Débarquement à Terre-Neuve

Le lieu du débarquement de Jean Cabot soulève de grandes émotions à Terre-Neuve. Une tradition locale bien établie affirme que Jean Cabot a repéré le cap Bonavista. Il semble que moins d'importance soit accordée au reste de la côte qu'il a navigué. Cette idée particulière aurait au moins pour origine la carte de Terre-Neuve que John Mason dessine en 1617. Cette dernière a fait l'objet de plusieurs éditions.

La carte de Terre-Neuve de John Mason, vers 1617
La carte de Terre-Neuve de John Mason, vers 1617
En 1616, John Mason est nommé au poste de gouverneur de la colonie anglaise de Cupids Cove (Cuperts Cove sur la carte) dans la baie de la Conception. Il est le premier anglais à dessiner une carte de Terre-Neuve. L'orientation des cartes anciennes comme celle-ci est souvent invertie avec le nord au bas de la carte.
Avec la permission du Centre for Newfoundland Studies, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.L.

Cette carte mentionne de nombreux noms de lieux connus sur la côte anglaise. La mention « Bona Vista Caboto primum reperta » est inscrite près du cap Bonavista, appelé Faulkland du Nord. John Mason, administrateur de Terre-Neuve pendant trois ans et demi pour la compagnie de Londres et de Bristol, aurait, selon plusieurs, tiré ses renseignements d'une ancienne carte maintenant perdue, ou auprès de pêcheurs du sud-ouest de l'Angleterre. C'est le seul document historique qui pourrait corroborer un débarquement au cap Bonavista. Ce document s'appuierait à son tour sur les dires des pêcheurs qui connaissaient John Mason ainsi que les fils ou les petits-fils de ceux qui ont navigué avec Jean Cabot. On peut tout aussi bien affirmer que John Mason, et peut-être ses informateurs, ont choisi le cap Bonavista parce qu'eux-mêmes ont opté pour ce point d'arrivée et de départ au cours des années.

La latitude de navigation

Il semble raisonnable de prendre fait et cause pour un débarquement au cap Bonavista. Ce raisonnement est d'autant plus solide si le Matthew, en s'éloignant de l'embouchure du canal de Bristol, adopte très tôt une latitude et s'y maintient avec les courants marins et les variations du champ magnétique qui, selon des experts, le font dévier plus au sud. C'est ce que soutient globalement Fabian O'Dea dans un article très convaincant sur la probabilité d'un débarquement au cap Bonavista. (Fabian O'Dea, 1988) À son avis, Jean Cabot s'oriente vers l'ouest en partant de Fastnet. Il se laisse porter par le courant du Labrador en se rapprochant de l'Amérique du Nord. C'est également à cet endroit qu'une tempête frappe l'expédition. Le cap Bonavista devient alors un candidat intéressant pour un débarquement.

W. A. Munn, un autre historien originaire de Terre-Neuve, appuie cette hypothèse. Il suggère que John Mason signale expressément en latin la découverte de Jean Cabot au-dessus du cap pour que les cartographes de l'Espagne, du Portugal, de la France ou de l'Italie en comprennent bien la signification. Son geste porte ses fruits puisque l'auteur d'une carte française, Du Pont de Dieppe (1625), nomme le cap Bonavista « Primum Inventa » (nommé le premier). W. A. Munn rejette de manière cinglante les partisans d'un débarquement sur l'île du Cap-Breton. Il déclare même que les Canadiens dépassent les bornes en confirmant une hypothèse qu'ils ne sont pas en mesure de prouver. (W. A. Munn, 1936) Fabian O'Dea lui emboîte le pas, avec moins de véhémence toutefois, lorsqu'il remet en question l'argumentation favorable à l'île du Cap-Breton.

Les trajets proposés par Leo English et W. A. Munn
Les trajets proposés par Leo English et W. A. Munn
Illustration de Duleepa Wijayawardhana, 1997.

La navigation le long des côtes

Si le cap Bonavista est le point de chute de l'expédition de Jean Cabot, que fait-il ensuite? W. A. Munn (1936) avance que Jean Cabot s'est dirigé vers le nord-ouest puisqu'il naviguait déjà en direction de l'ouest. Il vogue vers la péninsule Great Northern, le sud du Labrador, puis il est repart en Angleterre. W. A. Munn situe au Labrador le cinquième drapeau de la carte de Juan de la Cosa qui désigne le cap d'Angleterre. Pour L. E. F. English (1962), le littoral flanqué de drapeaux sur la carte La Cosa représente la côte est de Terre-Neuve. Il amène Jean Cabot à la presqu'île Avalon. L'île Baccalieu est l'île à laquelle Jean Cabot a donné le nom de St. John. C'est peut-être aussi la partie sud-est de la péninsule d'Avalon, car en entrant dans la baie de la Conception vers le sud, cette terre ressemble à une île. Leo English n'approuve pas entièrement l'hypothèse Bonavista. Selon lui, Jean Cabot aurait franchi le passage The Narrows et serait entré dans ce qui est aujourd'hui le port de St. John's le 24 juin. (L. E. F. English, 1962) F. O'Dea (1988) convient que Jean Cabot a navigué au sud. Il pense plutôt qu'il a contourné le cap Race et continué jusqu'à l'île du Cap-Breton avant de changer de cap et d'explorer la côte plus à fond. D'après Fabian O'Dea, c'est le trajet qui correspond le mieux aux indices.

La carte Mappa Mundi de Juan de la Cosa, vers 1500
La carte Mappa Mundi de Juan de la Cosa, vers 1500
Pilote et cosmographe, le basque espagnol Juan de la Cosa dessine cette carte peu après 1500. Propriétaire de la Santa Maria, le vaisseau qui fait partie de l'expédition de Christophe Colomb en 1492, il accompagne ce dernier dans ses deux premières expéditions. Il continue à effectuer un levé de la côte américaine jusqu'en 1504. La version à plus grande échelle de détails de cette carte révèle cinq étendards de la couronne anglaise et la légende « mar descubierta por inglese » (« la mer découverte par les Anglais »). La rose des vents a été ajoutée.
Tiré de The Discovery of North America W. P. Cummings, R. A. Skelton et D. B. Quinn, McClelland and Stewart Limited, Montréal, ©1971, p. 36. Avec la permission du Museo Naval de Madrid, Madrid.

Une autre carte que plusieurs partisans du débarquement négligent est celle dessinée par Giacomo Gastaldi en 1556. Sa représentation de Terre-Neuve et du Labrador ressemble à la représentation de ces îles dans les autres cartes pendant le premier siècle suivant leur découverte, à quelques exceptions près. Il y a dessiné des Indiens, des oiseaux de proie et des activités de pêche. Le plus intrigant est la grande croix située au nord du cap Race et « C. de Speranza » mais au sud de « Bacalaos » et « Bona Vista » sur la côte est.

La carte de Giacomo Gastaldi
La carte de Giacomo Gastaldi
Dessinée en 1556, découverte en 1850.
Avec la permission du Centre for Newfoundland Studies, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Pour sa part, E. G. R. Taylor suggère plutôt que Jean Cabot a débarqué à la pointe sud de la péninsule d'Avalon et que son point de départ vers l'Angleterre est le cap Bauld (E. G. R. Taylor, 1963).

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Le débarquement à Terre-Neuve selon E. G. R. Taylor
Le débarquement à Terre-Neuve selon E. G. R. Taylor
Illustration de Duleepa Wijayawardhana.
©1997, site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador.

Des indications très sommaires

Nous ne connaîtrons probablement jamais précisément l'endroit du débarquement de Jean Cabot et ni où l'ont mené ces explorations ultérieures. Le peu que nous savons est trop limité et nous avons pu constater les diverses interprétations possibles, du débarquement au sud sur l'île du Cap-Breton ou plus au sud encore, au débarquement dans le détroit de Belle-Isle, en passant par un débarquement plus à l'est dans la péninsule de Bonavista ou dans la péninsule d'Avalon. Nous ne pouvons que nous appuyer sur des probabilités et compléter les preuves documentaires au moyen de la science moderne de la mer et des techniques de navigation de Jean Cabot.

Si nous tenons compte de tous les faits connus, nous pouvons affirmer que Jean Cabot a sillonné les côtes pendant un mois après son arrivée, qu'il a découvert la majeure partie du territoire alors qu'il était sur le chemin du retour, et qu'il a été récompensé pour la découverte d'une nouvelle île. Ce fut la grande découverte de 1497. Elle a occupé pratiquement toute son attention. Son trajet l'a mené si loin à l'est qu'il a pu aboutir en pleine mer et revenir en Europe très rapidement. Ce qui est le plus probable, semble-t-il, est un débarquement effectué plus au nord, suivi d'un cabotage presque complet de la grande île dans le sens contraire des aiguilles d'une montre qui en a établi la superficie.

La légende de Bonavista est populaire à Terre-Neuve

Malgré toutes ces hypothèses, la légende du débarquement dans la péninsule de Bonavista reste bien vivante à Terre-Neuve. D. W. Prowse est l'un de ceux qui a grandement participé à garder bien présente dans l'esprit des Terre-Neuviens l'histoire de Jean Cabot. Son livre History(1895) se termine par le rappel de cette légende telle que racontée dans la péninsule : « Au matin du 24 juin 1897, 400 ans se seront écoulés depuis que Jean Cabot a aperçu le verdoyant cap Bonavista; 4 siècles auront passé depuis que l'étrave du Matthew a gémi sur la berge graveleuse de Keels et que King's Cove a vu l'érection de l'étendard royal … » [traduction libre] Aujourd'hui, plus de 500 ans se sont écoulés depuis le débarquement de Cabot. Quelle ironie de constater que nous en savons davantage sur l'arrivée de Jacques Cartier de l'autre côté de la péninsule de Bonavista en 1534.

L'endroit d'où Jean Cabot a aperçu Terre-Neuve varie selon l'hypothèse privilégiée : « Prenons l'éternel débat qui entoure Jean Cabot, écrit Theodore Layng. Plus personne ne pense vraiment qu'il est important de connaître précisément le trajet qu'il a suivi jusqu'au Canada ou le lieu de son débarquement. Par contre, lorsque tous les morceaux du casse-tête sont examinés, la recherche d'une réponse est un exercice de réflexion amusant. » (Theodore Layng, 1963)

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