De toutes les batailles auxquelles le Newfoundland Regiment a pris part durant la Première Guerre mondiale, aucune n'a été aussi dévastatrice ou déterminante que la bataille de la Somme. L'avance tragique du Newfoundland Regiment à Beaumont-Hamel le matin du 1er juillet 1916 est depuis longtemps devenue un symbole durable de sa vaillance et des terribles sacrifices qu'il a consentis en temps de guerre. Les événements de cette journée sont gravés à jamais dans la mémoire culturelle des gens de Terre-Neuve et du Labrador.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (NA 3105), St. John's (T. N. L.).
L'offensive de la Somme tire son origine de plans anglo-français visant à mettre rapidement fin aux conflits. À la fin de l'année 1915, la guerre allait mal pour les Alliés. La campagne de Gallipoli avait été un échec. Le front de l'Est était en déroute et le front de l'Ouest était dans une impasse. L'Allemagne avait envahi la Belgique et le Nord de la France, où son armée était bien cantonnée près de la rivière Somme. Les forces britanniques et françaises avaient désespérément besoin d'une réussite. Les commandants passèrent l'hiver de 1916 à élaborer une offensive majeure pour reprendre le contrôle de la Somme.
Leurs plans furent toutefois contrariés quand l'Allemagne lança une attaque massive contre les forces françaises près de Verdun (une ville dans le nord-est de la France) le 21 février 1916. La bataille dura près de 10 mois et dépouilla de nombreuses troupes françaises qui devaient originalement prendre part à l'offensive de la Somme. Par conséquent, la bataille de la Somme devint un effort largement britannique, afin de faire baisser la tension dans les troupes françaises à Verdun et causer une percée décisive dans les lignes allemandes.
Avec la permission de Imperial War Museums, (© IWM, Q 23760), Londres (Angleterre). http://www.iwm.org.uk/history/the-battle-of-verdun
Le Newfoundland Regiment, qui faisait encore partie de la 88e brigade de la 29e division, reçut le 25 février 1916 une missive l'informant qu'il prendrait part à l'offensive de la Somme. Il quitta l'Égypte le 14 mars 1916 et arriva en France huit jours plus tard. Pendant les trois mois qui suivirent, il se prépara au combat. Les hommes s'entraînèrent rigoureusement, effectuèrent des tours de service sur la ligne de front, creusèrent des tranchées, renforcèrent les défenses et observèrent l'ennemi.
Même si la bataille ne commença pas avant le 1er juillet, les mois qui la précédèrent furent dangereux. Les Allemands bombardaient souvent les tranchées alliées, et les tireurs d'élite posaient une autre menace. Le 24 avril, le Newfoundland Regiment subit cinq pertes lorsque des tirs allemands blessèrent quatre hommes et tuèrent le soldat George Curnew, âgé de 19 ans. Les semaines qui suivirent firent d'autres victimes.
À l'approche de la date de la bataille, les hommes du Newfoundland Regiment manifestaient une certaine crainte. Le Lieutenant Owen Steele nota ce qui suit dans son journal le 20 juin : « Il semble y avoir un étrange sentiment de réflexion sur tout, et nous sommes tous étrangement pensifs concernant la grande poussée (the Great Push) ». [Traduction]
Le 23 juin, le lieutenant nota toutefois dans son journal avoir confiance en la force des Alliés et trouver du réconfort dans le sentiment partagé de détermination et du devoir. « Chacun semble calmement accepter la situation et se préparer silencieusement à l'une des plus grandes attaques que le monde n'a jamais connues, et très possiblement la dernière plus grande bataille à prendre place. Nous espérons seulement que ce combat jouera un rôle prédominant en mettant rapidement fin à la guerre. » [Traduction]
Avec la permission de Archives and Special Collections(coll. 179 1.01), Bibliothèque QEII, Memorial University, St. John's (T.-N.-L).
De nombreux soldats envoyèrent des lettres rassurantes à la maison au cours des jours qui précédèrent la bataille, bien que les lois sur la censure leur interdisaient de dire quoi que ce soit sur les plans des Alliés. « Cette lettre sera très brève, car nous avons du travail par-dessus la tête depuis une quinzaine de jours et ce n'est pas fini. Je ne peux vous en dire plus à ce sujet, mais vous serez sans doute au courant de tout avant que cette lettre ne vous parvienne. », écrivit Steele le 25 juin dans la lettre destinée à ses parents. « J'ai peur que beaucoup de temps ne passe avant que vous receviez une autre lettre de notre part, mais ne vous inquiétez pas, car tout ira bien » [Traduction]
La lettre du soldat Francis Lind au journal Daily News le 29 juin était remplie de bravade rassurante, masquant tout sentiment d'anxiété ou de peur qu'il pouvait ressentir : « Aucun crayon ne peut arriver à décrire ce que nous vivons, comment chacun se tient calmement et fait face à la mort, en faisant des blagues et en riant; tout semble juste faire partie du quotidien. Alors que tu es couvert de boue séchée et collée, tu regardes ton camarade à côté et rigoles de l'état dans lequel il se trouve; puis tu te penches pour observer l'état de tes propres vêtements et c'est l'autre camarade qui rit de toi. Puis il y a la détonation d'un obus qui passe par-dessus vous et vous manque , et vous vous mettez à rire ensemble » (141). [Traduction]
Le 24 juin, les forces alliées bombardèrent les lignes de front allemandes à l'aide de l'artillerie. Le barrage dura une semaine dans le but d'affaiblir les défenses ennemies avant l'attaque au sol du 1er juillet.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (B-2-42), St. John's (T. N. L.)
Le 30 juin à 9 heures, le Newfoundland Regiment quitta Louvencourt et marcha durant trois heures pour se rendre à ses tranchées sur le champ de bataille. « Il est surprenant de les voir tout joyeux et le cœur léger alors qu'il s'agit sans aucun doute du dernier jour pour bon nombre d'entre eux » indiqua Steele dans son journal. « Les différents bataillons défilent en sifflant et en chantant; c'est beau de les voir ainsi. C'est bien sûr la meilleure façon de prendre les choses, et d'espérer que tout ira pour le mieux. » [Traduction]
Le champ de bataille consistait en une bande de terre longue de 34 kilomètres près de la rivière Somme. Les tranchées alliées s'étendaient le long d'un côté, et celles des Allemands de l'autre côté. Entre elles se trouvait la zone neutre nommée no man's land. Les Allemands défendirent une grande partie de leur ligne de front avec beaucoup de résistance. Ils avaient créé un système de tranchées avant à trois niveaux, qui étaient bien enfouies et protégées par de longs fils protecteurs et capables de résister à des bombardements soutenus. Plus loin, à une distance de 2 000 à 5 000 mètres environ, les Allemands avaient construit une deuxième rangée de tranchées et opéraient encore plus loin dans une troisième rangée. Ce réseau de rangées fortement défendues était un obstacle formidable pour n'importe quelle force d'attaque.
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Le Newfoundland Regiment était posté dans des tranchées près du village français Beaumont Hamel, qui se trouvait derrière les lignes allemandes. C'était une position stratégique difficile. Les lignes de front allemandes se trouvaient de 300 à 500 mètres plus loin, en bas d'une pente gazonneuse lourdement gardée par des barrières de fils barbelés. Le 119e régiment de réserve des Allemands, robuste et expérimenté, s'était servi des défenses naturelles d'un profond ravin en forme de Y pour en faire l'une des positions les mieux défendues de toute la ligne de front de la Somme.
Le Newfoundland Regiment (et le reste de la 88e brigade) avait pour mission de prendre contrôle des tranchées allemandes situées près du village de Beaumont-Hamel. Il devait faire partie de la troisième vague d'attaquants à quitter les tranchées des Alliées.
L'offensive commença le matin du 1er juillet 1916 à 6 heures, où les forces alliées, avec le soutien de l'artillerie, se mirent à bombarder les Allemands pendant près d'une heure. À 7 h 20, ils firent exploser plus de 18 000 kilogrammes d'explosifs sous Hawthorn Ridge, lequel était un important bastion des Allemands sur la ligne de front, à environ 700 mètres à l'ouest Beaumont Hamel. L'explosion transforma ce lieu en un cratère géant mesurant 40 mètres de largeur et 18 mètres de profondeur.
Photo prise par Ernest Brooks. Avec la permission de Imperial War Museums (© IWM, Q 754) Londres (Angleterre). http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/205194574
Au cours des semaines précédentes, les commandants alliés s'étaient demandé s'ils devaient déclencher les explosifs quatre heures avant l'attaque au sol, deux minutes avant l'attaque ou au moment même où les soldats quittaient leurs tranchées. Ils se sont entendus sur le compromis de déclencher les explosifs dix minutes avant l'heure zéro, ce qui fut une terrible erreur. En effet, l'explosion alerta les Allemands qu'une attaque au sol était imminente, et le délai de dix minutes leur donna juste assez de temps pour renforcer leurs défenses et préparer leurs mitrailleuses.
Quand la première vague de troupes alliées quitta les tranchées à 7 h 30, elle se retrouva ainsi devant un barrage dévastateur de l'artillerie ennemie et de tirs de mitrailleuses. L'attaque s'avéra beaucoup plus forte que quiconque ne l'avait imaginé. La plupart des hommes furent tués ou blessés dans les minutes qui suivirent. Une deuxième vague de troupes quitta les tranchées peu de temps après et connut le même sort. Le Newfoundland Regiment était toujours dans les tranchées, attendant l'ordre de grimper et de prendre part à la troisième vague d'attaques.
Avec la permission du Imperial War Museums (© IWM, Q 70164) Londres (Angleterre). http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/205019092
Dès 8 heures, il régnait une grande confusion le long des lignes des Alliées. Les deux premières vagues d'attaques se soldèrent par des échecs dévastateurs, mais les commandants britanniques recevaient des rapports contradictoires du champ de bataille. Pour aggraver encore plus les choses, les commandants de division interprétèrent à tort les fusées éclairantes des Allemands comme un signal de succès de la 87e brigade attaquante. À 8 h 45, le Brigadier-général Douglas Edward Cayley ordonna au Newfoundland Regiment d'avancer « aussitôt que possible ».
Les hommes quittèrent leurs tranchées à 9 h 15, après avoir reçu l'ordre de s'emparer des première et deuxième rangées de tranchées ennemies. Mais à mesure qu'ils descendirent la pente exposée en direction de la zone neutre (no man's land), il n'y avait aucun tir ami pour couvrir leur avancée. Des feux croisés allemands attendaient plutôt les colonnes d'hommes qui s'avançaient, tuant ou blessant ainsi la plupart d'entre eux avant même qu'ils n'atteignent la zone.
Le Soldat Anthony Stacey décrivit l'avancée comme suit dans ses mémoires (Memoirs of a Blue Puttee) : « La nuit d'avant, des barbelés avaient été coupés devant notre ligne de front et des ponts étaient étendus le long de la tranchée. C'était un piège mortel pour nos hommes, car les ennemis avaient réglé la visée de leur mitrailleuse là où les barbelés avaient été coupés et il ne leur restait plus qu'à tirer. » (85) [Traduction]
Avec la permission de The Rooms, Division des archives provinciales (NA-2732), St. John's (T. N. L.)
La stratégie des Alliés comportait d'autres lacunes. Les bombardements réalisés durant la semaine qui précéda l'attaque n'avaient pas affaibli les défenses allemandes autant que ne l'auraient souhaité les commandants alliés. Ces bombardements eurent plutôt l'effet inattendu de mettre à niveau la zone neutre, et les hommes qui avançaient n'avaient donc plus de couverture contre le feu ennemi.
Environ à mi-chemin sur la pente, entre les tranchées britanniques et allemandes, se trouvait un pommier qui avait survécu aux bombardements. Aujourd'hui nommé l'« Arbre du danger », ce pommier devint un point de ralliement pour les hommes du Newfoundland Regiment qui avait réussi à atteindre le « no man's land ». Il n'offrait toutefois qu'une modeste couverture, et on pouvait voir la silhouette des hommes qui s'en approchaient, ce qui les rendait des cibles faciles pour les mitrailleurs allemands. De nombreux hommes furent tués près de l'Arbre du danger, y compris le Soldat Francis Lind, 37 ans.
Tiré du livre The Book of Newfoundland, Volume I (St. John's, Terre-Neuve : Newfoundland Book Publishers, ©1937) 411.
Les quelques hommes qui atteignirent les lignes allemandes furent horrifiés de découvrir que le barrage d'artillerie ayant duré toute la semaine qui précéda l'attaque n'avait pas réussi à couper les fils barbelés allemands. Des dirigeants alliés avaient déjà obtenu cette information, grâce à une série de raids effectués par les équipes de reconnaissance les nuits avant l'attaque. Mais les commandants avaient écarté les rapports, convaincus que les équipes de reconnaissance manquaient d'expérience et que le bombardement de l'artillerie était beaucoup plus efficace qu'il ne l'était en réalité. Ainsi, la majorité des soldats qui réussirent à atteindre les tranchées ennemies furent tués, coincés dans les barbelés intacts.
À 9 h 45, le commandant du Newfoundland Regiment, le Lieutenant-colonel Arthur Hadow, signala au quartier général que l'attaque avait échoué. On lui ordonna d'abord de rassembler tous ses hommes non blessés et de reprendre l'offensive, mais un conseil plus sage fut donné et on annula l'ordre.
Durant toute la journée, les survivants tentèrent de parcourir la longue et dangereuse distance pour retourner dans leurs lignes, en esquivant les tireurs d'élite ennemis et les feux de l'artillerie. Le Soldat James McGrath demeura sur le champ de bataille pendant près de 17 heures avant de finalement réussir à se mettre à l'abri.
Avec la permission de The Rooms, division provinciale des archives (NA-6067), St. John's (T. N. L.)
« Les Allemands nous ont véritablement écrasés», relata-t-il plus tard dans le Newfoundland Quarterly. « J'ai pu atteindre leur barbelé, où j'ai reçu un premier tir. Quand j'ai tenté de sauter dans leur tranchée, on m'a atteint à la jambe. Je suis resté étendu 15 heures dans le « no man's land », puis j'ai rampé sur un mille et quart. Ils ont recommencé à me tirer dessus et m'ont atteint à la jambe gauche. Alors, j'ai attendu une heure de plus avant de bouger ne pouvant désormais me servir que de mon bras gauche..... J'approchais de notre propre tranchée quand j'ai reçu un autre tir, cette fois près de la hanche, alors que je rampais. J'ai réussi à atteindre notre propre ligne. J'ai vu qu'elle avait été évacuée, car notre artillerie bombardait lourdement leurs tranchées. Leurs tirs ont repris et j'ai dû rester dans un trou pour autre heure. J'ai été sauvé par le Capitaine Windeler, qui m'a porté sur son dos deux milles jusqu'au poste de secours. Dieu merci, mes blessures sont superficielles et guériront en un rien de temps. » (Better than the Best, 5)
L'attaque se solda par un échec dévastateur. Durant une seule matinée, près de 20 000 soldats britanniques furent tués et 37 000 autres furent blessés. Le Newfoundland Regiment fut presque anéanti. Quand on fit l'appel , seuls 68 hommes répondirent - 324 hommes furent ainsi tués ou portés disparus et présumés morts, et 386 autres furent blessés.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (VA 40-4.7), St. John's (T. N. L).
Les jours suivants firent d'autres victimes. Le Lieutenant Steele, qui avait survécu l'offensive de Beaumont Hamel, fut atteint par un obus allemand le 7 juillet suivant, à l'extérieur des postes régimentaires. Il est décédé le lendemain.
L'offensive de Beaumont Hamel plongea Terre-Neuve et le Labrador dans une période de deuil. Les listes de victimes furent publiées dans les journaux locaux, mais l'information arrivait lentement des lignes de front et était souvent incomplète. De nombreuses familles durent attendre plusieurs semaines de torture à se demander si leurs proches étaient morts ou encore vivants.
Les officiers britanniques envoyèrent des lettres de condoléances aux nombreuses familles qui avaient perdu des fils, des maris, des pères et des frères, et les dirigeants des forces alliées louèrent publiquement le Newfoundland Regiment. Parmi eux se trouvait Sir Douglas Haig, commandant en chef des forces britanniques : « Terre-Neuve peut être fière de ses fils. L'héroïsme et le dévouement au devoir qu'ils ont manifesté le 1er juillet n'ont jamais été surpassés. Veuillez transmettre mes plus sincères condoléances, et celles de toutes nos armées en France, pour la perte de ces braves hommes et officiers qui sont morts au nom de l'Empire, ainsi que notre admiration à l'endroit de leurs actions héroïques. Leurs efforts ont contribué à notre succès, et leur exemple restera à jamais gravé dans nos mémoires. » (Evening Telegram, le 21 juillet 1916)
La première cérémonie du Souvenir (Memorial Day) a eu lieu dans le centre-ville de St. John's l'année qui suivit la bataille. Dans les années 1920, le gouvernement de Terre-Neuve acheta la terre sur laquelle le Newfoundland Regiment livra son combat. Le parc commémoratif qu'il construisit à Beaumont Hamel est devenu un lieu de pèlerinage pour les personnes qui souhaitent rendre hommage au régiment et pleurer sa perte.
Avec la permission de The Rooms, division des archives provinciales (B 1-85), St. John's (T.-N.-L.).
De nos jours, le 1er juillet demeure une journée officielle de commémoration à Terre-Neuve et au Labrador. Chaque année, les gens se rassemblent au Mémorial de guerre national au centre-ville de St. John's et partout ailleurs dans la province pour rendre hommage aux soldats qui ont combattu à Beaumont Hamel, ainsi que les nombreux autres hommes et femmes qui ont servi dans d'autres forces armées et d'autres guerres.
Les citations du Lieutenant Owen Steele ont été transcrites de son journal : collection 179, division des archives et des manuscrits, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University