Les marins de Terre-Neuve et du Labrador ont servi au sein de presque toutes les flottilles et tous les escadrons de la Royal Navy durant la Première Guerre mondiale. Ils ont combattu dans les eaux au large de la Turquie, de la France et du Royaume-Uni. Ils ont effectué des patrouilles dans la mer du Nord, protégé les côtes de l'Amérique du Nord et livré des combats contre les sous-marins et les navires de guerre allemands.
Avec la permission de The Rooms, Division des archives provinciales (NA 1529), St. John's (T.-N.-L.).
Ces hommes de la Newfoundland Royal Naval Reserve ont servi avec tant de distinction et d'habileté qu'on a dit d'eux qu'ils formaient les meilleurs équipages de petits bateaux au monde. Beaucoup d'entre eux travaillaient comme pêcheurs dans des petits villages côtiers isolés. Ils savaient naviguer dans les eaux austères de l'Atlantique Nord et pouvaient manœuvrer presque tous les types de bateau, tant les petits doris et les plates utilisés pour pêcher dans les eaux côtières que les grands bateaux pontés et les goélettes qui se rendaient dans les Grands Bancs et sur la côte du Labrador. Ils naviguaient avec la même assurance à bord de puissants navires à vapeur, bravant tous les printemps les flots glacés dans l'Atlantique Nord pour chasser le phoque.
La Royal Navy britannique a compris bien avant le déclenchement de la guerre tout ce qu'avaient à offrir les gens de mer de Terre-Neuve et du Labrador. Elle a décidé de recruter des volontaires pour former une force de réserve, un groupe de marins qualifiés auxquels elle pourrait faire appel en cas de guerre.
Avec la permission de The Rooms, Division des archives provinciales (F-46-25), St. John's (T.-N.-L.).
À l'automne 1900, l'Amirauté britannique a invité 50 volontaires à prendre part à une croisière d'instruction de six mois à bord du HMS Charybdis. Le navire a quitté St. John's en novembre pour effectuer un voyage aller-retour entre Terre-Neuve et les Antilles. Au cours des deux années suivantes, deux autres voyages couronnés de succès furent réalisés, incitant ainsi le gouvernement britannique et le gouvernement terre-neuvien à baser de façon permanente un navire d'entraînement à St. John's.
Le HMS Calypso est entré dans le port le 15 octobre 1902, avec à son bord un effectif permanent composé de 28 instructeurs, tous de la Royal Navy britannique. Le navire pouvait accueillir jusqu'à 300 volontaires. La Newfoundland Royal Naval Reserve acceptait les hommes célibataires de 18 à 30 ans en bonne santé, qui avaient de l'expérience dans le domaine maritime. En 1909, la limite d'âge maximale a baissé à 25 ans.
Avec la permission de la Division des archives provinciales du musée The Rooms (B-17-22), St. John's (T.-N.-L.).
La majorité des 375 hommes qui se sont portés volontaires durant la première année étaient des pêcheurs de morue de la presqu'île Avalon et de la côte nord-est de Terre-Neuve. Ils se sont engagés pour cinq ans et ont accepté de se rendre sur le Calypso une fois par année pour suivre une période d'instruction de 28 jours. Le gouvernement payait les frais de déplacement des réservistes qui devaient voyager entre leur village côtier isolé et St. John's. Les hommes, pouvant choisir le moment qui leur convenait le mieux pour suivre l'instruction, arrivaient presque tous à St. John's durant les mois d'hiver, lorsque la saison de pêche était terminée et que la chasse au phoque n'avait pas commencé.
Le commandant de la Réserve, Anthony MacDermott, était impressionné par la qualité des recrues : « Les Terre-Neuviens n'ont eu aucune difficulté à adopter la vie en mer et à exécuter les exercices navals. Ces hommes, qui jusqu'alors ne s'étaient jamais soustraits à une quelconque forme de discipline, n'ont causé aucun ennui à leurs officiers. Leur conduite était unanimement exemplaire et le besoin d'infliger des punitions était pratiquement inexistant. Chaque ordre était exécuté avec empressement et tous les hommes démontraient une intelligence caractéristique des bons marins. Ils pouvaient être comparés aux meilleurs, même en ce qui avait trait aux questions de propreté et de comportement. Je peux affirmer sans hésiter qu'aucun homme dans tout le service n'avait aussi fière allure que ces réservistes. » (436)
Photo tirée du Book of Newfoundland,« Newfoundland's, Part in the Great War », volume I (St. John's, Terre-Neuve : Newfoundland Book Publishers, ©1937) 439.
Les volontaires de la Royal Naval Reserve ont appris à utiliser des carabines et des pièces d'artillerie lourde, à manipuler les munitions, à intervenir en cas d'urgence à bord d'un navire et à exécuter une vaste gamme de pratiques courantes dans la Marine. Durant leur instruction sur le Calypso, les réservistes touchaient un salaire quotidien. Ils acceptaient également une somme versée à titre d'acompte d'environ six livres par année, ce qui les engageait à s'enrôler dans la Marine régulière s'ils étaient appelés à servir. L'entente était mutuellement avantageuse : les réservistes avaient un emploi rémunéré pendant la saison morte de la pêche et la Royal Navy pouvait faire appel à des gens de mer expérimentés en cas de guerre.
L'appel a été lancé par l'Amirauté britannique le 2 août 1914, et tous les réservistes devaient se présenter sur le Calypso pour le service actif. La Grande-Bretagne a déclaré la guerre à l'Allemagne deux jours plus tard. La Newfoundland Royal Naval Reserve comptait quelque 500 hommes enrôlés au moment du déclenchement des hostilités. On se demandait toutefois si tous les réservistes répondraient à l'appel du devoir.
Avec la permission de la Maritime History Archive (PF-319.227), Memorial University, St. John's (T.-N.-L.)
« Il est important de ne pas oublier que l'appel a été lancé alors que la saison de la pêche battait son plein. Le fait d'être appelés à ce moment précis causait évidemment à ces pauvres hommes de grandes difficultés et de lourdes pertes financières », relatera plus tard Anthony MacDermott dans le Book of Newfoundland. « Durant la saison de la pêche, qui est de courte durée à Terre Neuve, les pêcheurs doivent amasser assez d'argent pour subvenir à leurs besoins ainsi qu'à ceux de leur famille pendant toute l'année. "Ils ne viendront jamais! ", me disait-on. "Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que ces hommes renoncent à leur moyen de subsistance pour une guerre dont ils ignorent tout et qui ne les préoccupe pas." »
« Étant nouvellement arrivé dans le pays, je n'avais pas d'idées préconçues. Ils ont eu bien tort cependant, ces sceptiques. Mes hommes sont venus; pas un seul ne manquait à l'appel. Ils sont arrivés sans difficulté aucune, même si beaucoup d'entre eux avaient dû marcher cinquante ou soixante milles pour monter à bord d'un bateau à vapeur ou d'un train. » (436)
Avec la permission de la Division des archives provinciales du musée Version agrandie The Rooms (E-43-16), St. John's (T.-N.-L.)
La Grande-Bretagne étant en guerre, la Royal Navy devait soudainement recruter le plus de marins possible. Le gouvernement de Terre-Neuve a alors suggéré de doubler à 1 000 l'effectif de la Réserve. Londres a donné son accord. Les exigences liées à l'enrôlement ont été élargies pour qu'un plus grand nombre d'hommes puissent se porter volontaires : les réservistes ne devaient plus avoir de l'expérience dans le domaine maritime et la limite d'âge maximale est passée de 25 à 35 ans. Environ 660 hommes se sont portés volontaires durant les six premiers mois, mais environ le tiers d'entre eux ont été rejetés pour raison d'ordre médical.
Les marins ont été les premiers hommes de Terre-Neuve et du Labrador à servir durant la Première Guerre mondiale. Un mois après le déclenchement des hostilités, 106 réservistes ont été affectés sur le NCSM Niobe de la Marine canadienne. Ils ont patrouillé dans le détroit de Belle Isle à la recherche de croiseurs allemands et ont passé 10 mois dans les eaux au large de New York et de Boston. Lorsque les chaudières du Niobe ont cessé de fonctionner en juillet 1915, le navire a été mis hors service et les Terre-Neuviens ont été envoyés en Grande-Bretagne pour une réaffectation.
La Newfoundland Royal Naval Reserve avait alors atteint sa cible de 1 000 hommes. Les nouvelles recrues recevaient leur instruction sur le Calypso, à St. John's, et elles partaient ensuite en Angleterre poursuivre leur entraînement.
Avec la permission de Darrell Hillier, St. John's (T.-N.-L.)
Contrairement aux hommes du First Newfoundland Regiment qui étaient restés au sein de leur unité, les réservistes ont été dispersés dans toute la Royal Navy. Il est donc difficile de relater leur expérience ou d'établir des liens entre leurs actions et des batailles ou des événements précis.
Ils ont servi sur des dragueurs de mines près des îles Britanniques et à bord de navires marchands armés, voyageant entre autres en Inde, en Afrique, en Amérique du Sud et en Australie. Les Terre-Neuviens et les Labradoriens ont servi dans les rangs de l'artillerie et comme hommes de pont; ils débarquaient des troupes terrestres dans les zones de guerre et faisaient parvenir aux ports des nations alliées les denrées et le matériel dont elles avaient désespérément besoin.
Avec la permission de Darrell Hillier, St. John's (T.-N.-L.)
Les hommes de Terre-Neuve et du Labrador ont également servi à bord de navires-pièges, les Q-ships, ces navires lourdement armés de la Marine déguisés en simples navires marchands ou en bateaux de pêche. La fonction des navires-pièges était d'attirer les sous-marins ennemis vers eux pour ensuite pouvoir ouvrir le feu. Des 16 réservistes terre-neuviens dont on sait qu'ils ont servi à bord des navires-pièges dans les eaux étrangères, un seul a perdu la vie. Le Matelot John Joseph Power a été tué le 29 mars 1917, lorsque son navire est entré en collision avec le SS Tainu, au large de l'île de Wight. Il avait 18 ans.
De nombreux réservistes de Terre-Neuve ont également servi au sein du 10th Cruiser Squadron de la Royal Navy. L'unité a été formée au début de la guerre pour assurer une patrouille dans la mer du Nord et dans les eaux entre les îles Britanniques et l'Islande. Elle avait pour objectifs d'empêcher l'Allemagne d'entretenir des liens commerciaux internationaux et de bloquer l'accès à l'océan Atlantique aux navires de guerre allemands.
Ces missions étaient dangereuses notamment en raison des eaux agitées, de l'épais brouillard et des vents parfois très violents. Les mines et les torpilles ennemies représentaient également une menace. L'escadron a subi de lourdes pertes. À la mi-janvier 1915, le HMS Viknor a coulé près de la côte nord-ouest de l'Écosse. Tous les membres de l'équipage ont perdu la vie. Les premiers rapports signalaient la mort de 24 Terre-Neuviens, mais plus tard, ce nombre a été porté à 25.
Acev la permission de Digital Archives Initiative, Memorial University of Newfoundland, St. John's, (T.N.L.)
Environ trois semaines plus tard, le croiseur marchand armé Clan McNaughton a coulé alors qu'il patrouillait dans les eaux au large de la côte nord de l'Irlande. De l'avis général, les forts coups de vent qui auraient touché la région le 3 février seraient la cause du naufrage. Vingt-deux réservistes de Terre-Neuve furent parmi les victimes. Le 11 mars 1915, onze autres réservistes terre-neuviens ont perdu la vie après qu'un sous-marin allemand ait torpillé et coulé le HMS Bayano.
Au cours de la même période, d'autres réservistes de Terre-Neuve combattaient dans la Méditerranée, près de la péninsule de Gallipoli. Voulant prendre le contrôle de la péninsule aux mains des forces ennemies, les Puissances alliées ont lancé une série d'attaques navales et terrestres en 1915. Le 25 avril, elles ont déployé des milliers de soldats dans le secteur. Ils arrivaient par la mer et la Marine devait les transporter jusqu'à la pointe de la péninsule.
Avec la permission du Royal New South Wales Lancers Memorial Museum, Parramatta, Nouvelle-Galles du Sud, Australie
Le réserviste terre-neuvien T. Wells était l'un des marins qui amenaient les soldats sur la terre ferme. Alors qu'ils s'approchaient de la côte, les hommes se sont trouvés devant un barrage de tirs ennemis destructeur.
« À la fin, nous n'étions que deux à ramer, les autres étant étendus au fond du bateau, morts ou blessés, ou affairés à soigner d'autres blessés », a écrit T. Wells dans un article publié dans la revue The Veteran en 1936. « Un officier sur le rivage nous a crié de sauter à l'eau et de nager vers la terre ferme. Nous avons donc sauté et tenté d'atteindre le chaland, mais nos sacs étaient trop lourds. Nous avons nagé jusqu'à notre bateau et nous sommes tenus aux câbles de sauvetage pendant quelques minutes. Nous étions incapables de monter à bord de l'embarcation, l'échelle se trouvant bien au-dessus du niveau de l'eau. C'est alors que mon camarade a été touché par une balle, qui a transpercé sa chemise à la hauteur de ses épaules pour l'atteindre à l'omoplate. Nous étions sous un feu nourri et nous savions que nous ne pourrions plus tenir encore longtemps. Le bateau était criblé de trous et se remplissait d'eau. Nous avons retiré nos sacs et nagé en direction du chaland juste avant qu'une bombe fasse éclater le navire en morceaux. » (34)
En plus de servir à l'étranger, les membres de la Newfoundland Royal Naval Reserve ont servi au pays. Ils ont formé une garde de protection à la station de télégraphie sans fil de l'Amirauté à Mount Pearl et armé le fort Waldegrave d'un canon de 12 livres pour protéger l'entrée du port de St. John's.
Avec la permission de la Division des archives provinciales du musée The Rooms (VA-58-21), St. John's (T.-N.-L.).
En 1915, le Commandant MacDermott a mis sur pied la patrouille de Terre-Neuve et du Labrador pour protéger les pêcheurs dans les eaux intérieures et dans les Grands Bancs. Des caboteurs comme le Kyle avaient à leur bord des réservistes terre-neuviens et des fusils provenant du Calypso. Les navires ont patrouillé dans les eaux territoriales pour déceler tout signe d'activité ennemie.
À mesure que la guerre s'intensifiait, la présence de U-boats allemands devenait de plus en plus courante dans l'Atlantique Ouest. Le 8 octobre 1916, l'un d'entre eux a torpillé et coulé le SS Stephano au large de la côte du Massachusetts. Le Stephano était un navire à vapeur qui transportait des passagers entre St. John's et New York. Personne n'a perdu la vie lors de l'attaque et des destroyers américains ont rescapé tout le monde à bord. Le 20 août 1918, un autre U-boat a capturé un chalutier canadien dans les Grands Bancs. Plusieurs autres navires ont été attaqués ou capturés dans ce secteur au cours des dix jours suivants.
Cependant, la guerre était entrée dans sa phase finale. Les Forces alliées avaient entrepris l'offensive des Cent-Jours, qui s'est conclue par une victoire, le 11 novembre 1918, lorsque l'Allemagne a signé l'armistice pour mettre fin aux hostilités. Le moment était maintenant venu pour les hommes de la Newfoundland Royal Naval Reserve de rentrer au pays. Plus de 1 900 volontaires ont servi durant la guerre, et 192 y ont laissé leur vie.
Avec la permission de Darrell Hillier, St. John's (T.-N.-L.)
« À la fin de la guerre, tous les hommes de la Réserve avaient effectué la période de service qui avait été convenue et ils ont tous été libérés. Le célèbre Corps a donc été automatiquement dissout et a cessé d'exister », écrira plus tard Anthony MacDermott. « Le Calypso (maintenant appelé le Briton) est resté en service un certain temps et pendant un moment, on espérait parvenir à recruter des hommes et à donner un second souffle à la Réserve, mais, faute de financement, le navire a été mis hors service et vendu. C'est ainsi qu'a donc pris fin ce chapitre de l'histoire de Terre-Neuve, qui fut loin d'être déshonorant. »