Newfoundland and Labrador In The First World War

Les lettres de Frances Cluett, DAV

Frances Cluett voit le jour et grandit dans le petit village de pêche de Belleoram dans la baie Fortune sur la côte sud de Terre-Neuve. Elle appartient à une famille de commerçants de poisson. Ses ancêtres sont parmi les premières personnes venues s'installer dans la région.

Frances Cluett, sans date
Frances Cluett, sans date
Frances Cluett, née à Belleoram, Terre-Neuve-et-Labrador, a été membre du détachement d'aide volontaire (DAV) en Angleterre et en France pendant la Première Guerre mondiale.

Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 174 5.02.127), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University, St. John's, T.-N.-L.

Frances Cluett est institutrice et joue un rôle prépondérant au sein de sa collectivité et de son église. Elle devient présidente du chapitre de Belleoram de la Women's Patriotic Association (WPA) [association des femmes patriotes] lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Cette association est présente dans toute l'île et se compose de bénévoles qui participent activement à l'effort de guerre. Ses membres recueillent des dizaines de milliers de dollars et expédient outre-mer de la nourriture, des vêtements et d'autres articles dont les soldats ont désespérément besoin.

En octobre 1916, elle s'engage dans le détachement d'aide volontaire (DAV). C'est un organisme d'aides-infirmières qui fournit des services médicaux auxiliaires en temps de guerre. La jeune femme de 33 ans se rend d'abord à St. John's pour y suivre une formation de 4 semaines. Elle raconte ce qu'elle vit dans les nombreuses lettres qu'elle envoie à sa famille et à ses amis à Belleoram.

« Chère maman,
Je suis arrivée à St. John's vendredi vers 14 h. Je n'ai aucunement souffert du mal de mer… À 20 h, Mme Browning m'a escortée jusqu'à la salle de conférence du British Hall. J'avais un peu de retard, car sept jeunes femmes étaient déjà sur les lieux. Le Dr Reeves a donné son cours, puis nous nous sommes exercées à faire des pansements. On m'a présentée à Mlle Janes. C'est donc à elle que j'ai fait les pansements. Mme Browning et le Dr Reeves m'observaient. Le premier pansement enveloppait le bras et le corps. Le deuxième pansement servait à immobiliser une fracture du bras, puis le bras était ensuite glissé dans une écharpe. Le troisième pansement recouvrait le coude, le quatrième, l'avant-bras et le dernier, la main. »

Frances Cluett passe ses derniers examens le 29 octobre. Elle quitte ensuite le dominion. Elle séjourne brièvement à New York et à Londres avant d'être affectée à l'hôpital Fourth Northern General à Lincoln en Angleterre. C'est là que sont acheminés les soldats blessés au front. C'est une initiation brutale aux atrocités de la guerre.

« La cinquième journée, je me suis évanouie pendant que j'aidais « la sœur » à panser des blessures, écrit-elle à sa mère le 31 décembre 1916. Lorsque je suis revenue à moi, j'étais étalée sur le sol. Je peux vous dire que j'ai vu des blessures terribles. Je dois souvent détourner la tête et regarder par la fenêtre. »

Affiche du DAV vers 1914-1918
Affiche du DAV vers 1914-1918
La Société de la Croix-Rouge britannique met sur pied le détachement d'aide volontaire en 1909 afin de fournir des services médicaux auxiliaires en temps de guerre.

Avec la permission du musée et des archives de la Croix-Rouge britannique.

En avril 1917, elle se retrouve dans un hôpital militaire à Rouen en France. Après seulement cinq mois en Angleterre, elle est expédiée au front. Cette rapide progression souligne bien ses compétences, mais aussi le grave problème auquel les Alliés sont confrontés. Au début de la guerre, seules les aides-infirmières les plus expérimentées du DAV sont basées près du front. Rapidement toutefois, les nouvelles recrues sont dépêchées dans les hôpitaux militaires. Elles doivent répondre à la pénurie de personnel médical et soulager les effectifs surchargés de travail.

Les lettres de Frances Cluett représentent un lien vital avec ses proches et avec un monde intime et paisible. Elle écrit souvent et est impatiente de recevoir des nouvelles. Cependant, le colis expédié sporadiquement de Belleoram jusqu'aux hôpitaux militaires où elle travaille est mieux qu'une lettre ou une carte postale parfois. Il met trois semaines à parvenir à destination et son contenu n'est jamais intact.

« J'ai bien reçu le colis, mais malheureusement les gâteaux n'en faisaient plus qu'un. Ils étaient en miettes et ressemblaient à de la sciure de bois », écrit-elle le 13 septembre 1917. « Au premier coup d'œil, on aurait vraiment cru à de la sciure de bois, mais le goût en était bien différent. Je vous suis très reconnaissante, maman, pour l'envoi de ce colis… J'apprécie beaucoup le sucre. Impossible ici d'en acheter une once même si ma vie en dépendait. Un des patients m'a offert en cadeau une boîte de cacao. Presque tous les soirs dans ma chambre, avant de me mettre au lit, j'en bois une tasse malgré son amertume. Ce paquet de sucre est comme de l'or en barre pour moi, chère maman. J'en compte presque les grains lorsque je l'utilise. »

La guerre qui se prolonge sape le moral de Frances Cluett. Ses lettres expriment son découragement. Elle semble sentir qu'un fossé se creuse entre elle, sa famille et ses amis, car ils ne connaissent pas la fureur de la guerre. Elle se rend compte qu'ils ne peuvent pas comprendre les épreuves bouleversantes qui la secouent outre-mer.

« Le 31 mars 1918,
Nous sommes débordés, presque crevés depuis le dernier assaut. Si cette guerre ne se termine pas bientôt, il ne restera plus un seul homme en vie sur cette planète. La barbarie, la tuerie, l'enfer sur terre. Ah ! Si vous pouviez seulement voir et vivre ce que nous vivons, ça vous rendrait fous. »

Après la guerre, Frances Cluett reste à Rouen encore quelques mois pour prendre soin des soldats allemands blessés. En 1919, elle reçoit l'ordre de se rendre en Turquie. Elle revient finalement à Terre-Neuve en 1920. Elle continue à enseigner au primaire à Belleoram et y exploite aussi un petit magasin. Elle décède en 1969 à l'âge de 86 ans.

Frances Cluett, sans date
Frances Cluett, sans date

Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 174 5.01.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University, St. John's, T.-N.-L.

Elle a accumulé pendant son service au DAV de très nombreuses lettres et photographies qui sont autant de témoignages sur la Première Guerre mondiale en Europe. Elles sont conservées dans la collection Frances Cluett (Coll. 174), Division des archives et collections spéciales de la bibliothèque Queen Elizabeth II, de la Memorial University. Vous pouvez également y avoir accès par l'intermédiaire des archives numériques [Digital Archives Initiative] à http://collections.mun.ca/cdm/landingpage/collection/cluett.

Vous trouverez des extraits de lettres aux pages suivantes : (en anglais)

Lettre 1
Lettre 2
Lettre 3
Lettre 4

English version

Mise à jour de Jenny Higgins, juin 2015
Bibliographie - Première guerre mondiale (en anglais)