La confirmation d'une approche vers le nord

Le livre de bord de Jean Cabot relatant son expédition de 1497 a disparu, et l'équipage n'a laissé aucun récit. Les seuls renseignements qui nous sont offerts sont tirés de trois lettres. Deux lettres, connues depuis longtemps, ont comme auteurs deux agents étrangers résidant en Angleterre, Raimondo de Soncino et Lorenzo Pasqualigo, qui n'ont pas pris part à cette expédition. La troisième lettre est celle de John Day, et a été découverte au milieu du 20e siècle.

C'est à peu près tout ce qui existe. Des chroniques, plus ou moins dignes de foi, mentionnent le commencement et la fin de l'expédition. Des cartes géographiques, dessinées plus tard, intègrent peut-être des observations de Jean Cabot. Bref, les renseignements sur l'expédition de 1497 sont plutôt rares. Il est donc impossible de confirmer l'endroit précis où Jean Cabot accoste sur le continent. Nous ne pouvons émettre que des hypothèses.

Une expédition en quatre étapes

À l'aide de preuves documentaires (à l'exception de cartes), jusqu'à quel point pouvons-nous reconstituer l'expédition de Jean Cabot en s'appuyant sur nos connaissances des techniques de navigation du 15e siècle et sur l'influence probable des vents et des conditions météorologiques sur un voyage entrepris l'été vers l'ouest?

Le voyage se découpe en quatre étapes : la traversée de l'Atlantique, l'accostage, l'exploration des côtes et le retour. Cette démarche nous permet de mieux comprendre la raison pour laquelle il existe un si grand nombre de versions différentes. Ces étapes s'enchaînant tout naturellement, certains historiens ont pourtant évité de commencer leur reconstitution à partir de la première. En général, tous ceux qui ont conjecturé sur cette expédition tentent de découvrir des faits convaincants et d'autres événements connexes qui facilitent la formulation d'une hypothèse.

La traversée de l'Atlantique

Le premier désaccord concerne le départ de Jean Cabot du port de Bristol, qui aurait eu lieu au début ou à la fin de mai. Les chercheurs s'appuient maintenant sur la lettre de John Day et optent pour la deuxième possibilité (Melvin Jackson, 1963). Mis à part ce point de détail, tous affirment que Jean Cabot a descendu le canal de Bristol, s'est dirigé vers l'île de Fastnet, puis a remonté vers le nord le long des côtes irlandaises avant de s'orienter vers l'ouest. Mais jusqu'où? Cet élément a toute son importance puisque les marins devaient déterminer la latitude lorsqu'ils ne voyaient plus terre. La lettre de John Day précise que Jean Cabot est parti de Dursey Head (51 °31'N). Cette indication ne fait pourtant pas l'unanimité chez les spécialistes. Henry Harrisse (1892) choisit plutôt l'île de Valencia (51 °50'N) comme point de départ en calculant le nombre de jours qu'il a fallu pour traverser l'Atlantique. Selon S. E. Dawson (1897), Jean Cabot aurait mis le cap plus au nord jusqu'au 53 °N pour se rapprocher le plus possible de l'Asie, conformément aux cartes de son époque. Pour ces mêmes raisons, Melvin Jackson plaide pour Achill Head (54 °04'N) qui lui semble l'endroit le plus probable.

Irlande, île de Valencia
Irlande
Ci-dessus les possibles points de départ de l'expédition outre-Atlantique de Jean Cabot.
Illustration de Duleepa Wijayawardhana, 1997.

Un départ en direction du nord est plausible, mais Jean Cabot aurait-il dérivé de sa route? S. E. Dawson (1897) et Clements Markham (1893) croient que les courants marins et les variations d'intensité du champ magnétique auraient pu dérégler son compas et déporter le bateau à au moins 200 milles plus au sud. Aujourd'hui, les spécialistes pensent plutôt que l'explorateur n'aurait à peu près pas dévié de sa course. Il connaissait bien ce phénomène de fluctuations, et avec l'étoile Polaire toujours à sa droite et des instruments de navigation qui permettent de vérifier et de mesurer, même de façon approximative, la latitude, il pouvait évaluer la distance parcourue vers l'ouest.

Quelle a été la distance franchie? Lorenzo Pasqualigo mentionne 700 lieues marines de l'Angleterre à l'accostage. Pour sa part, John Day affirme plutôt qu'il faut compter 1800 milles marins de l'accostage à l'Irlande. Ces mesures correspondent à 1826 et 1400 milles nautiques respectivement. Elles semblent toutes deux être sous-estimées. Raimondo de Soncino déclare que Jean Cabot avait largement dépassé le pays de Tanaïs, c'est-à-dire la Tartarie ou le Cathay [Chine]. Melvin Jackson en déduit une distance de plus de 1800 milles nautiques.

À la distance il faut associer la durée. John Day évalue la durée de la traversée à 35 jours. S'il a fallu 5 jours à Jean Cabot pour parvenir aux côtes irlandaises, il a mis 30 jours à traverser l'océan Atlantique. Si le Matthew voguait sous le vent à une vitesse de 5 nœuds, avec les vents saisonniers courants de 9 zones consécutives, Melvin Jackson estime que Jean Cabot a probablement traversé l'Atlantique en un peu moins de 24 jours, pour une durée totale de l'expédition de près de 36 jours. La latitude serait passée de 54 °N à 53 °N ou 52 °N en raison des courants marins.

L'accostage

Cette dernière latitude amène Jean Cabot vers la côte sud du Labrador aux environs de Cap St. Lewis (52 °22'N). S'il avait prêté attention à ses propres observations, il se serait rendu compte qu'il était à la même latitude que Dursey Head, à 1800 milles marins vers l'est. L'archéologue Peter Pope est également d'accord avec l'hypothèse d'une arrivée plus au nord qu'il situe entre Sandwich Bay au Labrador et White Bay à Terre-Neuve (Many Landfalls, p. 29).

Proposition de Melvin Jackson sur une approche plus au nord
Proposition de Melvin Jackson sur une approche plus au nord
Illustration de Duleepa Wijayawardhana, 1997.

Jean Cabot accoste le 24 juin et est de retour à Bristol le 6 août. Quinze jours se sont écoulés depuis qu'il a quitté la partie la plus orientale du continent qu'il a découvert. Il a donc mis environ un mois à explorer la région. Lorenzo Pasqualigo raconte que l'explorateur a longé 700 lieues marines de côtes. John Day précise qu'il est descendu vers le sud pratiquement à la mêle latitude, 45 °35'N, que le fleuve qui traverse Bordeaux, en France.

Une fois de plus, ce sont Lorenzo Pasqualigo, Raimondo de Soncino et John Day qui nous fournissent l'information relatant l'accostage de l'explorateur. Ainsi, lorsque Jean Cabot et son équipage débarquent, ils sont les premiers Européens (des Anglais avec à leur tête un Italien) depuis les Scandinaves à mettre le pied en Amérique du Nord. Ils plantent une croix et déploient les étendards de l'Angleterre et de Venise, prenant possession du pays au nom du monarque anglais. Ils ne rencontrent pas d'habitants malgré des indices de présence humaine. Jean Cabot présume alors se trouver à l'extrémité nord-est de l'Asie et, comme Christophe Colomb, soupçonne que les grandes villes aux toits d'or et les sources de la soie et des épices sont à portée de main.

Melvin Jackson avance que Jean Cabot, en partant du Labrador, se dirige vers le sud et l'ouest, car il croit s'orienter vers le Cathay. Il pénètre dans le détroit de Belle Isle en mettant le cap sur la côte est. Il atteint le cap Ray en imaginant aborder le continent. Le littoral fait alors un brusque crochet vers l'est, et Jean Cabot comprend que c'est une île. De plus petite dimension que Cipango [Japon], il en conclut que c'est l'île des Sept-Cités mentionnée de si nombreuses fois. Rendu au cap Race, il navigue vers le nord pour revenir à la latitude atteinte près de l'Irlande et s'oriente vers l'est près de l'île Fogo. Il rejoint la Bretagne avant de rentrer à Bristol.

La reconstitution de Melvin Jackson sur l'expédition de 1497 n'est qu'un exemple parmi tant d'autres et ne s'appuie sur aucune preuve cartographique. De plus, il n'est pas originaire de Terre-Neuve ou du Canada, un facteur à ne pas négliger puisque, dans une situation sujette à controverse comme la découverte du continent par Jean Cabot, le patriotisme joue un rôle majeur dans l'interprétation des faits.

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