Exploitation minière de la stéatite avant l'arrivée des Européens

De tout temps, la stéatite a joué un rôle culturel vital pour de nombreuses sociétés autochtones. Avant l'arrivée des Européens, cette pierre était hautement prisée pour la fabrication d'articles comme les récipients de cuisine et les lampes, et d'objets symboliques comme les figurines. On a commencé récemment à l'utiliser à des fins commerciales.

La stéatite, une pierre riche en talc à la texture tendre et savonneuse, se prête idéalement à la sculpture. On l'a retrouvée dans les sites archéologiques préeuropéens partout dans l'île de Terre-Neuve et au Labrador, surtout sous forme de lampes et de fragments de marmite, ce qui témoigne de sa place de premier plan dans la subsistance des Autochtones. D'ordinaire, l'acidité des sols de la province prévient la conservation des matériaux organiques; la stéatite, en revanche, résiste bien au passage du temps, même s'il est rare de retrouver des artefacts intacts.

Petits récipients en stéatite exhumés à Fleur de Lys
Petits récipients en stéatite exhumés à Fleur de Lys
Les récipients en stéatite étaient utilisés comme lampes et marmites. Ces lampes servaient à l'éclairage et, placées sous des marmites suspendues, à la cuisson.
Photographie reproduite avec la permission de Brent Murphy, ©1997

On trouve des affleurements naturels de stéatite un peu partout dans la province, mais l'un d'entre eux, situé à Fleur de Lys, une collectivité de la péninsule de Baie Verte, présente des traces explicites d'extraction minière préeuropéenne. À cette carrière, les falaises de stéatite criblées de cicatrices témoignent de siècles d'activités d'extraction.

Carrière de stéatite de Fleur de Lys, Site 1, 1997
Carrière de stéatite de Fleur de Lys, Site 1, 1997
Des traces d'extraction de la stéatite sont observables à deux principaux endroits à Fleur de Lys et c'est au Site 1 qu'on a retrouvé le principal affleurement. Les cicatrices laissées sur la paroi de la falaise permettent aux archéologues de reconstituer les techniques d'extraction préeuropéennes.
Photographie reproduite avec la permission de Brent Murphy, ©1997

Les archéologues Christopher Nagle et Callum Thomson ont entamé des fouilles à cette carrière au début des années 1980. Ceci dit, ce n'est qu'après les fouilles de Nagle en 1997 qu'on a pu confirmer que les Paléoesquimaux de la tradition Dorset y étaient associés. Le site est aujourd'hui protégé et fait l'objet d'un programme de recherche continue sous la direction de John Erwin, de l'université de Calgary; il est également mis en valeur à des fins touristiques.

La carrière de Fleur de Lys a été exploitée par plus d'un groupe d'Autochtones préeuropéens. Divers vestiges indiquent que les Autochtones de l'Archaïque maritime s'en servaient déjà il y a quelque 4000 ans, et que les Paléoesquimaux du Dorset intermédiaire utilisaient la stéatite il y a entre 1800 et 1200 ans. Ces derniers ont été directement associés à la carrière, leurs récipients étant d'une taille correspondant aux cicatrices d'extraction sur ses parois. D'autres preuves de la présence des Dorset incluent des outils de pierre, y compris des armatures terminales (pointes d'armes de jet) et des racloirs en chert, des microlames en cristal de roche et des éclats produits par la taille des outils sur les lieux.

Les fouilles archéologiques menées à Fleur de Lys ont révélé que la stéatite était surtout utilisée à des fins utilitaires. Ce matériau résistant aura été privilégié pendant des siècles pour la fabrication des ustensiles de cuisson et d'éclairage; on croit qu'il était aussi investi de pouvoirs spirituels. Les marmites et les lampes faites de stéatite de Fleur de Lys, rectangulaires ou ovales, mesurent environ 20 à 25 cm de largeur par 25 à 30 cm de longueur.

Technique d'extraction

Malgré son apparente densité, la stéatite est relativement facile à sculpter. De gros outils bruts étaient utilisés pour desceller, buriner et racler la stéatite de la paroi d'un affleurement. Ces outils grossiers étaient faits de divers minéraux, notamment de quartzite, une pierre très dure et compacte.

Pierres-marteaux, Fleur de Lys
Pierres-marteaux, Fleur de Lys
Les pierres-marteaux faisaient partie de la trousse d'outils essentiels des Paléoesquimaux du Dorset. Il s'agit de pierres naturelles modifiées (ordinairement à une extrémité) par des activités culturelles.
Photographie reproduite avec la permission de Brent Murphy, ©1997

Pour façonner la stéatite, on se servait d'outils plus petits et plus précis.

Outils de débitage, Fleur de Lys
Outils de débitage, Fleur de Lys
Ces outils ont été utilises à différentes étapes du processus de débitage. Les trois outils de gauche sont des ciseaux et les deux de droite sont des coins.
Photographie reproduite avec la permission de Brent Murphy, ©1997

Le travail d'extraction à Fleur de Lys se déroulait par étapes. Au préalable, la taille et la forme de l'objet étaient déterminées; en ce sens, la visualisation du produit fini contribuait au processus de sculpture.

Fouilles au Site 1, carrière de stéatite de Fleur de Lys, 1997
Fouilles au Site 1, carrière de stéatite de Fleur de Lys, 1997
En dégageant minutieusement des parcelles de 1 m2, les archéologues exposent des vestiges de cultures préeuropéennes.
Photographie reproduite avec la permission de Brent Murphy. ©1997

À la carrière, les cicatrices sur la face rocheuse illustrent l'efficacité des méthodes d'extraction. Une fois enlevée la première pièce quasi-circulaire de pierre (la préforme), le bord du dernier côté découpé devenait celui de la préforme suivante; de cette façon, seule la première préforme exigeait qu'on en détache les quatre côtés. Cette méthode suggère que la forme du récipient était décidée avant le début du processus de sculpture. S'ils étaient parfois sculptés à la carrière-même, ces récipients auront pour la plupart été achevés ailleurs.

Préforme et fragment de récipient en stéatite
Préforme et fragment de récipient en stéatite
La pièce de gauche est un bloc brut de stéatite appelée préforme. On peut voir à droite un fragment de récipient achevé en stéatite.
Photographe reproduite avec la permission de Brent Murphy, ©1997

Tous les essais d'extraction de préformes ou de taille de récipient n'étaient pas couronnées de succès : parfois, des failles dans la roche venaient interrompre les opérations, qu'il fallait reprendre ailleurs, ce qui illustre qu'il s'agissait d'un processus d'essais et d'erreurs. Quoi qu'il en soit, les nombreuses cicatrices attestant de l'enlèvement réussi de préformes de récipients illustrent que les Autochtones du Dorset intermédiaire auront exploité avec efficacité, peut-être durant des siècles, une opération minière à Fleur de Lys.

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