au 17e siècle

La pêche migratoire reste fondamentalement la même pendant 300 ans. Les méthodes, les activités et le savoir-faire semblent imperméables au changement. Pourtant, l'industrie de la pêche ne peut se soustraire aux vicissitudes de la politique et aux perturbations socioéconomiques du monde occidental.

À l'aube du 17e siècle, la France et l'Angleterre sont des nations concurrentes dans les eaux de Terre-Neuve. Ce siècle sera tout sauf paisible. Pirates et corsaires sillonnent les mers, guerres civiles et guerres internationales se succèdent, la colonisation est en marche, la politique se centralise, la pêche connaît de mauvaises années, la maîtrise et le développement de ce secteur font l'objet de fortes rivalités. Toutes ces circonstances ébranlent l'industrie de la pêche. Sa survie exige des solutions qui forcent son évolution. Des pays renoncent à poursuivre cette activité. L'importance d'autres pays s'estompe. Seul un nombre très limité de pays persistent et s'imposent dans l'industrie de la pêche au 18e siècle.

Les pêcheurs du sud-ouest de l'Angleterre

L'industrie de la pêche à la morue, tout au début du 17e siècle, se concentre dans le sud-ouest de l'Angleterre. Les pêcheurs des îles Anglo-Normandes de Guernesey et de Jersey font souvent la traversée. Entre 1615 et 1640, 70 % des bateaux de pêche anglais qui se rendent à Terre-Neuve partent du sud-ouest de l'Angleterre. C'est une région géographiquement bien située et prospère. Elle peut aussi compter sur des marins d'expérience pour la pêche à Terre-Neuve.

Le sud-ouest de l'Angleterre regroupe cinq comtés : Dorset, Devon, Somerset, Hampshire et les Cornouailles. Même si ces deux derniers comtés se retirent de la pêche à Terre-Neuve, ils fournissent encore une partie de la main-d'œuvre. L'économie du comté de Somerset est pour sa part plus diversifiée, et la pêche migratoire est dès lors fortement liée aux comtés de Dorset et de Devon.

Le sud-ouest de l'Angleterre
Le sud-ouest de l'Angleterre

Illustration de Duleepa Wijayawardhana, d'après les recherches de Wendy Churchill. ©1998 Site web du Newfoundland and Labrador Heritage.

Outre la pêche, le commerce du textile et de la laine participe aussi à la prospérité de cette région. En Angleterre, comme ailleurs en Europe, la pêche constitue un enjeu économique de taille en raison des emplois secondaires qui s'y rattachent. Dans son livre Discourse and Discovery of the Newfoundland publié en 1620, Richard Whitbourne décrit quelques-uns des produits nécessaires à l'industrie de la pêche : filets, hameçons, plombs, lignes, cordage, pain et bière. Pâtissiers, brasseurs, tonneliers, marchands de fournitures pour bateaux, fabricants de filets, d'hameçons et d'articles de pêche, forgerons et cordiers sont les gens de métier parmi tant d'autres dont la contribution à l'industrie de la pêche est primordiale, même s'ils ne quittent jamais leur foyer en Angleterre. Malgré la distance qui les sépare, ces gens sont liés à l'industrie de pêche tout autant que le trancheur et le maître de grave à Renews sur la côte de Terre-Neuve.

Le grand risque des marchands entrepreneurs

C'est un petit groupe de marchands entrepreneurs du sud-ouest de l'Angleterre qui a la mainmise sur Terre-Neuve. Ils se surnomment eux-mêmes les « aventuriers de l'Ouest ». Ils partagent les mêmes intérêts commerciaux, forment fréquemment des alliances par le mariage et ils sont très riches. Ce pouvoir et cette cohésion leur confèrent énormément d'influence dans la région. Pourtant, la pêche à Terre-Neuve suscite d'intenses rivalités commerciales entre marchands, familles marchandes ou même collectivités marchandes, tout aussi déchirés par des différends de nature religieuse et politique. Ces antagonismes éclatent souvent au 17e siècle et témoignent des écueils qui accompagnent ce commerce.

Au cours des 20 premières années du 17e siècle, la pêche est en plein essor. Jusqu'en 1620, environ 300 bateaux de pêche anglais voguent chaque année vers Terre-Neuve. Jusqu'à 80 bateaux partent d'un seul port du sud-ouest de l'Angleterre. Plusieurs facteurs expliquent cette croissance. La guerre avec l'Espagne prend fin en 1603, et les pêcheurs espagnols ne sont plus les bienvenus à Terre-Neuve. À cela s'ajoute l'abondance de la ressource et un excédent de capitaux. Toutefois après 1620, le sort s'acharne sur l'industrie de la pêche. Certains ports du sud-ouest de l'Angleterre n'ont d'autre choix que d'abandonner cette activité.

Les pirates

Jusque vers 1640, des pirates barbaresques, connus aussi sous le nom de corsaires de Salé, sont un ennemi redoutable du commerce du poisson. De nationalités diverses, ces pirates sont d'anciens marins qui ont choisi la piraterie. Leurs ports d'attache sont situés en Afrique du Nord. Mais la piraterie n'est pas nouvelle à Terre-Neuve. Peter Easton et Henry Mainwaring, des pirates notoires, sont parmi ceux qui attaquent l'île pendant les années 1610. Cette forme de piraterie est saisonnière comme la pêche. Les havres pris d'assaut varient selon les incursions.

Il en va différemment pour le commerce. Les cargaisons des bateaux qui partent au printemps pour la pêche et celles des navires destinées au marché (les sack ships) valent une fortune. La perte d'un de ces bateaux représente un dur coup financier pour le marchand entrepreneur.

Un croquis d'Edward Barlow du navire de transport Real Friendship, en 1668
Un croquis d'Edward Barlow du navire de transport Real Friendship, en 1668
Edward Barlow est un marin naviguant à bord de ce navire entre Londres et Ténérife. L'année suivante, pendant le chargement d'une cargaison de poisson, le bateau prend feu et coule.

Tiré de Barlow's Journal of His Life at Sea in King's Ships, East & West Indiamen & Other Merchantmen from 1659 to 1703, Edward Barlow, Hurst & Blackett Ltd, Londres, 1934, vol. I, p. 143.

Les corsaires de Salé s'en prennent surtout aux navires marchands. Ils sillonnent le littoral du Portugal et de l'Espagne afin de les repérer et de les intercepter avant leur arrivée aux marchés portuaires. Ils parcourent impunément la Manche, car ni la France ni l'Angleterre ne peuvent compter sur une marine capable de les arrêter. Les pertes subies sont stupéfiantes autant en hommes qu'en navires marchands. De 1624 à 1628, la seule ville de Poole déclare la perte de 20 bateaux, ce qui équivaut au nombre de bateaux en partance pour Terre-Neuve chaque année. Par la suite, la ville ne peut expédier plus que trois bateaux vers l'île.

Les guerres

Les nombreuses guerres qui éclatent après 1620 entre l'Angleterre et diverses autres nations européennes s'ajoutent aux problèmes que subit la région du sud-ouest de l'Angleterre. La marine recrute les pêcheurs, la marine marchande est ciblée par l'ennemi et les pays en guerre avec l'Angleterre lui ferment leurs marchés. La seule suggestion d'un possible conflit perturbe les activités commerciales. En 1623 par exemple, la simple menace du déclenchement d'une guerre avec l'Espagne amène le gouvernement britannique à imposer un embargo sur les exportations de poisson vers ce pays. Le tort causé à la pêche et au commerce du poisson par la première guerre civile anglaise (après 1640) et les conflits avec l'Espagne et la Hollande dans les années 1650 se révèlent si graves qu'en 1660, le nombre de bateaux de pêche est passé de 300 à tout juste 100. En 1684, 43 bateaux seulement appareillent pour Terre-Neuve.

Plusieurs ports du sud-ouest renoncent tout simplement à ce commerce. Ainsi, Falmouth et Fowey, deux ports des Cornouailles, cessent leurs activités de pêche. Les ports de Lyme Regis, Weymouth, Southampton et même Plymouth (pourtant un port de pêche d'une grande importance au début du siècle) abdiquent aussi. La situation ne fait qu'empirer avec le déclenchement de la guerre avec la France après 1690. Le gouvernement anglais interdit alors à tous les bateaux de pêche de se rendre à Terre-Neuve. En effet, la marine a besoin de marins expérimentés. En conséquence, la pêche migratoire ne redémarre pas avant 1693.

L'industrie de la pêche toujours imprévisible et incertaine n'a jamais été sans risque, même en l'absence de pirates et de guerres. Les naufrages, la fraude, des prises médiocres et des marchés saturés sont des éventualités possibles. La pêche peut enrichir un marchand entrepreneur qui perdra ensuite cette fortune dans d'autres activités commerciales. Les hauts et les bas se succèdent. Il se méfie donc de toute nouvelle situation et devient fataliste. Les marchands entrepreneurs ne cessent de prédirent les malheurs qui les guettent, se lamentent, se disent menacés de ruine et se plaignent de profits de misère et de coûts colossaux. Toutes ces lamentations soulèvent une pointe d'incrédulité. Pourtant, à la fin du 17e siècle, la pêche migratoire est bel et bien sur le point de sombrer. D'ailleurs, les noms de nombreux marchands entrepreneurs prééminents de ce secteur d'activité sont tombés dans l'oubli.

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