Lorsque la guerre éclata le 4 août 1914, le gouvernement de Terre-Neuve était aux prises avec ce que l'on considérait à maints égards comme un problème de gestion. L'Angleterre avait besoin d'hommes pour ses forces armées, et Terre-Neuve souhaitait vivement contribuer. Le gouverneur Sir Walter Davidson proposa que Terre-Neuve mette sur pied et équipe une force militaire de 500 volontaires pour l'armée de terre outre-mer. Londres appuya son plan. Mais la façon dont le dominion s'y prendrait pour respecter ses engagements n'était pas évidente à première vue.
Avec la permission de Digital Archives Initiative
Le gouvernement de Terre-Neuve n'avait aucune expérience de la gestion d'une force militaire. Il n'avait pas de département militaire et il n'y avait pratiquement aucune force armée dans le dominion. Le dernier soldat britannique avait quitté l'île en 1870 et aucune milice locale n'avait été formée entre-temps. Il y avait une section de la Royal Naval Reserve, mais ce que le dominion avait qui ressemblait le plus à une force terrestre était une poignée de membres de groupes paramilitaires, soit quatre corps de cadets soutenus par l'église, une section de la Legion of Frontiersmen non confessionnelle, ainsi que le St. John's Rifle Club.
Il y avait d'autres obstacles : le gouvernement avait peu de ressources financières et l'appui de l'électorat à l'endroit du premier ministre Edward Morris était instable. En effet, son parti - le People's Party - avait seulement remporté 41 % des voix du vote populaire aux élections de 1913, et le soutien dont il bénéficiait provenait des régions et de groupes non confessionnels. Il était donc nécessaire pour le gouvernement d'obtenir l'appui des deux partis de l'opposition, soit le Parti libéral et le Union Party, et des trois dirigeants religieux (églises anglicane, méthodiste et catholique) pour constituer une force militaire.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (VA-33-71), St. John's (T. -N.-L.).
Néanmoins, Morris appuya l'initiative de Davidson et était confiant que son gouvernement réussirait à recruter 500 hommes. Les Terre-Neuviens - et particulièrement ceux à St. John's et dans les régions avoisinantes - avaient répondu avec enthousiasme à l'appel aux armes de la Grande-Bretagne. Il semblait donc que le recrutement se ferait sans heurt et Morris espérait ainsi améliorer sa popularité parmi les votants en soutenant le régiment.
Au lieu de créer un département militaire, le gouvernement décida d'établir une organisation bénévole impartiale chargée de gérer l'effort de guerre. La Newfoundland Patriotic Association (NPA) fut ainsi créée le 17 août 1914, avec le gouverneur Davidson comme président. La NPA regroupait certaines des personnes les plus influentes du dominion - y compris des politiciens du parti au pouvoir et de l'opposition, des marchands, des représentants de divers groupes paramilitaires, des représentants des principales confessions religieuses, des conseillers municipaux, des médecins, des rédacteurs en chef de journaux, des magistrats et des dirigeants syndicaux.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (VA-33-59), St. John's (T.-N.-L.).
Il était inhabituel d'avoir une organisation bénévole au lieu d'un département militaire qui relève de l'État, mais la NPA était avantageuse sur certains plans. En effet, le gouvernement Morris faisait face à un avenir politique incertain et à une forte opposition du Parti libéral et de l'Union Party. Une association neutre allait pouvoir gérer l'effort de guerre sans vraiment tenir compte des partis politiques, et ainsi unir les gens de différentes affiliations politiques et religieuses.
Morris était satisfait puisque cela signifiait qu'il y aurait moins de débats sur les affaires militaires à la chambre d'Assemblée, et donc moins de risques de susciter la controverse publique. Davidson était également satisfait puisque la NPA lui permettait de jouer un rôle beaucoup plus actif dans la gestion de l'effort de guerre qu'il ne l'aurait été possible autrement. Enfin, la NPA permit d'intervenir rapidement et efficacement à une guerre que presque personne ne croyait durer plus d'un an. L'établissement d'un département gouvernemental aurait nécessité beaucoup plus de temps et de ressources que la NPA qui était dirigée par des bénévoles.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (F-30-26), St. John's (T.-N.-L.)
Certaines personnes s'opposèrent toutefois à la NPA. Son opposant le plus important était le chef du Fishermen's Protective Union et membre de la Chambre d'assemblée, M. William Coaker. M. Coaker croyait que le gouvernement se dégageait de ses responsabilités en ne gérant pas lui-même l'effort de guerre. Il n'était également pas à l'aise avec le fait qu'un groupe de personnes non élues décident de la façon dont étaient dépensées de larges sommes d'argent dans la guerre, et craignait que certains membres de la NPA profitent de leurs pouvoirs pour réaliser des gains personnels.
Néanmoins, la NPA fut responsable de l'effort de guerre pendant près de trois ans. En plus du recrutement, de la formation et de l'équipement des volontaires qui se joignaient au Newfoundland Regiment, la NPA était responsable de nombreuses autres tâches. De fait, elle aidait au recrutement de volontaires pour la Royal Naval Reserve et le Forestry Corps; jouait un rôle dans les pensions des anciens combattants, dans les indemnités d'invalidité et dans le rétablissement civil des soldats de retour de la guerre; elle offrait une aide financière aux personnes à charge des soldats envoyés se battre outre-mer; et elle participait aux collectes de fonds locales et à la production alimentaire. Divers comités de la NPA effectuèrent la plus grande partie du travail, mais les décisions importantes devaient être approuvées durant les assemblées générales de la NPA, et recevoir ensuite l'appui du premier ministre et du chef de l'opposition, J. M. Kent (plus tard William F. Lloyd).
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (NA 11029), St. John's (T.-N.-L.)
À mesure que se prolongeait la guerre, la NPA avait de la difficulté à accomplir ses tâches efficacement. Lorsque les soldats retournèrent au pays en 1916, il devint évident que la pension prévue par la NPA et les scénarios de placement sur le marché du travail étaient inadéquats. Le 21 septembre 1916, le journal The Daily News publia un éditorial dans lequel il demandait au gouvernement de remplacer la NPA :
« Il y a beaucoup de condamnations, et apparemment à juste titre, pour la façon dont sont traités nos soldats et marins blessés et invalides. Ils ont grandement souffert en défendant leur pays. Certains d'entre eux ont perdu des membres, d'autres ont été gravement blessés. Quelques jours après leur retour, ils sont libérés et reçoivent la petite solde qui leur est possiblement due, puis sont entièrement laissés à eux-mêmes, à moins qu'ils ne jugent approprié de s'adresser à la Patriotic Association et de demander de l'aide. Il ne devrait pas en être de la sorte...
Le gouvernement, anxieux et tâchant de garder l'administration de la guerre aussi loin que possible de tout parti pris, aussi petit soit-il, a délégué ses pouvoirs à des personnes qui n'ont aucun lien avec les partis politiques et l'influence de ces derniers. Ces personnes ont fait du bon travail et leur pays leur en est reconnaissant, mais celles-ci ou leurs responsables ont échoué à un moment où l'échec est sérieusement immoral. Laissons maintenant le gouvernement prendre les rênes. » [traduction]
La NPA était également incapable d'enrôler suffisamment de volontaires pour remplacer tous les soldats blessés ou tués outre-mer en 1916 et 1917. Sa stratégie de recrutement accordait peu d'attention aux régions à l'extérieur de St. John's et échoua d'attirer de nombreux volontaires provenant des petits villages côtiers isolés
Avec la permission de la division des archives et collections spéciales (Coll. 190 4.03.007), Bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University, St. John's (T.-N.-L.).
Compte tenu du nombre de victimes de plus en plus important et de l'improbabilité d'une fin imminente de la guerre, le gouvernement reconnut qu'il allait devoir instaurer la conscription et assumer la responsabilité directe de l'effort de guerre. Morris mit sur pied un gouvernement national en juillet 1917, lequel regroupait des représentants du People's Party, du Union Party et du Parti libéral en une seule administration de coalition.
Le gouvernement national forma le ministère de la Milice auquel il confia les diverses tâches de la NPA relativement à l'effort de guerre. Ce nouveau gouvernement adopta également la Loi du service militaire le 23 avril 1918, qui donna effet à la conscription. Toutefois, aucune troupe conscrite n'entra en service actif avant la signature de l'armistice par l'Allemagne, le 11 novembre 1918, où les combats se terminèrent enfin. Une fois la paix restaurée, les politiques partisanes et les tensions s'intensifièrent et le gouvernement national fut dissout par un vote unanime de la Chambre d'assemblée le 20 mai 1919