Les Autochtones et les Européens 1600-1900

Pendant une bonne partie des 17e et 18e siècles, les activités économiques caractéristiques de Terre-Neuve et du Labrador ne favorisent pas les interactions entre les groupes autochtones et les Européens. Pour les pêcheurs qui traversent l'Atlantique pour pratiquer la pêche migratoire, ces deux territoires ne servent qu'à établir des installations de pêche saisonnière. La majorité des bateaux arrivent au printemps et repartent en août. Les relations durables entre les pêcheurs et les Autochtones sont donc rares. L'établissement de colonies sur l'île et au Labrador n'intéressant vraiment pas les gouvernements européens, ces derniers ne négocient donc pas de traités territoriaux avec les groupes autochtones, comme c'était le cas ailleurs en Amérique du Nord.

Gravure montrant une famille inuit du Labrador, vers 1812
Gravure montrant une famille inuit du Labrador, vers 1812
Pendant une bonne partie des 17e et 18e siècles, les interactions entre les Autochtones de Terre-Neuve et du Labrador et les Européens sont limitées.
« Esquimaux Indians of the Coast of Labrador, Communicated by a Moravian Missionary. » Dessin de Garret, gravé par Chapman. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (C-025700).

Au 19e siècle, le nombre d'Européens qui s'installent à Terre-Neuve et au Labrador augmente sans cesse, et les rencontres qu'ils font avec les peuples autochtones se multiplient. Sans être nécessairement négatifs, ces contacts modifient en profondeur la société et les traditions de ces peuples. Peu à peu, le christianisme sape les fondements du chamanisme, l'anglais se substitue aux langues autochtones et l'économie de subsistance fait place aux échanges commerciaux avec les Européens. Pour leur part, les gouvernements s'abstiennent de toute interférence auprès des Autochtones et préfèrent déléguer aux missionnaires et aux marchands l'application de la loi, la réglementation des activités commerciales et la distribution de vivres et autres formes d'aide aux groupes autochtones.

Les groupes autochtones et la pêche migratoire

La pêche migratoire se pratique du 16e au 19e siècle à Terre-Neuve et au Labrador. Quatre groupes autochtones y habitent et vivent de ces ressources : les Innus et les Inuit au Labrador, les Béothuks et les Mi'kmaq sur l'île. Les interactions avec les Européens diffèrent d'un groupe à l'autre, mais jusqu'au 20e siècle, aucun d'eux n'a de véritables contacts avec des représentants gouvernementaux.

Illustration d'hommes innus, 1863
Illustration d'hommes innus, 1863
Dessin de W. G. R. Hind, chromolithographie de Hanhard. Tiré de Explorations in the Interior of the Labrador Peninsula: The Country of the Montagnais and Nasquapee Indians, Henry Youle Hind, Longman, Green, Longman, Roberts, and Green, Londres, 1863, vol. 2, p. 96.

Cette situation est plutôt inhabituelle. Ailleurs en Amérique du Nord, les autorités coloniales négocient fréquemment des traités de cession territoriale avec les groupes autochtones pour l'obtention de terres destinées au peuplement, à l'agriculture ou à d'autres desseins. Les gouvernements européens portent un plus vif intérêt à l'abondance des stocks de morue qu'aux territoires. Ce n'est pas avant les années 1800 que la colonisation est envisagée. Les fonctionnaires coloniaux s'intéressent plutôt aux régions côtières de Terre-Neuve et du Labrador pour faciliter les activités de la pêche migratoire. La nomination de négociateurs auprès des groupes autochtones devient donc inutile.

À mesure que les nations européennes se disputent la possession des terres dans le Nouveau Monde, elles nomment des agents chargés de leur garantir l'appui ou la neutralité des Autochtones. Par exemple, pendant l'ère coloniale, les autorités françaises en Nouvelle-Écosse s'allient aux Mi'kmaq. Par contre, à Terre-Neuve et au Labrador, c'est le pays possédant la plus puissante force navale qui peut affermir son hégémonie. Les gouvernements britannique, français et autres n'ont donc nul besoin du soutien des groupes autochtones.

Les relations entre les peuples autochtones et les autorités coloniales de Terre-Neuve et du Labrador sont à peu près inexistantes. Toutefois, les Autochtones interagissent parfois avec les pêcheurs venus d'Europe. Certaines de ces rencontrent offrent des avantages aux deux parties, mais d'autres sont sources de mésententes et de conflits. Ainsi, un motif récurrent de discorde concerne les installations et le matériel de pêche abandonnés l'automne et l'hiver par les pêcheurs. Ces derniers laissent derrière des embarcations, des huttes, des vigneaux, des chafauds, des hameçons et autres articles de pêche. Les Béothuks et les Inuit s'emparent des clous, des bouilloires, des hameçons et de tout outil en métal. Souvent, ils mettent le feu aux structures ou les détruisent. À leur retour, les pêcheurs constatent l'ampleur des dommages. Cette situation crée des tensions qui dégénèrent parfois en violence.

Les missionnaires et les commerçants de fourrures

Les relations sont plus fréquentes entre les missionnaires, les sociétés de traite commerciales et les Autochtones, surtout dans la deuxième moitié du 18e siècle. Pour la gestion des populations autochtones, les fonctionnaires coloniaux comptent sur les missionnaires et les commerçants de fourrures plutôt que sur des agents de liaison dûment mandatés. Dans les années 1770, sir Hugh Palliser, le gouverneur de Terre-Neuve et du Labrador, demande aux missionnaires moraves, une secte protestante établie au Groenland, de fonder des missions au Labrador en raison de leur expérience avec les Inuit de ce pays. Il espère ainsi qu'ils pourront désamorcer l'hostilité qui s'accentue entre les Inuit et les Européens.

C'est à Nain en 1771 que les missionnaires moraves établissent leur première mission. D'autres sont rapidement implantées ailleurs au Labrador. En plus de fournir aux Inuit des soins médicaux, et une instruction religieuse et scolaire, les missionnaires moraves prennent en main les échanges commerciaux. Ils interdisent également aux Européens de pénétrer dans le périmètre de la mission. Les missionnaires cherchent à préserver certains aspects culturels des Inuit. Ils leur apprennent à lire et à écrire en inuktitut et traduisent dans cette langue le Nouveau Testament, mais ils encouragent l'adoption des préceptes chrétiens au détriment du système de croyance des Inuit. Les relations entre les colons du Labrador et les Inuit se multiplient pendant le 19e siècle. Des colons s'unissent à des femmes inuit. Leurs descendants sont les Inuit du Sud et les Kablunângajuit d'aujourd'hui.

Les sociétés de commerce de la fourrure du Labrador traitent plutôt avec les Innus. La plus importante est la Compagnie de la Baie d'Hudson qui installe un poste de traite en 1831 au centre du Labrador. Les missionnaires catholiques se rendent aussi jusqu'aux postes de traite du Labrador dans la deuxième moitié du 19e siècle et y rencontrent les Innus. Les commerçants de fourrures et les missionnaires servent d'intermédiaires entre le gouvernement et les Innus. Ils distribuent aux familles en difficulté des vêtements et des vivres. C'est ce même mandat que les représentants du gouvernement remplissent sur l'île vers la fin des années 1880. Les missionnaires font également l'école aux enfants innus, mais ils s'élèvent contre le chamanisme dont ils abolissent une bonne partie des rites.

Sur l'île, les Mi'kmaq échangent souvent des fourrures contre des fusils, des vêtements, des bouilloires de cuivre et autres produits manufacturés avec les colons français ou anglais. Au cours du 19e siècle, les contacts avec les colons européens sont de plus en plus courants, et les mariages entre un Mi'kmaq et une Européenne ne sont pas rares.

Femme mi'kmaq non identifiée, vers 1857-1859
Femme mi'kmaq non identifiée, vers 1857-1859
Les contacts entre les Mi'kmaq et les colons de Terre-Neuve se multiplient pendant le 19e siècle.

Photo de Paul-Émile Miot. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (MF 354.01.01), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.L.

Les Béothuks, par contre, fuient toute relation avec les Européens. Il y a très peu d'échanges commerciaux, et le gouvernement colonial ne fait pas d'efforts particuliers pour instaurer des relations amicales ou autres avec les Béothuks. Si les autres groupes autochtones échangent des fourrures contre des outils de métal, les Béothuks parviennent à mettre la main sur des clous, des hameçons et d'autres articles en parcourant les installations de pêche abandonnées à l'automne et à l'hiver. Ils évitent ainsi de traiter directement avec les Européens. De plus, ils vivent la majeure partie de l'année dans l'arrière-pays, ce qui diminue le risque de rencontre avec les colons établis dans les régions côtières. Il n'y a donc jamais de relations véritables entre colons et Béothuks.

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