La Première Guerre mondiale contribua à la prospérité de Terre-Neuve et du Labrador à court terme, mais elle endommagea son économie à long terme, en augmentant la dette publique. Grâce à la participation réduite des nations en guerre à la pêche à la morue, cette industrie de Terre-Neuve-et-Labrador vit alors ses conditions du marché et ses recettes s'améliorer. Les industries de la foresterie et de l'exploitation minière profitèrent également de la demande en exportations du bois d'œuvre et du minerai de fer durant la guerre. En 1916, le gouvernement annonça son premier excédent budgétaire depuis des années et continua d'afficher un excédant pour toute la durée des hostilités. Les emplois étaient nombreux, les salaires étaient bons et les résidents profitaient d'un niveau de vie élevé.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (F 46-23), St. John's (T.-N.-L.)
Terre-Neuve-et-Labrador dépensa également beaucoup d'argent pour mettre sur pied, former et équiper ses propres forces militaires destinées aux opérations terrestres et maritimes. Sa contribution à l'effort de guerre totalisa environ 35 millions de dollars et augmenta la dette publique, qui était de 30,5 millions de dollars avant la guerre, pour atteindre les 42 millions de dollars en 1919. À ce moment, les paiements d'intérêts sur la dette publique absorbaient à eux seuls près du quart du revenu national annuel. Le temps de paix apporta également d'autres fardeaux financiers. En effet, la France, la Norvège et d'autres pays reprirent le commerce de la pêche et faisaient alors concurrence à Terre-Neuve-et-Labrador pour l'accès aux ressources et aux marchés. La diminution des prix du poisson et la dépression mondiale de l'après-guerre aggravèrent la situation et firent des années 1920 et 1930 une époque de grandes difficultés économiques pour le pays.
Au moment où la guerre éclata en août 1914, l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador était centrée sur l'industrie de la morue, tout comme elle l'avait été depuis le début du 16 siècle. Les travailleurs locaux de l'industrie de la pêche pêchaient le poisson et le transformaient, et les produits étaient ensuite livrés par les commerçants aux marchés du Sud de l'Europe, des Caraïbes et de l'Amérique du Sud. Les industries forestière et minière avaient également pris de l'importance depuis les années 1890, lorsque la construction du chemin de fer transilien rendait plus accessible que jamais la richesse en ressources du territoire intérieur de Terre-Neuve.
Photographe inconnu. Reproduction de l'image autorisée par le Maritime History Archive (PF-315.181), Memorial University, St. John's (T. N. L.)
Quant aux industries minière et forestière, bien qu'elles réduisaient la dépendance de Terre-Neuve-et-Labrador envers l'industrie imprévisible de la pêche, elles dépendaient néanmoins de l'accès aux marchés étrangers. Le pays se mit alors à dépendre énormément des fluctuations d'un marché international sur lequel il n'avait aucun contrôle. Terre-Neuve-et-Labrador prospérait donc lorsque les prix et la demande pour ses ressources étaient à la hausse, mais dépérissait lorsqu'ils étaient à la baisse.
Avant que les hostilités ne commencent en 1914, Terre-Neuve-et-Labrador vivait un ralentissement économique. Une dépression commerciale avait nui aux profits et, pour compliquer la situation, s'ajoutaient les faibles taux de captures de la pêche et la perte de quelques exportations en raison de catastrophes maritimes. De nombreux résidants étaient sans emploi ou sous-employés et vu les faibles revenus, le pays fut forcé de déclarer un déficit d'environ 302 000 $ pour l'exercice 1913-1914. Sa dette nationale s'élevait à près de 30,5 millions de dollars, ce qui était relativement élevé pour une population de 250 000 personnes.
Bien que la Première Guerre mondiale ait ultimement profité au secteur d'exportations de Terre-Neuve-et-Labrador, le commerce est demeuré lent durant la première année des hostilités, alors que le monde entier s'ajustait aux incertitudes de la guerre. La valeur des exportations du pays baissa d'environ 2 millions de dollars par rapport à l'année précédente, et le gouvernement déclara un déficit de 756 000 $ pour l'exercice 1914-1915.
Les conditions s'améliorèrent durant la seconde moitié de l'année 1915, avec des taux de captures élevés de la pêche et la hausse des prix sur le marché international, favorisant ainsi la principale industrie de Terre-Neuve et du Labrador. La Marine royale britannique aida à protéger les voies maritimes du pays, rendant ainsi possible l'accès à des marchés importants dans la Méditerranée, les Caraïbes et l'Amérique du Sud. Les pays rivaux dans le commerce du poisson, comme la France et la Norvège, durent réduire leurs efforts compte tenu des pressions de la guerre, ce qui permit ainsi au poisson de Terre-Neuve-et-Labrador d'occuper une plus grande part du marché. Durant la guerre, la demande mondiale de morue augmenta, tout comme son prix sur le marché international; le prix moyen de la morue à la fin de la guerre était environ 84 pour cent supérieur à ce qu'il était avant le déclenchement des hostilités.
Les industries forestière et minière profitèrent également de la demande accrue durant la guerre. Le Canada importa du minerai de fer des mines de l'île Bell pour la fabrication d'armes et de munitions, alors que le besoin accru de la Grande-Bretagne en étais de mine (poutres en bois qui servaient à soutenir les tunnels miniers) augmenta considérablement les exportations de bois d'œuvre de Terre-Neuve et du Labrador. L'économie locale connut une croissance stable tout au long de l'exercice 1915-1916 et continua de s'accroître pendant toute la durée des hostilités. Les emplois abondaient, les exportations continuaient d'augmenter et les taux de prise demeuraient élevés. Entre 1914 et 1919, la valeur des exportations du pays tripla pratiquement, pour passer de 13 millions de dollars à 36 millions de dollars. Le gouvernement déclara un surplus durant l'exercice 1915-1916 et continua d'afficher des surplus jusqu'à la fin de la guerre.
Photo de Holloway. Reproduction de l'image autorisée par la division des archives et des collections spéciales (coll. 137 10.13.002), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University, St. John's (T.-N.-L.)
La prospérité en temps de guerre entraîna des salaires élevés et un faible taux de chômage. Les résidants avaient plus d'argent à dépenser qu'à l'habitude et le niveau de vie local s'éleva au-delà de ce qui pouvait être maintenu en temps de paix. Les automobiles devinrent plus répandues à St. John's, tout comme les styles d'habillement nord-américains. Le prix de la farine, du charbon et d'autres produits importés augmenta, mais les salaires élevés compensèrent généralement les prix gonflés pendant la guerre.
Malgré la découverte des nouvelles richesses du pays et ses surplus répétitifs, les dépenses élevées en temps de guerre augmentèrent considérablement la dette publique. La plupart de ces dépenses étaient consacrées au recrutement, à la formation et à l'équipement des troupes en vue de leur service militaire à l'étranger - une tâche de taille pour un pays qui n'avait aucune force terrestre ni de département militaire au sein de son gouvernement. Aucun soldat n'avait été en poste à Terre-Neuve-et-Labrador depuis le retrait des troupes britanniques dans les années 1870, et bien que le pays appuyait une section de la Royal Naval Reserve, presque tous ses membres (600 moins 70) œuvraient dans le secteur de la pêche au moment où les conflits éclatèrent en août 1914.
Il y avait comme seules autres ressources militaires existantes quatre corps de cadets soutenus par l'Église, le St. John's Rifle Club ainsi qu'une section locale de la Legion of Frontiersmen, soit une unité paramilitaire qui s'adressait aux hommes âgés de 18 ans et plus qui avaient une expérience militaire, maritime ou en milieu sauvage. La section de Terre-Neuve-et-Labrador comptait environ 150 membres au moment où la guerre éclata.
Au lieu d'envoyer des volontaires garnir les rangs des forces canadiennes et britanniques déjà existantes, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador décida de mettre sur pied sa propre unité d'infanterie pour combattre outre-mer. À la fin de la guerre, le pays avait enrôlé 6 241 hommes dans le Newfoundland Regiment, 1 964 hommes dans la Royal Naval Reserve et 498 autres dans le corps forestier outre-mer. Le maintien de ces forces, particulièrement celle du Newfoundland Regiment, entraîna des coûts économiques importants pour le pays et força ainsi le gouvernement à emprunter de larges sommes auprès de prêteurs à New York et à Londres.
Avec la permission de The Rooms, division provinciale des archives (NA 6037), St. John's (T.-N.-L.)
Le coût total de la guerre pour Terre-Neuve et du Labrador - incluant les emprunts de guerre, les intérêts, les pensions de guerre et le coût de la démobilisation des troupes - se chiffra à environ 35 millions de dollars, faisant passer la dette du pays de 30,5 millions de dollars en 1913-1914 à 42 millions de dollars en 1918-1919. Les paiements d'intérêts sur la dette étaient alors devenus la plus grande dépense annuelle du gouvernement, accaparant 22 pour cent de son revenu annuel. La situation empira une fois la paix venue, lorsque la récession de l'après-guerre vint lourdement réduire les recettes du pays.
Après la guerre, les principaux rivaux internationaux de Terre-Neuve et duLabrador dans le commerce du poisson, notamment la France, la Norvège, l'Islande et le Portugal, refirent leur apparition sur le marché et recommencèrent à se livrer concurrence pour les ressources et les acheteurs. En plus de la diminution de la valeur de certaines devises mondiales après la guerre, les marchés devinrent rapidement saturés des produits du poisson, ce qui entraîna une baisse du prix du poisson. De fait, un baril de poisson qui coûtait 14,46 $ en 1918 ne rapportait plus que 9,77 $ en 1920, et plus que 6,86 $ en 1922 - soit moins que la moitié de son prix de 1918. Compte tenu des prix à la baisse et de la concurrence accrue, les profits de Terre-Neuve et du Labrador s'évaporèrent.
Photographe inconnu. Reproduction de l'image autorisée par la Maritime History Archive (PF-315.139), Memorial University, St. John's (T.-N.-L.)
Le gouvernement annonça un déficit pour l'exercice 1920-1921, déficit qui se répéta les 14 années suivantes. En raison des difficultés économiques des exportations de Terre-Neuve et du Labrador dans le contexte de la récession mondiale de l'après-guerre, le gouvernement dut largement emprunter auprès de prêteurs internationaux. Une grande partie de cet argent servit à payer les coûts de la guerre et à appuyer le projet de la Newfoundland Railway, qui était en difficulté. Lorsque la grande crise éclata en 1929, la dette publique du pays totalisait 80 millions de dollars, dont les deux tiers étaient liés aux dépenses durant la guerre et au projet de chemin de fer.
Vu la situation, le gouvernement ne pouvait plus payer les intérêts sur sa dette et s'adressa au Royaume-Uni pour obtenir de l'aide. La Grande-Bretagne accepta d'appuyer Terre-Neuve-et-Labrador, mais à la condition d'avoir un plus grand contrôle politique sur la colonie et ainsi protéger ses investissements. Terre-Neuve-et-Labrador cessa donc d'être une nation autonome le 16 février 1934, date à laquelle la commission gouvernementale fut assermentée. La commission demeura au pouvoir jusqu'à ce que Terre-Neuve et le Labrador se joigne au Canada en 1949.