Arts visuels

Bien qu'ils n'aient pas toujours eu le prestige ou la visibilité qu'ils connaissent aujourd'hui, les arts visuels ont une longue histoire à Terre-Neuve et au Labrador. On entend par art visuel toute oeuvre (peinture, gravure, dessin, sculpture, installation, photographie, vidéo, cinéma, voire même performance) qui communique une idée ou une émotion par l'entremise de procédés visuels. Parmi les arts visuels, on pourrait aussi classer l'art vernaculaire, souvent appelé art populaire ou artisanat, qui a longtemps été, et continue d'être, un élément important de la vie quotidienne de la plupart des Terre-Neuviens.

Les premiers exemples d'art dans la Province ont été produits par les Autochtones. La plus ancienne de ces oeuvres est sans doute une petite figurine d'ours en stéatite, retrouvée au Labrador, qui fait aujourd'hui partie de la collection du Newfoundland Museum; on l'a identifiée à la tradition des Esquimaux de tradition Dorset, et datée aux alentours de l'an 800.

Figurine d'ours en stéatite, tradition Dorset
Figurine d'ours en stéatite, tradition Dorset
Dans l'Arctique, les artistes esquimaux de tradition Dorset utilisaient surtout de l'ivoire, des os et du bois pour leurs sculptures. De leur côté, ceux du Labrador préféraient travailler la stéatite.

Avec la permission du musée The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Pour l'essentiel, les premières oeuvres d'art européennes portant sur Terre-Neuve ont été créées par des visiteurs ou des explorateurs. Dès le XVIIe siècle, des artistes britanniques et américains ont produit des oeuvres inspirées de la tradition européenne des beaux-arts (dessin, aquarelle, peinture à l'huile, gravure, etc.); ces oeuvres étaient souvent terminées dans des studios en Europe, à partir d'esquisses ramenées de Terre-Neuve. Au gré des efforts de colonisation du rude territoire, on s'est efforcé de répertorier et d'étudier ses caractéristiques par des représentations visuelles. Impressionnés par la nouveauté des paysages sauvages et des expériences, artistes et visiteurs ont produit des cartes très ornées du littoral. Sir Joseph Banks et J. J. Audubon ont produit des portraits des autochtones, des animaux, des poissons et des plantes, et certains officiers de l'armée et de la marine, des dessins topographiques et des aquarelles. Une huile représentant le havre de St. John's, peinte par Dominique Serres en 1798 pour le roi George II, constitue l'une des oeuvres les plus impressionnantes de cette période. Plus récentes, les lithographies de l'époque victorienne et édouardienne et les oeuvres peintes des artistes américains Frederick Church et Rockwell Kent sont dignes de mention.

Jusque vers 1900, la majorité de l'art dit terre-neuvien était donc produit, comme on l'a vu, par des artistes de passage. Toutefois, au tournant du XXe siècle, la population avait pris racine et la génération montante allait engendrer une nouvelle catégorie artistique : un art terre-neuvien créé par des Terre-Neuviens et abordant surtout des thématiques associées à Terre-Neuve. Au nombre de ces artistes amateurs éclairés, il y a lieu de mentionner J. W. Hayward et son fils Thomas B. Hayward, Agnes Marian Ayre, dont les dessins minutieux de plantes locales ont été encensés par les botanistes du temps, et Harold B. Goodridge, qui a réalisé sur commande un certain nombre de murales, notamment celle qui orne le grand hall de l'édifice de la Confédération.

Avant 1950, les arts visuels étaient restés à l'arrière-plan de la vie culturelle terre-neuvienne, encore dominée par les arts de la scène comme la musique et le théâtre. Toutefois, avec la deuxième moitié du siècle, ils ont fini par s'imposer grâce à plusieurs jeunes peintres revenus sur l'île à la fin des années 1940 après des études sur le continent. Les premiers de ces pionniers auront été Rae Perlin, un produit de l'Art Students League de New York, et Reginald et Helen Parsons Shepherd, tous deux diplômés du Collège des beaux-arts de l'Ontario.

D'autres puissantes figures sont venues enrichir le secteur artistique de Terre-Neuve au cours des années 1960. Christopher Pratt est rentré dans la Province en 1961, accompagné de sa jeune épouse Mary et de leurs enfants, pour prendre la tête de la nouvelle galerie d'art de l'université Memorial; il va ensuite s'établir à Salmonier et y poursuivre une carrière artistique à temps plein. David Blackwood, de Wesleyville, lui aussi diplômé du Collège des beaux-arts de l'Ontario au début des années 1960, est célèbre pour ses représentations de la culture et de l'histoire de Terre-Neuve, même s'il ne vit plus dans la Province. Un autre natif de Terre-Neuve, Gerald Squires, choisissait en 1969 de quitter une existence confortable d'illustrateur de journaux à Toronto pour revenir mettre en valeur sa patrie et sa culture par le biais de sa production artistique.

Still Life, par Helen Parsons Shepherd, 1971 Huile sur masonite, 55,9 x 66 cm
Still Life, par Helen Parsons Shepherd, 1971 Huile sur masonite, 55,9 x 66 cm

Reproduit avec l'aimable autorisation de Helen Parsons Shepherd. Gracieuseté de la Art Gallery of Newfoundland and Labrador, Arts and Culture Centre, St. John's, Terre-Neuve

Au cours des années 1960 et 1970, les Services de diffusion de l'université Memorial ont eu un impact considérable sur la scène des arts visuels. Grâce à eux, de nouveaux artistes visuels sont venus s'installer dans la Province pour enseigner, fournissant un encadrement stimulant aux artistes en herbe. Les Heidi Oberheide, Don Wright et Frank Lapointe ont tous contribué à la création de l'atelier de gravure de St. Michael's qui, encore aujourd'hui, poursuit son action dynamique dans la communauté artistique. Wright a aussi pris en main l'organisation d'ateliers dans les communautés rurales, où l'on n'avait pour ainsi dire jamais vu d'oeuvres d'art originales.

Jigging, par Don Wright, 1977
Jigging, par Don Wright, 1977
Lithographie, 56,5 x 76,2 cm

Reproduit avec l'aimable autorisation de Pat Wright. Gracieusement fourni par la Art Gallery of Newfoundland and Labrador, Arts and Culture Centre, St. John's, Terre-Neuve

De la même façon, l'école de Hibbs Cove, fondée par l'artiste George Noseworthy, a amené des artistes professionnels dans la région de la baie de la Conception. Des débouchés de ce genre ont attiré à Terre-Neuve des artistes qui, dans certains cas, s'y sont installés pour de bon et se sont intégrés au tissu culturel de la Province.

Les arts visuels ont continué d'évoluer au cours des années 1980, avec la création d'un Conseil des arts provincial et l'ouverture à St. John's de nombreuses salles d'exposition gérées par des artistes, comme les galeries RCA et Eastern Edge. Malgré l'impact des compressions budgétaires sur le soutien accordé aux artistes et aux institutions artistiques, la communauté des arts visuels a continué de se développer, favorisant l'émergence d'une nouvelle génération d'artistes.

La scène culturelle terre-neuvienne des années 1990 est occupée par des artistes qui recourent aux médias traditionnels et aux nouvelles technologies pour exprimer leurs diverses préoccupations comme la culture terre-neuvienne, la préservation du patrimoine autochtone, l'écologie et la condition féminine, pour n'en nommer que quelques-unes. Les Terre-Neuviens intéressés aux arts peuvent étudier au campus du collège de l'Atlantique nord, à Stephenville, ainsi qu'à l'université Memorial, à St. John's, qui dispense depuis 1988 un Baccalauréat en beaux-arts. S'il est vrai que la scène artistique se porte bien à Terre-Neuve, il reste encore fort à faire : offrir des cours d'arts plastiques dans toutes les écoles, ouvrir une galerie d'art provinciale et faire reconnaître par la société la contribution financière et spirituelle des artistes.

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