Le French Shore (aussi appelé Treaty Shore)

La côte française appelée French Shore est issue du traité d'Utrecht ratifié en 1713. Aux termes de ce traité, la France a obtenu le droit de pêcher en saison sur la partie du littoral de Terre-Neuve comprise entre le cap Bonavista et la pointe Riche, une zone fréquentée depuis le début du 16e siècle par des pêcheurs de la Bretagne qui l'appellent le petit nord.

Le French Shore 1713-1783
Le French Shore 1713-1783
Le traité d'Utrecht permet aux Français de pêcher en saison sur la côte de Terre-Neuve, entre le cap Bonavista et la pointe Riche.
Carte produite par Tanya Saunders. © 2001 sur le site Web du patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador.

Relations entre Français et Anglais

Jusqu'à ce que la guerre se déclare de nouveau en 1756, il y a eu peu d'altercations entre les pêcheurs français et les pêcheurs britanniques à Terre-Neuve. Cela s'explique du fait que les Français pêchaient surtout au nord de cap St. John et les Britanniques, au sud. Cependant, l'élargissement des îlots de peuplement britanniques et l'intensification des activités de pêche dans les baies de Bonavista et Notre Dame ont soulevé certaines tensions, d'autant que le processus s'est accéléré lorsque les Français ont cessé provisoirement de venir à Terre-Neuve pendant la guerre de Sept Ans (1756 1763).

Avec la ratification du traité de Paris (1763), la France a pu reprendre la pêche sur le Treaty Shore, et elle a reçu en compensation de la perte du cap Breton les îles de Saint Pierre et Miquelon. Lorsque les Français sont retournés au petit nord, ils n'y étaient plus seuls. Comme les colons et pêcheurs britanniques s'y trouvaient alors en assez grand nombre (plus particulièrement au sud de cap St. John), le gouvernement français a commencé à protester.

Les Français disaient jouir d'un droit de pêche exclusif sur le Treaty Shore, c'est à dire qu'ils étaient les seuls autorisés à pêcher le long de cette partie du littoral durant la saison. Les Britanniques ont alors répliqué que le traité d'Utrecht ne prévoyait pas un droit exclusif, mais qu'il s'agissait plutôt d'un droit concurrent : les pêcheurs de l'un et l'autre pays étaient autorisés à utiliser le Shore qui, après tout, était territoire britannique. Cette divergence de vues fondamentale ne sera d'ailleurs jamais réglée.

On a essayé cependant de régler le problème une fois pour toutes à la fin de la Révolution américaine. Dans le traité de Versailles (1783), conclu entre la Grande Bretagne et la France, les limites du Treaty Shore ont été revues pour couvrir le littoral du cap St. John au cap Ray, ce qui a laissé les baies de Bonavista et Notre Dame aux Britanniques, mais a offert en contrepartie aux Français la côte ouest de Terre-Neuve. En outre, une déclaration annexée au traité prévoyait que le gouvernement britannique empêcherait les pêcheurs britanniques d'interrompre la pêche française par leur concurrence et qu'il « ordonnerait le déplacement des îlots de colonisation fixes qui s'y formaient ».

Le French Shore 1783-1904
Le French Shore 1783-1904
Dans le traité de Versailles (1783), conclu entre la Grande Bretagne et la France, les limites du Treaty Shore ont été revues pour couvrir le littoral du cap St. John au cap Ray.
Carte produite par Tanya Saunders. ©2001 sur le site Web du patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le gouvernement français a alors compris, non sans raison, que les Britanniques reconnaissaient désormais leur droit exclusif. Il semble donc que les Français ont été à peu près les seuls à exploiter les eaux du Shore de 1783 jusqu'au début d'une autre guerre en 1793. Cette situation s'est maintenue jusqu'en 1815, une longue période au cours de laquelle les pêcheurs résidents de la baie de la Conception et d'ailleurs ont commencé à pêcher régulièrement l'été dans le petit nord. Cette pêche d'été, connue sous le nom de la pêche du North Shore, a entraîné une augmentation du nombre de colons dans la région.

Retour au Treaty Shore

Les pêcheurs français sont revenus au Treaty Shore, ainsi qu'aux îles Saint Pierre et Miquelon, à la fin de la guerre. Forts de leur présumé droit exclusif, les Français ont amené les goélettes terre-neuviennes pêchant dans les eaux du Shore à se rendre sur la côte du Labrador et, apparemment, ils ont forcé un grand nombre de colons à déménager. Seul un petit nombre de familles ont été autorisées à rester en tant que gardiens des installations de pêche des Français.

Installations de pêche des Français, s.d.
Installations de pêche des Français, s.d.
Les installations de pêche des Français à Cap Rouge, près de Conche dans la péninsule Great Northern.
Artiste inconnu. Tiré de A History of Newfoundland from the English, Colonial, and Foreign Records, de D.W. Prowse, 2e éd. Londres : Eyre and Spottiswoode, 1896, p. 258.

À partir de 1830, le volume des pêches françaises sur le Treaty Shore a décliné alors que la population résidente locale a augmenté considérablement, plus particulièrement à partir des années 1860. Le gouvernement terre-neuvien, qui tolérait de moins en moins la présence française sur le Shore (et, par le fait même, l'existence même des traités), a dénoncé violemment les déclarations des Français concernant leur droit exclusif et l'illégalité des îlots de peuplement des colons. Les escadrons français et britanniques sillonnant le Shore recevaient un nombre croissant de plaintes de la part de leurs compatriotes, et plusieurs négociations ont eu lieu entre la France, la Grande Bretagne et Terre-Neuve pour tenter de trouver une solution diplomatique qui convienne à toutes les parties. Ces négociations ont été un échec.

Un atout de taille

Malgré le déclin de ses activités de pêche sur le French Shore (alors que celles sur les Bancs augmentaient en flèche), la France était fermement résolue à conserver ses privilèges jusqu'à ce que la Grande Bretagne lui offre une compensation convenable. La France savait qu'elle possédait une monnaie d'échange en ce temps où ses rapports avec la Grande-Bretagne n'étaient pas toujours cordiaux. À partir de 1857, le gouvernement de Terre-Neuve a exigé de participer activement aux négociations de toutes les ententes et de donner son accord. N'appréciant pas la concurrence de la France sur les marchés européens du poisson, il a refusé de lui accorder des compensations sous quelque forme que ce soit (comme un accès gratuit aux provisions d'appâts), car il ne voulait pas donner aux Français un avantage quelconque dans les pêches de l'Atlantique Nord. En outre, Terre-Neuve souhaitait que la France réduise ou supprime toutes les subventions à la pêche.

Vu l'inflexibilité de chacun, le gouvernement britannique n'a pas pu, pendant de nombreuses années, conclure une nouvelle entente concernant le French Shore. La situation a changé au début du 20e siècle, lorsque la Grande Bretagne et la France ont entamé des démarches visant un règlement des différends qui les opposaient. Dans ces circonstances plus favorables, la France et Terre-Neuve ont alors trouvé un terrain d'entente. Aux termes de la convention anglo française de 1904, qui fait partie de l'Entente cordiale, la France a renoncé à ses privilèges de pêche à Terre-Neuve, qui lui avaient été conférés par le traité d'Utrecht, mais les pêcheurs de nationalité française ont pu continuer à pêcher à l'intérieur des limites traditionnelles sans toutefois utiliser le littoral. La Grande Bretagne a accepté d'indemniser financièrement les fournisseurs français qui avaient des installations sur le Treaty Shore, et a cédé également à la France un territoire en Afrique de l'Ouest. La Convention est demeurée en vigueur jusqu'en 1972.

L'incidence du Treaty Shore

Le Treaty Shore a eu une incidence importante sur l'histoire de Terre-Neuve. Le peuplement et le développement du Shore ont été retardés en raison de la présence française, et les Terre-Neuviens de cette région n'ont bénéficié d'à peu près aucun service gouvernemental jusqu'en 1880, année où ils ont pu finalement être représentés au gouvernement et où des magistrats ont été nommés. L'exercice des droits fonciers et miniers est demeuré précaire jusqu'en 1904. Les décisions relatives au tracé du chemin de fer de Terre-Neuve ont été prises en fonction du French Shore, tout comme la décision de construire la première usine de papier journal à Grand Falls et non sur la côte ouest. En outre, les disputes concernant les droits de pêche des Français ont été l'une des principales causes du nationalisme terre-neuvien qui a émergé au milieu du 19e siècle.

Les traités du 18e siècle concernant le French Shore ont engendré dans l'Empire britannique une situation unique : une pêche protégée pratiquée par une puissance étrangère dans les eaux britanniques, régie par les lois et coutumes de cette puissance, et supervisée par les escadrons des marines britannique et française dont les officiers avaient des interprétations très divergentes des droits respectifs des pêcheurs français et terre-neuviens. Avec le recul, cette remarquable fresque historique nous apparaît plus claire.

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