Impacts économiques du moratoire sur la pêche de la morue

Le 2 juillet 1992, le gouvernement canadien a imposé un moratoire sur la pêche de la morue du nord le long de la côte est du pays. Des décennies de pêche excessive avaient gravement décimé les stocks et les responsables du gouvernement espéraient que cette mesure permettrait à l'espèce de rebondir. Ce moratoire mettait fin à près de 500 ans de pêcherie à Terre-Neuve et au Labrador, et jetait au chômage quelque 30 000 personnes. Les usines de transformation ont fermé leurs portes, les bateaux sont restés à quai et les habitants de centaines de villages côtiers, qui avaient dépendu de cette industrie depuis des générations, ont vu le pilier de leur économie et de leur culture abattu du jour au lendemain.

Pêche de la morue, vers 1905
Pêche de la morue, vers 1905
Le 2 juillet 1992, le gouvernement canadien a imposé un moratoire sur la pêche de la morue du nord, mettant fin à près de 500 ans de pêcherie à Terre-Neuve et au Labrador.
Reproduit avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-315-057), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photographe inconnu.

Pour aider les travailleurs déplacés à s'ajuster à la vie après le moratoire, le gouvernement fédéral a institué divers programmes d'aide financière, de mise à la retraite et de recyclage. Simultanément, l'expansion de l'industrie des mollusques et des crustacés a absorbé certains des travailleurs mis à pied, tandis que d'autres ont trouvé de l'emploi dans le secteur touristique en croissance. Malgré tout, depuis le moratoire, le niveau de chômage est resté élevé, assorti d'une lourde dépendance sur l'aide gouvernementale et d'une flambée de l'émigration des travailleurs; de fait, dix ans après l'annonce du moratoire, la population de la province avait diminué de 10 p. 100, du jamais vu.

Programmes d'aide financière

Le moratoire a provoqué le plus grave cas de licenciement collectif de l'histoire du Canada : quelque 30 000 habitants de Terre-Neuve-et-Labrador ont été réduits au chômage, soit environ 12 p. 100 de la population active de la province. La plupart des pêcheurs, même s'ils se doutaient bien que les stocks de morue étaient en difficulté, n'avaient pas vu venir la fermeture de la pêche. Ces travailleurs de la morue depuis la fin de leurs études secondaires se voyaient sans ressources devant le défi de trouver un nouvel emploi; certains avaient investi des dizaines, voire des centaines, de milliers de dollars dans leur navire et des engins de pêche que le moratoire rendait inutiles et encore plus impossibles à rembourser sans un emploi stable.

Travailleurs dans une usine de transformation du poisson, 1991
Travailleurs dans une usine de transformation du poisson, 1991
Le moratoire sur la pêche de la morue de 1992 a provoqué le plus grave cas de licenciement collectif de l'histoire du Canada : quelque 30 000 habitants de Terre-Neuve-et-Labrador ont été réduits au chômage.
Reproduit avec la permission de Scott Woodman, © 1991.

En même temps qu'il décrétait le moratoire, le gouvernement annonçait un train de mesures de soutien pour les pêcheurs et les travailleurs d'usine au chômage. En vertu du Programme d'adaptation et de redressement de la pêche de la morue du Nord (PARPMN), les chômeurs de la pêche recevraient des paiements hebdomadaires allant souvent de 225 $ à 406 $, calculés à partir des prestations moyennes d'assurance-chômage qu'ils avaient perçues entre 1989 et 1991. Les bénéficiaires du PARPMN étaient aussi tenus de s'inscrire à des programmes de recyclage professionnel dans d'autres domaines, ou d'accepter un régime de retraite anticipée. Autour de 28 000 pêcheurs et travailleurs d'usine de la province ont ainsi reçu des prestations de soutien du revenu en vertu de ce programme.

Arrivé à son terme en mai 1994, le PARPMN a immédiatement été remplacé par un deuxième programme de soutien, la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique (LSPA). Comme son prédécesseur, cette stratégie visait à réduire le nombre de particuliers dépendant de la pêche en milieu rural. Les responsables gouvernementaux ne voulaient pas voir ressurgir dans les autres pêcheries de la province la surproductivité (trop de pêcheurs pour pas assez de poissons) qui avait causé l'effondrement de la pêche de la morue. La LSPA encourageait les travailleurs à quitter l'industrie en exigeant des candidats qu'ils se recyclent pour un emploi dans un autre secteur ou qu'ils acceptent un régime de retraite. La stratégie offrait aussi à ses bénéficiaires des prestations hebdomadaires variant de 211 $ à 382 $. Alors que le gouvernement fédéral avait prévu que la LSPA durerait jusqu'en 1999, elle avait épuisé sa caisse de 1,9 milliards de dollars en mai 1998.

Le PARPMN et la LSPA ont tous deux connu un succès mitigé. Bien que ces programmes aient donné aux pêcheurs sans emploi une certaine sécurité financière durant une période difficile, ils ne les ont pas préparés adéquatement trouver de l'emploi dans d'autres domaines, pas plus qu'ils n'ont réduit de façon significative le nombre de personnes vivant de la pêche. Selon l'économiste William Schrank, même si de nombreux pêcheurs à temps partiel ont quitté l'industrie, le nombre de pêcheurs à temps plein est resté essentiellement inchangé par rapport à ce qu'il était à l'annonce du moratoire. Ainsi, la pêche employait quelque 14 000 pêcheurs à temps plein et 10 000 autres à temps partiel en 1991; de ce nombre, environ 12 000 étaient admissibles à l'assurance-emploi (AE). En 2002, après une décennie de moratoire, le nombre de pêcheurs admissibles à l'AE avait grimpé à 13 700. En contraste, le nombre de travailleurs d'usine avait chuté de 25 160 en 1990 à 14 770 en 2001.

Bien que les candidats au PARPMN et à la LSPA aient suivi divers programmes éducatifs, notamment en alphabétisation et en éducation de base des adultes, des cours universitaires et de la formation en entreprenariat, ils ne sont pas souvent parvenus à préparer leurs participants à recouvrer le marché de l'emploi, pas plus qu'ils n'ont su répondre de façon adéquate aux besoins et aux capacités des pêcheurs qui les suivaient. Ces gens, qui avaient quitté l'école secondaire pour faire la pêche des années, sinon des décennies plus tôt, se retrouvaient propulsés dans un environnement scolaire peu familier et souvent intimidant; certains n'ont pas terminé leurs cours, d'autres ne leur ont pas trouvé d'application pratique dans leurs vies ultérieures. Qui plus est, comme il n'y avait pas assez d'emplois de rechange pour absorber les milliers de pêcheurs en chômage, la plupart seront restés dans les pêcheries ou seront partis trouver du travail hors de la province.

La pêche et l'économie provinciale

Avant le moratoire, la morue était le pilier de la pêcherie provinciale. Même s'il se pêchait aussi du flétan, du capelan, du homard, de la crevette et d'autres espèces, les rentrées combinées de ces activités équivalaient tout juste à celles de la seule pêche de la morue. Ainsi, la valeur totale au débarquement de toutes les espèces en 1990 a été de 277 millions de dollars : or, la morue était responsable de 134 de ces millions, soit 48 p. 100 de l'ensemble.

Bien que la valeur totale des prises débarquées ait chuté à 172 millions de dollars en 1992, l'année d'instauration du moratoire, la croissance d'une pêcherie lucrative des crustacés a permis à l'industrie de rebondir rapidement. Vers la fin de 1995, les débarquements avaient atteint 321 millions de dollars, alors même que la morue était quasi absente de ces recettes; la plus grande part de l'augmentation était due aux débarquements de crabes des neiges, rapportant environ 181 millions de dollars cette année-là. Le ministère des Pêches et de l'Aquaculture de la province a annoncé pour 2007 des débarquements de poisson d'un total de 478 millions de dollars, dont 383 millions de dollars en crustacés et en mollusques.

Casiers à crabes, 2007
Casiers à crabes, 2007
À Terre-Neuve-et-Labrador, les pêcheries du crabe, de la crevette et des autres mollusques et crustacés ont connu une rapide croissance depuis le moratoire de 1992 sur la pêche de la morue.
Reproduit avec la permission de Jenny Higgins. © 2008. Photographie : Jenny Higgins.

Malgré sa rentabilité, l'industrie des crustacés et des mollusques connaît aujourd'hui des difficultés qui rappellent celles de la pêche de la morue avant le moratoire. Le secteur de la transformation souffre de surproductivité, le marché est inondé de produits et certains pêcheurs commencent à observer une baisse du nombre et de la taille de certaines espèces de crustacés. Bien que le gouvernement ait réduit les contingents pour le crabe et d'autres crustacés, un certain nombre de pêcheurs et de scientifiques craignent que les stocks ne soient décimés au-delà de leur capacité de se rétablir.

Les pêcheurs

Le ministère des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et-Labrador rapportait en 2007 que 12 725 pêcheurs et 12 080 transformateurs travaillaient dans la province, représentant autour de 11 p. 100 de la population active. Bien que la majorité des pêcheurs travaillent maintenant dans l'industrie rentable des crustacés et des mollusques, leurs revenus personnels sont faibles et doivent souvent être complétés par des paiements d'assurance-emploi (AE). En 2001, les pêcheurs ont déclaré un revenu moyen d'environ 25 400 $, tandis que les travailleurs des usines de transformation gagnaient environ 19 701 $. Ces deux revenus incluaient autour de 10 000 $ de prestations d'AE, et étaient substantiellement inférieurs au revenu annuel provincial moyen de 32 000 $.

Bien que les paiements d'AE soient des parts indispensables du revenu des pêcheurs et des travailleurs d'usine, la forte dépendance à leur égard en expose certains à des risques accrus de blessures, de stress et d'autres troubles professionnels. Ainsi, la nécessité d'accumuler assez d'heures de travail pour être admissible à l'assurance-emploi, associée à la pénurie d'emplois dans d'autres domaines, peuvent empêcher certains pêcheurs de prendre congé s'ils sont malades ou blessés, et en amener d'autres à supporter des milieux de travail malsains ou potentiellement dangereux.

En date de 2008, le moratoire sur la pêche de la morue est toujours en vigueur et on ne sait toujours pas si les stocks vont se rétablir. Le crabe, la crevette et d'autres crustacés et mollusques ont remplacé la morue comme principale espèce pêchée, et la province exporte l'essentiel de ses produits de la mer aux États-Unis et en Chine. La pêche fournit de l'emploi direct à environ 25 000 travailleurs et 143 usines de transformation du poisson sont éparpillées dans la province. Toutefois, alors même que les revenus demeurent faibles, la surproductivité constitue toujours un problème de l'industrie de la pêche.

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