Les femmes et le secteur non maritime

La croissance du secteur non maritime au cours de la première moitié du 20e siècle a entraîné une transformation du rôle traditionnel de certaines femmes dans la société de Terre-Neuve et du Labrador. Contrairement à l'industrie de la morue salée où les femmes participaient à la préparation du poisson et contribuaient grandement au revenu du ménage, il n'y avait pratiquement aucun débouché pour les femmes dans les nouvelles industries forestières et minières. Les emplois dans les usines de papier, les opérations forestières et les mines étaient presque exclusivement réservés aux hommes, laissant peu d'emplois disponibles pour les femmes en dehors des travaux ménagers et du commerce de détail.

Mine Wabana, vers 1905
Mine Wabana, vers 1905
Les emplois dans les mines, les usines de papier et les opérations forestières de Terre-Neuve et du Labrador étaient réservés presque exclusivement aux hommes au cours de la première moitié du 20e siècle.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-315.063), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les nouvelles industries ont donné naissance à une nette séparation entre le foyer et le travail qui n'existait pas dans les petits villages de pêche où toute la famille prenait part à la préparation du poisson, à la culture des légumes et à l'élevage des bêtes. Les résidents des nouvelles collectivités industrielles comme Buchans et Grand Falls devaient louer des propriétés appartenant à des compagnies, ce qui a entraîné une marginalisation des activités de subsistance des ménages et une diminution de l'apport des femmes au revenu familial. Les villes d'entreprise ont par conséquent contribué à transformer la cellule familiale en un modèle où l'homme jouait le rôle de principal soutien de famille et la femme était dépendante.

Les femmes dans les petits villages isolés

Les femmes vivant dans les régions rurales de Terre-Neuve et du Labrador au cours de la première moitié du 20e siècle accomplissaient une variété de travaux qui contribuaient grandement au revenu du ménage. Elles entretenaient notamment le jardin potager, préparaient le poisson et s'occupaient des vaches, des chèvres et autres animaux que la famille pouvait posséder. Il n'était pas non plus inhabituel pour les femmes de partager différentes tâches avec d'autres membres de la famille, y compris avec leur mari.

Plusieurs familles rurales avaient un grand jardin potager qui contribuait au revenu du ménage. Tous les membres de la famille participaient à l'entretien de la terre. Les hommes s'occupaient de bêcher la terre, alors que les femmes débarrassaient la terre des roches, semaient les graines de légumes et sarclaient régulièrement le jardin. Il revenait aussi à la femme de faire sécher et conserver les légumes pour l'hiver. Si une famille possédait des vaches et des chèvres, les femmes fabriquaient du beurre à partir du lait.

Nourrissage des dindes, vers 1910-1920
Nourrissage des dindes, vers 1910-1920
Tryphena (Butt) Forward nourrit les dindes dans son jardin de Harbour Rock Hill, Carbonear. Les femmes vivant dans les régions rurales de Terre-Neuve et du Labrador au cours de la première moitié du 20e siècle accomplissaient une variété de travaux qui contribuaient grandement au revenu du ménage.
Photographe inconnu. Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-314.01.054), Memorial University of Newfoundland, St John's, T.-N.-L.

Toutefois, le pilier économique de la plupart des ménages vivant dans les petits villages isolés était la morue salée. Cette activité permettait d'obtenir du crédit auprès du marchand ou, plus rarement, de l'argent d'autres acheteurs. Les hommes pêchaient et les femmes apprêtaient et salaient les prises. Elles étendaient aussi le poisson pour le faire sécher sur des vigneaux, mais elles devaient rentrer le poisson à l'intérieur la nuit ou lorsque le temps était pluvieux. C'était un travail important puisque la qualité de la préparation déterminait la valeur de la morue sur le marché et ce que la famille en retirerait.

Villes d'entreprise

Les femmes étaient peu présentes dans le nouveau secteur non maritime. Les entreprises minières, les usines de papier et les opérations forestières employaient essentiellement des hommes. Par conséquent, le travail dans les villes d'entreprise ne gravitait plus autour de la cellule familiale comme c'était le cas dans les villages de pêcheurs. Parce que le modèle industriel offrait peu de possibilités d'emploi pour les femmes, les hommes devenaient souvent le seul gagne-pain de la famille.

Usine de papier de Corner Brook, vers 1930
Usine de papier de Corner Brook, vers 1930
Le travail dans des villes d'entreprise comme Corner Brook et Buchans ne gravitait pas autour de la cellule familiale.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et des collections spéciales (Coll. 137 16.03.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les femmes se déplaçaient vers les centres industriels quand leur mari décrochait un emploi dans une mine ou une usine. Les femmes devaient par conséquent souvent quitter leurs voisins et leur famille pour aller vivre dans une ville d'entreprise ou leur participation était limitée. Non seulement elles se retrouvaient alors à dépendre de l'homme qui jouait le rôle de soutien de famille dans une collectivité qu'elles connaissaient peu, mais il était aussi difficile pour elles de se faire de nouveaux amis. Contrairement aux hommes, les femmes étaient largement confinées à l'espace domestique et n'avaient pas de compagne de travail qui aurait pu faciliter leur intégration dans la collectivité. Les femmes, comme tout le monde, devaient obtenir une autorisation de l'entreprise pour s'établir dans la plupart des centres industriels et, une fois installées, elles devaient louer une propriété à l'entreprise, leur laissant encore moins de contrôle sur leur vie.

Même si certaines femmes arrivaient à obtenir un emploi dans des villes d'entreprise, elles étaient généralement employées pour effectuer des travaux ménagers ou pour travailler dans le commerce au détail, où les salaires étaient bas. Des emplois de cette nature pouvaient parfois devenir oppressants dans des centres industriels où le parton était souvent aussi le propriétaire du logement. L'entreprise exerçait en conséquence un contrôle important sur la vie de ses employés.

L'étendue de ce contrôle a été mise au jour à la suite d'une visite de représentants du ministère de l'Agriculture dans la ville minière de Buchans en 1929. Dans son rapport présenté au gouvernement, K.M Brown écrit qu'une veuve et sa fille qui étaient venues à Buchans pour travailler en tant que domestiques pour J.W. Williams, un gestionnaire de la mine, avaient quitté leur emploi parce qu'elles « n'aimaient pas les conditions dans sa résidence ». La veuve a déménagé à St John's pour trouver du travail, mais sa fille est restée à Buchans pour travailler au domicile du personnel des Royal Stores. Williams a cependant ordonné que la femme quitte Buchans et interdit au domicile du personnel de la réengager.

Le contrôle exercé par l'entreprise sur la collectivité diminuait parfois la valeur du travail des femmes à la maison. Même si plusieurs ménages continuaient d'entretenir des jardins potagers dans les centres industriels, la présence de magasins contrôlés par les compagnies diminuait leur importance. Dans les régions rurales de Terre-Neuve et du Labrador, les familles cultivaient des légumes non seulement pour avoir une source de revenus, mais aussi comme moyen de subsistance. Puisque les collectivités des petits villages isolés avaient accès à peu de marchés et de magasins locaux, elles devaient souvent cultiver leurs propres légumes ou s'en priver. Ce n'était toutefois pas le cas dans les centres industriels comme Corner Brook et Grand Falls où l'on pouvait acheter de la nourriture et autres marchandises dans les magasins, grâce à l'argent que les hommes gagnaient en travaillant dans les mines et les usines de papier.

Travailleurs saisonniers

Ceux qui trouvaient un emploi dans le secteur non maritime ne déménageaient pas tous dans les centres industriels. Certains hommes continuaient de pêcher pendant l'été et occupaient un travail saisonnier dans les entreprises minières ou les usines de papier pour compléter leur revenu. C'était souvent le cas des bûcherons qui travaillaient dans différents camps chaque hiver pour alimenter en bois les usines de papier de Grand Falls et de Corner Brook. Ce travail était difficile et les hommes devaient quitter leur foyer souvent pendant des périodes pouvant aller jusqu'à six mois. Cette situation exerçait une pression énorme sur les femmes qui devaient seules s'occuper des enfants, de la maison et de la terre.

En excluant les femmes du marché du travail, le secteur non maritime a rendu difficile la contribution de certaines femmes au revenu familial. Les hommes étaient le principal et souvent le seul gagne-pain de toute la famille. Même si certaines femmes trouvaient du travail dans les centres industriels, elles étaient presque toujours employées pour faire des travaux ménagers et pour travailler dans le commerce au détail, où les emplois étaient peu rémunérés. La croissance du travail salarié et la diminution de l'industrie de la morue salée qui en a découlé ont dévalorisé certains travaux, comme l'entretien d'un jardin potager, que les femmes accomplissaient traditionnellement comme moyen de subsistance.

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