Les expéditions anglaises précédant celle de Jean Cabot

Même si c'est à Jean Cabot qu'est attribuée la découverte officielle de Terre-Neuve par les Européens, nous savons que des bateaux anglais s'aventurent, depuis 1480, dans les eaux inconnues de l'océan Atlantique.

De fait, John Day effectue en 1480 la première expédition connue. En 1481, deux bateaux en partance du port de Bristol, le George et le Trinity, prennent la mer à la recherche de l'île de Brasil, un lieu légendaire dont le nom dérivé du gaélique signifie « béni » ou « chanceux ». Ces bateaux transportent du sel, ce qui laisse croire à une expédition vers des lieux de pêche. En 1498, un Espagnol établi à Londres déclare que des marchands de Bristol financent depuis plusieurs années des expéditions pour trouver l'île mythique de Brasil. Enfin, il y a la lettre de John Day, un marchand anglais participant aux activités commerciales des Espagnols. Dans cette lettre sur l'expédition de Jean Cabot en 1497, Day affirme que la terre découverte par Cabot est en effet le continent que les hommes de Bristol avaient déjà aperçu.

La lettre de John Day
La lettre de John Day
Dans cette lettre, le marchand anglais, John Day, s'adresse à un Espagnol non identifié qu'il appelle « Monseigneur et grand amiral », et qui serait selon toute vraisemblance Christophe Colomb.
Tiré de WILSON, Ian. John Cabot and the Matthew, Redcliffe Press, Tiverton, Angleterre, ©1996, p. 6. Avec la permission des Archives nationales de l'Espagne, Valladolid, Espagne.

Pour certains, cette information indique que les expéditions qui précèdent celle de Jean Cabot concernent surtout la découverte des lieux de pêche de Terre-Neuve. En conséquence, les marchands qui les financent dissimulent cette découverte aussi longtemps que possible pour ne pas devoir les partager. Alwyn Ruddock suggère plus prudemment que ces nombreuses expéditions représentent plutôt des tentatives de retrouver des lieux de pêche découverts par hasard, mais perdus depuis.

Est-ce possible? Pouvons-nous affirmer que des pêcheurs de Bristol avaient déjà découvert les lieux de pêche de Terre-Neuve avant Jean Cabot? Quel était l'intérêt des marchands de Bristol d'explorer l'Atlantique?

Bristol et l'exploration de l'Atlantique au 15e siècle

Vers la fin du 15e siècle, Bristol semble l'endroit tout désigné pour financer des expéditions transatlantiques axées sur l'exploration et la découverte. C'est un des ports de commerce les plus prospères de l'Angleterre, le deuxième en importance après celui de Londres. Cette prospérité découle de son rôle d'intermédiaire au sein d'un réseau commercial regroupant l'Islande, le nord-ouest de l'Europe, la péninsule Ibérique et la Méditerranée. Les 250 marchands de Bristol mettent leur fortune et leur dynamisme au service du commerce dans l'Atlantique Nord. L'emplacement de la ville, située au sud-ouest de l'Angleterre, leur confère un avantage considérable. Ils ont la possibilité d'élargir les connaissances géographiques et d'améliorer les techniques de navigation, ce qui encourage davantage l'exploration des océans.

Le produit le plus recherché de ce réseau commercial est le poisson de l'Islande, très en demande dans l'Europe méridionale. Vers la fin du 15e siècle, les marchands de Bristol sont victimes de harcèlement en Islande. Leur approvisionnement en poissons devient ainsi précaire. Selon les historiens qui sont d'avis que les marchands connaissent déjà l'existence de Terre-Neuve, le harcèlement qu'ils subissent les pousse à rechercher d'autres lieux de pêche. Cette hypothèse présente toutefois quelques failles.

D'abord, la ville de Bristol est centrée sur les échanges commerciaux et non la pêche. Les marchands de Bristol font le commerce du poisson pêché par d'autres. Les pêcheurs anglais qui pêchent dans les eaux islandaises partent du port de Hull et d'autres ports situés sur le littoral de la mer du Nord. Les marchands de Bristol qui financent les expéditions vers l'Atlantique dans les années 1480 et 1490 cherchent avant tout de nouveaux débouchés et de nouveaux partenaires commerciaux. Ils ne sont pas en quête d'autres lieux de pêche. Ensuite, à supposer qu'ils connaissent l'existence de Terre-Neuve avant 1497, Jean Cabot n'aurait-il pas rencontré des bateaux de pêche anglais durant son périple? De fait, il ne signale d'aucune manière des indices lui suggérant que des Européens ont déjà mis les pieds à Terre-Neuve. Enfin et surtout, les marchands de Bristol ne semblent pas s'intéresser à Terre-Neuve après 1497. Ils ne s'empressent pas d'investir dans la poursuite de l'exploration de l'Atlantique comme nous pourrions nous y attendre s'ils avaient découvert Terre-Neuve bien avant les autres. D'ailleurs, la part des pêcheurs anglais dans les lieux de pêche de Terre-Neuve ne s'accroît pas substantiellement avant 1570.

Tout indique qu'au 15e siècle, les marchands de Bristol soutiennent les expéditions dans l'Atlantique afin de trouver de nouveaux marchés plutôt que de nouveaux lieux de pêche. Il semble bien qu'avant la découverte de Terre-Neuve par Jean Cabot en 1497, personne ne connaissait cette île et ses extraordinaires eaux poissonneuses.

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