La colonisation de Terre-Neuve et la pêche migratoire

En 1620, l'ancien gouverneur de la colonie de Bristol's Hope (Harbour Grace), Robert Hayman, déclare que la colonisation de Terre-Neuve est honorable, rentable, réalisable, facile et arrive à point nommé. Les colonies de Cupids, Ferryland et toutes les autres ont participé au peuplement de certaines régions de la péninsule d'Avalon. Ce n'est toutefois pas la règle. Le peuplement de la côte anglaise, entre Bonavista et Trepassey, résulte plutôt de la pêche migratoire et des installations des pêcheurs provenant du sud-ouest de l'Angleterre.

La côte anglaise au 17e siècle
La côte anglaise au 17e siècle
Illustration de Duleepa Wijayawardhana © 1998 Site Web du Newfoundland and Labrador Heritage.

La colonisation permanente

Vers la fin du 17e siècle, l'idée d'une colonisation permanente à Terre-Neuve ne fait pas l'unanimité. À Londres, à la fin des années 1670, le Committee for Trade and Plantations [comité en matière de commerce et de plantations] finit par l'autoriser. Certains marchands du sud-ouest de l'Angleterre, qui font le commerce du poisson, s'y opposent. Les raisons qu'ils évoquent alors ont persisté. Ainsi, des historiens ont affirmé qu'une exploitation fructueuse des zones de pêche de Terre-Neuve ne nécessitait nullement une colonisation de l'île, les activités de pêche ne s'y prêtant pas.

Nombreux sont ceux qui avancent des arguments contraires. Ceux-ci reposent sur une logique économique qui correspond aujourd'hui à la notion de ressource collective en matière de pêche. La protection des activités de pêche de l'Angleterre sous-tend aussi bien les premières propositions de colonisation formulées par Robert Hayman que le débat qui se tient vers la fin du 17e siècle sur l'instauration nécessaire d'un gouvernement.

La concurrence entre les pêcheurs

Pourquoi faut-il protéger ces activités ? La pêche est une ressource collective, donc difficile à délimiter ou à conserver en propriété exclusive. Les pêcheurs n'ont donc aucun droit de propriété sur leurs zones de pêche et ne peuvent empêcher la venue d'intrus. Au 17e siècle, les affrontements entre pêcheurs sont fréquents. Cette situation est d'ailleurs toujours d'actualité. La rivalité entre pêcheurs saisonniers et pêcheurs insulaires dont nous parlent les historiens est représentative (et l'a toujours été) de la vive concurrence entre pêcheurs, un phénomène largement répandu.

Cet antagonisme ne se limite pas à la côte anglaise de Terre-Neuve. Les Français et les colons anglais installés sur les côtes du Maine et du Massachusetts font face aux mêmes problèmes. Des pêcheurs démolissent les chafauds de leurs rivaux et volent leurs embarcations. C'est la logique économique de la ressource halieutique en libre accès qui incite les pêcheurs à de tels méfaits.

À Terre-Neuve, un capitaine de pêche migratoire qui retient les services d'un résident de l'île bénéficie d'un avantage sur ses concurrents, même s'il doit y mettre le prix, car celui-ci veillera sur ses embarcations et ses chafauds et lui gardera l'accès à des installations. Si un capitaine de pêche embauche un gardien pour l'hiver, ses rivaux estiment indispensable d'avoir le leur. Les pêcheurs qui négligent de protéger leur matériel se retrouvent à la merci de ceux qui assurent la protection de leurs propres embarcations et installations.

C'est sous cet angle qu'il faut examiner les rapports entre les pêcheurs français et anglais. Les pêcheurs anglais commencent à s'établir de façon permanente au milieu du 17e siècle. Inévitablement, les pêcheurs français choisissent de s'implanter pour sauvegarder leurs installations et poursuivre leurs activités. Ainsi est née la colonie de Plaisance (Placentia) en 1662. Par ailleurs, c'est la présence même de cette colonie qui justifie l'effort de la colonisation anglaise. Le traité d'Utrecht de 1713 interdit la colonisation par les Français. Les pêcheurs français en métropole jugent ainsi que la colonisation anglaise confère aux pêcheurs anglais un énorme avantage commercial.

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