Famille et influence politique

La famille

Pour bien comprendre la complexité du commerce du poisson et les inquiétudes qu'il peut causer, il faut lire les instructions données aux capitaines des navires marchands, appelés sack ships en anglais. Ces instructions témoignent des inquiétudes des investisseurs et soulignent les responsabilités du capitaine. Elles indiquent aussi les mesures qu'entend prendre un marchand entrepreneur pour faire des profits.

Le capitaine d'un navire marchand doit être capable de prendre seul des décisions puisqu'il n'est pas en mesure de consulter le marchand entrepreneur. La confiance entre les deux partis est donc primordiale. Bon nombre de marchands incitent d'ailleurs des membres plus jeunes de leur famille à devenir capitaines. Non seulement ce rôle les prépare-t-il à prendre la relève de l'entreprise, mais ils sont aussi dignes de confiance.

L'expansion et la diversification du commerce, de même que la consolidation des liens à Terre-Neuve et en Europe, exigent bientôt la présence d'un représentant ou d'agent sur le territoire de pêche ou les marchés. Ce poste est souvent occupé par des fils ou des neveux. Parfois, un marchand entrepreneur s'associera en affaires avec un capitaine de navire particulièrement compétent. Un mariage d'intérêt soigneusement arrangé vient quelquefois sceller cette association.

C'est la voie qu'emprunte la famille White. Originaire de Poole, cette famille de marins et de capitaines depuis le début du 17e siècle se transforme peu à peu en famille marchande bien implantée dans l'industrie de la pêche de Terre-Neuve. Le personnage principal de cette ascension est le capitaine Samuel White (1642-1720). Il épouse Mary Taverner, également originaire de Poole, dont la famille possède de solides relations commerciales dans cette industrie. Grâce aux liens du mariage, les fils de Samuel White entrent au sein d'importantes familles marchandes des villes de Poole et de Weymouth. En raison de ses alliances avec la famille Taverner, la famille White se retrouve aussi associée à deux autres puissantes familles marchandes du nom de Lester et Masters. Ainsi donc, dès le milieu du 18e siècle, et à la suite de mariages savamment orchestrés, la famille White fait partie des plus importantes familles marchandes évoluant dans l'industrie de la pêche.

Des mariages bien calculés et des héritiers mâles sont les leviers qui permettent à un marchand de rehausser son statut et de protéger sa fortune et son influence contre les imprévisibilités de l'industrie de la pêche de Terre-Neuve au 17e siècle.

L'influence politique

L'influence politique représente un autre outil susceptible de protéger les intérêts d'un marchand entrepreneur. Les maires de villes de port de pêche et les membres du parlement issus des régions concernées exercent des pressions sur le gouvernement pour qu'il penche favorablement du côté de la pêcherie.

Les marchands entrepreneurs du sud-ouest de l'Angleterre (qui se nomment eux-mêmes les aventuriers de l'Ouest) formulent avec précaution les pétitions qu'ils remettent au gouvernement. En effet, les priorités et les points de vue des marchands et du gouvernement peuvent diverger considérablement. Les marchands masquent leurs véritables intentions afin d'obtenir la réponse désirée. Par exemple, ils sont déterminés à bloquer toute réglementation et intervention gouvernementales. Ils s'opposent donc à la colonisation et réclament que la pêche reste libre. Ils font valoir que la colonisation ne causerait pas seulement du tort à l'industrie de la pêche de Terre-Neuve, mais pourrait également nuire à la formation de bons marins que favorise cette pêche migratoire. Puisque rien ne confirme ou n'infirme la viabilité ou le bien-fondé d'une colonisation de l'île, le gouvernement accorde donc aux marchands des pouvoirs administratifs et judiciaires sur la pêche. Les marchands entrepreneurs du sud-ouest se voient octroyer par charte (ultérieurement modifiée) en 1634 les droits de superviser et de réglementer leurs propres activités de pêche à Terre-Neuve.

Cette charte reconnaît les marchands comme les uniques et légitimes représentants de leurs intérêts en matière de pêche. Dès qu'une menace surgit, ils exigent du gouvernement qu'il valide de nouveau leurs droits et leurs privilèges sans toutefois solliciter une intervention gouvernementale dans les activités de la pêche. La réaction des marchands du sud-ouest à l'augmentation de la pêche par bye-boat au milieu du 17e siècle l'atteste clairement.

La pêche par bye-boat

Les gardiens (propriétaires) de bye-boats possèdent des installations de transformation du poisson et pêchent dans les eaux côtières de Terre-Neuve, mais ils habitent en Angleterre durant la saison hivernale. Ils traversent chaque année l'océan sur des bateaux de pêche comme passagers accompagnés des hommes qu'ils ont engagés pour la pêche et qui travailleront non en échange d'une quote-part mais d'un salaire déterminé. Si la plupart de ces derniers, comme leurs employeurs, repartent chaque année à la fin de la saison de pêche, un certain nombre d'entre eux passent l'hiver sur l'île pour surveiller les installations et le matériel.

Les activités des bye-boats sont généralement limitées à un ou deux bateaux comprenant entre 5 et 12 hommes, mais parfois il y a 5 bateaux et 30 hommes en action.

Les temps difficiles qui sévissent au milieu du 17e siècle donnent naissance à cette forme de pêche particulière. Ces pêcheurs bénéficient d'avantages qui échappent aux habitants-pêcheurs trop peu nombreux. À leur retour en Angleterre à l'automne, ils peuvent arrondir le revenu qu'ils ont touché en occupant un autre emploi l'hiver. Au printemps, ils apportent à l'île des provisions et des articles de pêche qu'ils ont achetés en Angleterre pour une fraction du prix que paient les habitants-pêcheurs de Terre-Neuve.

Contrairement aux propriétaires de gros bateaux de pêche, les gardiens de bye-boats jouissent de plusieurs avantages. Ils n'ont pas la responsabilité d'armer un bateau. Les coûts sont donc beaucoup moins élevés. Ils partent tôt dans l'espoir de mettre la main sur de bonnes installations de transformation du poisson. Les hommes qu'ils ont recrutés travaillent à salaire fixe. Le recrutement de travailleurs compétents est plus facile si la pêche traverse des années difficiles. Ils vendent leurs prises aux navires marchands. Ils évitent ainsi de payer eux-mêmes le transport de la cargaison et sa mise en marché.

Des marchands du sud-ouest de l'Angleterre s'engagent directement ou indirectement dans cette activité, mais la majorité s'y oppose au départ. Ils parviennent même, en 1661 et en 1671, à convaincre le gouvernement de modifier leur charte pour mettre un frein au passage des gardiens de bye-boats vers Terre-Neuve.

Cette réglementation est pourtant inapplicable. Les marchands ne s'entendent pas entre eux et ils ne veulent à aucun prix d'une intervention gouvernementale. Ils finissent par comprendre que cette activité, loin de leur nuire, peut se révéler lucrative. Il suffit d'imposer des frais pour le transport de ces hommes et de leur matériel vers Terre-Neuve.

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