Les femmes et l'économie au 19e siècle

Au début du 19e siècle, la population féminine de Terre-Neuve était constituée en grande partie de résidentes qui jouaient un rôle central dans l'industrie de la pêche, structurée à l'époque autour de la famille, mais également d'épouses d'ascendance autochtone ou d'épouses de migrant et de servantes originaires des îles britanniques. En règle générale, les femmes mariées, migrantes, appartenaient aux classes moyenne et supérieure de la société, tandis que les femmes célibataires provenaient pour la plupart de foyers pauvres et étaient à la recherche d'un emploi outre-mer.

Femmes travaillant sur des vigneaux, s.d.
Femmes travaillant sur des vigneaux, s.d.
Le rôle économique des femmes dans l'industrie de la pêche était extrêmement important au 19e siècle à Terre-Neuve et au Labrador.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales, (Coll. 137 03.07.006), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Puisque les hommes composaient généralement les équipages des bateaux de pêche et des plus gros bateaux, les historiens sont nombreux à leur accorder un rôle central dans l'industrie de la pêche et, par le fait même, dans l'ensemble de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador. Or, le rôle économique des femmes dans tous les secteurs de l'industrie de la pêche était extrêmement important. Leur travail au sein de cette industrie, combiné aux travaux des champs et aux tâches domestiques, faisait des femmes l'épine dorsale de l'unité économique familiale.

Les femmes et la pêche

L'industrie de la pêche à Terre-Neuve au 19e siècle comprenait la pêche côtière, une industrie de la pêche au Labrador et la pêche hauturière sur les bancs. L'industrie de la pêche côtière était une affaire de famille dans laquelle le travail des femmes était vital. S'il est vrai que les hommes construisaient les bateaux et pêchaient, les femmes étaient en grande partie responsables du traitement des prises pour la vente aux commerçants et avaient un pouvoir considérable pendant les périodes de pointe de l'industrie. L'épouse du pêcheur assumait le rôle de patronne et était responsable du travail réalisé sur la rive. Durant la période estivale de pointe, les femmes se consacraient presque entièrement à leurs responsabilités liées à la transformation du poisson et mettaient en suspens toutes les autres tâches qui leur incombaient.

Ce travail nécessitait beaucoup de précision et d'habileté. Le travail de préparation initial s'effectuait habituellement en chaîne, en commençant par le décolleur, qui retirait les entrailles. Un trancheur désossait ensuite le poisson pour l'acheminer au saleur, qui salait et empilait le poisson pour le traitement. Les travailleuses dispersaient ensuite le poisson sur des vigneaux pour le faire sécher et surveillaient attentivement le produit pour éviter qu'il ne soit brûlé par le soleil. Une fois le processus de séchage terminé, l'équipage sur la rive devait empiler soigneusement le poisson pour le livrer au commerçant. Pendant une période de deux ou trois mois, le travail sur la rive occupait pratiquement tout le temps des femmes et leur laissait très peu de temps de repos.

Travail sur les vigneaux de morue, avant 1898
Travail sur les vigneaux de morue, avant 1898
S'il est vrai que les hommes construisaient les bateaux et pêchaient, les femmes étaient en grande partie responsables du traitement des prises pour la vente aux commerçants.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales, (Coll. 137 03.07.003), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La contribution des femmes au processus de transformation du poisson était fondamentale puisqu'elle avait une incidence directe sur la valeur finale du produit qui était vendu au commerçant local. À la fin de la saison, les revenus que la famille tirait de la pêche dépendaient de la quantité et de la qualité du poisson vendu. Si le poisson traité ne contenait pas la bonne quantité de sel et d'humidité, il était de moins bonne qualité et se vendait à un prix inférieur.

Le travail sur la rive était organisé en fonction de la praticabilité, laissant de côté les idéaux du travail masculin et féminin. Les hommes n'ayant pas le temps de traiter leurs prises, les femmes s'en chargeaient pendant que leurs époux, leurs pères, leurs frères et leurs fils étaient en mer. Le travail sur la rive était une source de fierté pour de nombreuses femmes, qui le voyaient comme une contribution essentielle à l'économie familiale du 19e siècle.

Après les guerres napoléonienne et anglo-américaine, il y a eu une augmentation du nombre de pêcheurs terre-neuviens qui migraient au Labrador pour pêcher pendant la période estivale. Le Labrador offrait des zones de pêche abondantes et permettait de faire usage des navires de chasse au phoque qui ne servaient pas pendant les mois d'été. L'industrie de la pêche du Labrador était formée de pêcheurs itinérants (floaters), qui vivaient sur leurs bateaux et pêchaient le long de la côte du Labrador, et de pêcheurs stationnaires (stationers), qui installaient leur campement sur les rives et pêchaient dans de petites embarcations. Les pêcheurs itinérants rapportaient leurs prises à Terre-Neuve pour les faire traiter, tandis que les pêcheurs stationnaires les traitaient sur la rive.

Les pêcheurs stationnaires étaient pour la plupart des hommes, des femmes et des enfants de familles de pêcheurs qui déplaçaient simplement leur lieu de travail de la côte de Terre-Neuve à celle du Labrador pour l'été. Les pêcheurs itinérants étaient davantage des équipages loués, formés d'hommes et de femmes. Les femmes étaient généralement jeunes et célibataires et avaient pour principale responsabilité de cuisiner pour les pêcheurs. Elles devaient chaque jour préparer plusieurs repas et casse-croutes pour les équipages de pêcheurs, et devaient veiller au rationnement des produits alimentaires afin qu'il y ait suffisamment de nourriture pour toute la durée des séjours en mer. Les cuisinières devaient également trancher, saler et entreposer le poisson chaque fois que les équipages étaient à court d'hommes.

Travail domestique

Dans la maison, les tâches des femmes étaient sans fin. La préparation des repas était une responsabilité constante, puisque les hommes mangeaient généralement plusieurs fois par jour. Les femmes servaient habituellement quatre repas principaux et plusieurs collations ou casse-croutes. La variété des aliments étant limitée, les femmes de Terre-Neuve et du Labrador variaient l'alimentation de la famille du mieux qu'elles le pouvaient avec une gamme restreinte d'ingrédients à leur disposition. La plupart des repas étaient composés de poisson et de patates, que les femmes arrivaient à apprêter de différentes manières. La cuisine était source de grande fierté pour les femmes, et la fabrication du pain était un talent particulièrement recherché. La cuisson du pain s'effectuait au moins une fois par jour, voire deux fois par jour pour les familles plus nombreuses. Avant l'arrivée de la levure emballée, les femmes de Terre-Neuve et du Labrador produisaient leur propre houblon.

La cuisine ne représentait toutefois qu'une fraction des tâches domestiques des femmes. L'argent se faisant rare, les familles devaient faire preuve d'ingéniosité et exploiter toutes les ressources à leur disposition. La plupart des femmes excellaient dans le filage de la laine et le tricot et fabriquaient la majorité des vêtements portés par les membres de la famille, y compris les chaussettes, les mitaines, les pantalons et les chandails. Le nettoyage de la maison était une autre tâche constante qui consistait à frotter les planchers, nettoyer les lits et faire la lessive à la main tous les jours. Pendant la saison de la pêche, les femmes devaient également concilier leur travail au sein de l'équipage à terre et toutes leurs tâches habituelles. Leur rôle était d'autant plus important lorsqu'on ajoute à tout cela la charge des enfants.

Économie de subsistance

Pour éviter une totale dépendance à l'égard du crédit accordé par les commerçants, les familles cherchaient des moyens de s'approvisionner en nourriture et en produits nécessaires à leur survie. L'agriculture, qui relevait d'un tour de force compte tenu du sol pauvre et du climat rude de l'île, était un moyen pour les familles d'être un peu plus autonomes. Une fois que les hommes avaient défriché la terre, l'entretien du jardin potager était la responsabilité des femmes. Elles s'en occupaient en enlevant les roches, en ajoutant l'engrais et en semant et récoltant les légumes. Ces tâches exigeaient énormément de travail et de force physique.

Femmes non identifiées travaillant à la fenaison, s.d.
Femmes non identifiées travaillant à la fenaison, s.d.
Au 19e siècle, les femmes de Terre-Neuve et du Labrador effectuaient un éventail de tâches qui comptaient pour beaucoup dans le revenu global de leurs ménages.
Avec la permission de la Division des archives (A12-122), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

La majorité des familles possédaient du bétail, notamment des moutons, des poulets, des chevaux, des vaches, des cochons et des chèvres. Lorsque les hommes étaient en mer, les femmes s'occupaient des animaux. Elles trayaient les vaches, tondaient les moutons et traitaient la laine pour fabriquer les vêtements et autres textiles dont le foyer avait besoin, comme les draps, les courtepointes et les oreillers. Ces tâches requéraient une autre série de compétences des plus utiles qui rendaient le travail des femmes encore plus important pour la survie de leur famille.

La cueillette de baies relevait aussi principalement des femmes, et cette tâche comptait pour beaucoup dans le revenu familial. Les femmes utilisaient les baies (les bleuets, les airelles rouges, les plaques-bières, les fraises et les framboises) pour faire de la confiture, des gelées et du vin, qu'elles troquaient pour des provisions de grande valeur qui aideraient la famille à passer au travers de l'hiver.

Les finances du ménage étaient aussi l'affaire des femmes. À la fin de la saison de la pêche, l'époux ne pouvait régler les comptes avec le commerçant qu'après avoir consulté son épouse, qui suivait de très près toutes les transactions et les dettes encourues. La matriarche était celle qui était au courant des comptes de la famille et qui intervenait souvent lorsque des conflits survenaient entre la famille et un commerçant. Les moyens de subsistance de la famille reposaient fortement sur les habiletés de gestion des femmes.

Les femmes et le travail salarié

Au début du 19e siècle, la plupart des emplois rémunérés exercés par les femmes se trouvaient dans le secteur des services. Les dossiers de recensement et les annonces dans les journaux remontant à cette période indiquent que les femmes travaillaient comme sages-femmes, jardinières, blanchisseuses, couturières et parfois même, aubergistes. Vers la fin du siècle, on voyait de plus en plus de femmes à St. John's travailler en tant que salariées comme domestiques, commis et ouvrières dans les usines. La majorité de ces femmes étaient célibataires et sans enfants; les femmes mariées cherchaient plutôt du travail qui pouvait être effectué à la maison, comme le lavage et la couture. L'emploi salarié le plus exercé par les femmes de St. John's était celui de servante, généralement une jeune fille originaire d'un village isolé qui aidait les familles commerçantes aux tâches ménagères et aux tâches liées à la pêche. Les domestiques cuisinaient, nettoyaient, prenaient soin des enfants et s'occupaient du jardin et du bétail familiaux.

Première convention des enseignants, Colonial Building, St. John's, T.-N.-L., 1898
Première convention des enseignants, Colonial Building, St. John's, T.-N.-L., 1898
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales, (Coll. 137 04.03.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le travail domestique était très exigeant de nature. La plupart des domestiques travaillaient de très longues journées pour des employeurs qui attendaient d'elles qu'elles soient disponibles en tout temps. De plus, les salaires étaient très bas, et les relations entre les domestiques et la famille étaient souvent instables. Les archives judiciaires de cette période font état de nombreux conflits de travail concernant le versement des salaires et des allégations de mauvais traitements infligés par des employeurs.

Pour en savoir plus sur les femmes de Terre-Neuve et du Labrador et leurs rôles dans le monde du travail, veuillez consulter Coastal Women in Newfoundland and Labrador Prior to Confederation sur le site Web Maritime History Archive (MHA).

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