Le travail des enfants dans les mines de l'île Bell

Les textes suivants sont extraits d'une présentation de Margaret Hawco, élève de 5e année, pour la Heritage Fair tenue en 1998 à St. John's (T.-N.-L.). Ce festival était commandité par la Fondation CRB, de Montréal.

Au début des années 1900, des garçons travaillaient pour les compagnies minières. Même s'ils ne travaillaient pas sous terre, ils passaient de longs quarts de 10 heures de labeur à la surface, séparant la roche du minerai devant le convoyeur à courroie. Ils veillaient aussi à ce que les chevaux soient nourris et bien soignés. Une autre de leurs tâches consistait à apporter de l'eau aux mineurs.

Les garçons commençaient à travailler à partir de 10 ans, souvent pour contribuer au soutien de leur famille, abandonnant parfois l'école dès leur 3e année. À la fermeture des mines, bien des hommes se sont ainsi retrouvés sans éducation ni ressources pour apprendre un nouvel emploi.

Monsieur Bown est entré à l'emploi de la mine de l'île Bell le 17 janvier 1938; il allait y travailler 28 ans. Agissant d'abord comme rouleur, il a ensuite été soudeur, affecté à la réparation de l'équipement des mines.

Les rouleurs étaient aussi appelés « signaleurs » parce qu'ils devaient se tenir devant le train de berlines pendant sa descente dans la mine. Leur casque était équipé d'une lampe très puissante qui leur permettait d'apercevoir rapidement devant eux tout obstacle sur les rails.

Monsieur Charles Gordon Bown est décédé à son domicile de l'île Bell, le 2 juillet 2002.

© Tous droits réservés, Margaret Hawco, 1998


Entrevue avec Charles Bown

Question: Quand avez-vous commencé à travailler dans les mines?
Bown: Le 17 janvier 1938.

Question: Et quel était votre travail?
Bown: Eh bien, j'étais rouleur.

Question: Combien étiez-vous payé?
Bown: Un gros salaire, un salaire de rêve : 0,32 $ de l'heure! Après notre semaine de six jours, nous ramenions à la maison 19,20 $.

Question: Y avait-il d'autres mineurs dans votre famille?
Bown: Oui, sûr, la majorité je dirais, mon père, mes frères. Mon père était… il est venu ici comme ingénieur en 1917, et il a été contremaître du côté de la Dominion. Tu vois, il y avait deux compagnies sur l'île : la Dominion et la Scotia.

Question: Faisaient-ils travailler des jeunes garçons dans les mines de votre temps?
Bown
: Non, il fallait avoir 18 ans pour ça.

Question: Alors, que faisaient les garçons?
Bown: Ils apportaient de l'eau aux mineurs, transmettaient des messages et faisaient divers travaux, comme atteler les chevaux, des choses comme ça.

Question: Combien y avait-il de garçons qui travaillaient aux mines (à la surface)?
Bown: Vrai, je dirais une couple de centaines… de garçons (à la surface).

Question: En surface et sous terre, les conditions de travail étaient-elles sécuritaires pour les garçons?
Bown: Je dirais qu'on en prenait soin; les adultes veillaient sur les jeunes. Une fois seulement, un garçon, il devait avoir 14 ans, on pense qu'il a été happé par les wagonnets en les tirant sur la voie.

Question: Combien la mine payait-elle les garçons?
Bown: Dix cents de l'heure.

Question: Qu'est-ce qu'ils pouvaient se payer avec ce salaire?
Bown: Je dirais, les prix étaient vraiment bas dans le temps… La livre de sucre, je pense, coûtait trois cents, une tablette de chocolat, un cent, et il n'y avait pas de boissons gazeuses à l'époque.

Question: Vous souvenez-vous d'histoires associées aux garçons qui travaillaient dans les mines?
Bown: Eh bien, c'étaient eux qui attelaient les chevaux, et les jeunes gars qui s'en occupaient leur montraient beaucoup d'affection et avaient l'habitude de leur apporter des friandises; ils les traitaient vraiment bien et les chevaux le savaient… ils les voyaient venir.

Question: Les garçons travaillaient-ils durant l'année scolaire?
Bown: Au temps dont nous parlons, là, il y avait seulement une école sur l'île, c'était autour de 1900. Quand les mines ont fermé en 1966, c'est ce qui est arrivé : rares étaient ceux qui étaient instruits, parce qu'ils n'en avaient pas eu l'occasion dans leur jeunesse. Quand un mineur était victime d'un accident, à l'époque, il ne recevait rien du tout. Il n'y avait pas d'indemnité, pas d'assurance-vie, pas de services sociaux ou rien de ce qui existe aujourd'hui. Sa veuve restait prise avec les enfants, les familles nombreuses n'étaient pas rares, alors les garçons, à 9 ou 10 ans, se retrouvaient à trier la roche qui passait devant eux sur la courroie du convoyeur. Il y en avait des deux côtés et ils devaient jeter les roches dans la cheminée, et c'est pour ça que nombre d'entre eux … ils ont été obligés de travailler jeunes.

Question: À quel moment les garçons ont-ils cessé de travailler sous terre?
Bown: Eh bien, ils ont passé une loi en Nouvelle-Écosse en 1923, et vous deviez avoir au moins 18 ans pour travailler à la mine, même à la surface.

Question: Quelles étaient les dimensions de la mine?
Bown: Je vais te dire une affaire, et tu ne vas pas me croire, mais quelqu'un en a parlé l'autre jour à une réunion : il paraît qu'on aurait pu faire entrer St. John's dans la mine, 100 milles carrés, c'est ce que l'ingénieur a raconté. Il a dit qu'on pourrait faire entrer St. John's au complet dans la mine, y faire disparaître toute la ville! Alors elle faisait 10 milles par 10.

Question: N'est-ce pas plus grand que l'île Bell elle-même?
Bown: Oh, c'est certain. L'île ne mesure que trois milles par neuf.

Question: Alors, comment la mine pouvait-elle être plus grande que St. John's, qui est plus grande que l'île Bell? Comment la mine en est-elle venue à encercler l'île Bell?
Bown: En fait, toutes les galeries s'en éloignent sous l'océan, tu vois? Trois milles vers le large dans cette direction, trois autres milles par là et trois autres par ici, tu vois? On peut dire qu'il n'y a pas de mine sur l'île Bell en tant que telle!

Question: Alors, c'est pour ça qu'il y a de l'eau qui s'égoutte dans les mines?
Bown: Oui, oui. Les galeries sont maintenant inondées là-dessous, tu vois.

Question: Croyez-vous que la mine va rouvrir un de ces jours?
Bown: Il en a justement été question dans une réunion l'autre jour. On a calculé qu'il est resté 10 milliards de tonnes de minerai là-dessous, qu'on a laissé là. Ils disent que seulement les piliers représentent 50 millions de tonnes. Alors, ils croient que la mine sera rouverte éventuellement, ils vont y retourner et l'exploiter, mais ce sera une situation différente… Il est question de descendre avec des camions, de gros camions. Pour l'instant, vers le milieu du mois prochain, ils espèrent ouvrir le puits no 2 pour les visiteurs : tu va pouvoir descendre 700 pieds sous terre, et ils ont construit une étable au fond où ils espèrent garder un petit poney, un poney vivant pour les visiteurs. Et les types de St. John's, ils ont monté une pièce de théâtre ici l'an dernier, intitulée Light, et ils vont descendre présenter quelques représentations sous terre.

Question: Qu'arrivait-il quand il y avait des explosions? Qu'arrivait-il aux poneys?
Bown:Eh bien, il y a eu une explosion dans le puits no 6, et les chevaux sont partis en peur. Mais ils étaient merveilleusement clairvoyants, ces chevaux-là. S'ils sentaient le moindre danger, ils se figeaient. Et le puits no 2, qu'ils vont rouvrir, c'était le seul qui avait des poneys, parce que le plafond était vraiment bas, et les hommes n'avaient que de petits wagonnets à charger.

Question: Quand la mine a-t-elle cessé ses activités?
Bown: Le 30 juin 1966.

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