St. John's, 1815-2010

En 1815, à la fin des guerres napoléoniennes, St. John's compte plus de 10,000 habitants. C'est la capitale économique et administrative de Terre-Neuve, une colonie dont l'économie repose principalement sur la pêche. C'est une ville portuaire dynamique et prospère avec ses marchands et ses entreprises.

St. John's, 1831
St. John's, 1831
À la fin des guerres napoléoniennes, St. John's est une ville importante.

Aquarelle de William H. Eagar, « The Town and Harbour of St. John's. » Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (No acc. 1989-520-6).

La ville connaît un boom de croissance au 19e siècle, conséquence directe d'une hausse de sa population, de l'amélioration de ses infrastructures, notamment les réseaux routiers et d'égouts, de la mise sur pied d'un corps de pompiers et de services de police, et de l'instauration d'une toute première administration municipale dans l'île. Cet élan s'amplifie au cours du 20e siècle, surtout dans sa deuxième moitié. En effet, des bouleversements économiques et politiques provoquent alors une poussée démographique et consolident son influence.

En 1815, St. John's occupe le premier rang parmi les villes d'un certain poids économique et politique dans une colonie britannique centrée sur la pêche mais dépourvue de toute autonomie politique. En 2010, St. John's est la capitale d'une province canadienne, un pôle socio-économique et politique en pleine expansion dans une économie dorénavant axée sur le secteur tertiaire et l'exploitation du pétrole en mer.

1815-1855

Pendant la majeure partie du 19e siècle, St. John's relève de l'administration coloniale. Dans les années 1850, un bon nombre d'autres villes nord-américaines d'importance comparable, par exemple Saint John, Halifax et Charlottetown ont déjà acquis leur autonomie politique. St. John's n'a pas encore de conseil municipal. Les causes de cette singulière situation sont multiples : une économie orientée exclusivement vers la pêche, un grand nombre de propriétaires absentéistes, et un refus d'imposition municipale.

La ville poursuit néanmoins sa croissance démographique et le développement de ses services. Elle réussit à promulguer une réglementation en matière d'incendies dans les années 1830, et après l'incendie de 1846. Toutefois, des différends persistent sur les taxes municipales, la durée des baux et les responsabilités relatives à la construction de nouveaux bâtiments. Le gouvernement colonial fournit à la ville des services policiers assez sommaires. Les premiers agents de police sont embauchés à St. John's en 1812. Ils sont rémunérés à même les revenus tirés des permis de taverne. Leur mandat consiste à effectuer des patrouilles de nuit, à faire respecter l'heure de fermeture des tavernes et à empêcher les habitants de jeter leurs déchets dans la rue. Leur nombre n'évolue pas jusque dans les années 1840. Le gouvernement nécessite toujours l'aide de la garnison et du clergé pour assurer le maintien de la paix publique s'il y a crise.

St. John's, 1844
St. John's, 1844

L'artiste J. W. Watts. Tiré de A History of Newfoundland from the English, de D.W. Prowse, Colonial and Foreign Records, 2e édition, Eyre and Spottiswoode, London, 1896, p. 458.

Les premiers corps de pompiers entrent en service dans les années 1820. Ils sont privés et formés de pompiers volontaires. En 1833, la nouvelle Assemblée législative vote une loi sur les corps de pompiers. Elle subdivise la ville en quatre quartiers et y affecte quatre corps de pompiers. Les entreprises et les propriétaires d'habitation sont tenus de contribuer à leur financement. Pourtant, ces corps de pompiers restent sous-financés et manquent d'effectifs. La garnison demeure indispensable pour maîtriser les incendies.

L'incendie de 1846 démontre clairement l'inefficacité du système. La loi sur les corps de pompiers est abrogée. Les nouveaux corps de pompiers volontaires sont maintenant jumelés à des entreprises particulières ou à des groupes confessionnels, par exemple le corps de pompiers Phoenix (Phoenix Fire Brigade) et celui de la cathédrale (Cathedral Fire Brigade) sont respectivement associés aux églises protestante et catholique, qui les soutiennent. La Société des eaux de St. John's a aussi son propre corps de pompiers. Cette situation donne à ces nouveaux corps de pompiers volontaires du matériel de meilleure qualité pour lutter contre les incendies. Leur présence devient indispensable au départ de la garnison en 1870.

En 1877, les corps de pompiers volontaires sont regroupés dans le corps de pompiers volontaires de St. John's. La Société des eaux et les compagnies d'assurances sont tenues de les financer. Toutefois, le sous-financement reste chronique. Ce corps de pompiers se révèle incapable de maîtriser la propagation de l'incendie de 1892. Cette tragédie convainc le gouvernement de la nécessité de constituer un service d'incendie composé de pompiers rémunérés et à temps plein qui disposeront d'un matériel des plus modernes. D'abord un service de la force constabulaire de Terre-Neuve, dont le gouvernement et le conseil municipal se partagent les coûts, le service des incendies de St. John's devient autonome en 1957.

1855-1888

Preuve de la croissance constante de St. John's et de son rôle d'entrepôt de la colonie, le gouvernement entreprend l'aménagement d'infrastructures dans les années 1850 et 1860. D'importants travaux qui transforment le lac Windsor en réservoir prennent fin en 1863. Le conseil municipal élu et la Société des eaux de St. John's sont à la barre de cet important ouvrage. La même année est adoptée une loi sur l'installation d'égouts et de canalisations. L'enveloppe budgétaire de la colonie dans les années 1860 prévoit la construction de routes, de ponts, d'infrastructures d'approvisionnement en eau et d'un réseau d'égouts pour la ville dont la population atteint 25 000 habitants dans les années 1870. Le service de police, dont le nombre d'agents et les fonctions augmentent sans cesse depuis les années 1840, est restructuré en 1870 lorsque la garnison quitte la colonie. Il devient alors la force constabulaire de Terre-Neuve.

En 1888, le besoin d'autres infrastructures reste grand. C'est alors que le gouvernement colonial constitue le conseil municipal de St. John's. L'objectif consiste à favoriser une meilleure gestion de la dette qui sera contractée et l'imposition fiscale requise. La ville bénéficie enfin d'un organe dûment élu pour s'administrer. Ce conseil municipal n'a pas toute liberté cependant. Il relève encore largement du gouvernement. Son mandat touche seulement à l'approvisionnement en eau, les égouts, l'entretien des rues, la gestion des eaux usées, le service des incendies et les parcs. Le conseil traversera des décennies difficiles.

1888-1934

La limitation des pouvoirs du conseil municipal est flagrante face aux ravages de l'incendie de 1892. C'est en effet l'administration coloniale qui se charge de presque toute la reconstruction de la ville. L'autorité du conseil, voire son existence même, est remise en question en 1898 lorsqu'une commission, nommée par le gouvernement de sir James Winter, la remplace. Cet exercice vise à faciliter l'exécution d'un nouveau contrat sur les opérations ferroviaires conclu avec R. G. Reid. Le conseil est rétabli en 1902. St. John's fait élire son premier maire, même si le conseil municipal reste redevable et subordonné au gouvernement colonial. Sa situation financière prend du mieux, mais pour une deuxième fois, une commission s'y substitue en 1914. Celle-ci a pour mission d'améliorer le fonctionnement de l'appareil municipal et ses finances. Elle doit, de plus, formuler des recommandations sur un futur corps municipal. Des manœuvres politiques et juridiques, que complexifie la Première Guerre mondiale, débouchent en 1921 sur l'adoption d'une loi sur les municipalités. St. John's devient alors officiellement une « ville », sans être toutefois pleinement constituée en personne morale. La loi sur les municipalités de 1921 et les nombreux amendements qui s'y rajoutent lui attribuent ses pouvoirs. St. John's ne jouit pourtant pas de la même autonomie que bien des villes nord-américaines.

La ville continue sur sa lancée. Les services municipaux se multiplient. Le secteur commercial, celui plus précisément associé à la fabrication, au chemin de fer et la cale sèche, se renforce. L'éclairage électrique remplace peu à peu l'éclairage au gaz présent depuis 1854. Le tramway entre en activité en 1900. La Grande Dépression frappe durement St. John's. La ville connaît toujours des difficultés financières et politiques. Pourtant, la migration vers la ville des habitants des villages côtiers en quête de travail ou d'aide lui donne une impulsion démographique. La ville comprend 40 000 personnes en 1935.

1934-1949

De 1934, année de la constitution de la Commission de gouvernement, à la confédération en 1949, le conseil municipal de St. John's est l'unique gouvernement représentatif de Terre-Neuve (la Convention nationale élue en 1946 n'est pas un organisme législatif). La ville fait face à de lourdes difficultés financières et sociales pendant la Grande Dépression, qui sont aggravées par les contrecoups de la Seconde Guerre mondiale.

La guerre amène un nombre considérable de soldats canadiens, américains et même anglais à St. John's, car le port sert de base aux navires qui escortent les convois. Les armées canadienne et américaine construisent d'importantes bases militaires, par exemple les baraquements de la Marine royale canadienne, fort Pepperrell, et le terrain d'aviation de Torbay. La guerre participe au développement de la ville. Cet apport économique lui profite énormément. La migration des habitants des villages côtiers est incessante. Ils cherchent du travail sur les bases. La population de la ville s'élève à près de 45 000 en 1945.

Un problème de logement perdure à St. John's depuis le début des années 1900. Il touche particulièrement les quartiers défavorisés du centre-ville. Vers la fin des années 1940, certaines solutions améliorent quelque peu la situation. La Commission de gouvernement apporte son appui au conseil municipal dans la réalisation d'un projet résidentiel, Churchill Park. C'est la première banlieue verte et un premier succès en matière de construction d'habitations. En soi, Churchill Park n'offre rien aux quartiers défavorisés, mais il est le fer de lance d'améliorations immobilières qui changent profondément les quartiers pauvres. La ville commence ensuite à s'étendre progressivement à l'extérieur du centre-ville.

1949-2010

La confédération apporte son lot de vastes changements. La ville peut enfin faire appel à d'importantes ressources tant au palier provincial que fédéral. Elle peut également offrir des logements subventionnés par le gouvernement et parvient à éliminer les taudis dans les années 1960. La croissance rapide de la population et l'utilisation accrue des voitures et des camions fouettent l'expansion de la ville. Elle s'étale bientôt au-delà de son noyau central et engloutit le territoire avoisinant. Les collectivités voisines suivent ce rythme et se transforment en villes de banlieue. St. John's se hisse au rang de centre de services régional et provincial de grande envergure.

St. John's, vers 1994
St. John's, vers 1994
St. John's est la plus ancienne ville de Terre-Neuve-et-Labrador.

Avec la permission de Ben Hansen ©1994. Tiré de Newfoundland and Labrador, Ben Hansen, St. John's, 1994, p. 65.

Vers la fin du 20e siècle, les problèmes liés à la pêche à la morue nuisent considérablement à l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador et de St. John's. Mais, malgré le moratoire sur la pêche à la morue de 1992, la ville occupe déjà une place prépondérante dans le secteur des services et de l'approvisionnement consacrés à l'industrie pétrolière extracôtière émergente. Terre-Neuve-et-Labrador tire de généreux profits du boom pétrolier, mais c'est principalement St. John's et ses environs qui en sortent grands gagnants. En 2011, le taux de chômage est faible et la valeur foncière est en hausse constante, comme d'ailleurs les loyers.

Même si ses fonctions administratives et gouvernementales ont depuis longtemps éclipsé son rôle administratif et tertiaire axé sur l'industrie de la pêche, St. John's demeure un centre de services maritimes essentiel. C'est la capitale de Terre-Neuve-et-Labrador, le siège des principaux services de santé, des grandes sociétés (surtout pétrolières) et des services gouvernementaux. En deux siècles, sa population est passée de 10 000 personnes groupées autour du port à plus de 200 000 personnes réparties sur 400km2, selon un recensement de la région métropolitaine de St. John's. Nul doute qu'elle poursuivra sa belle poussée de croissance dans l'avenir, éperonnée par l'industrie pétrolière (du moins à court terme), et une urbanisation ininterrompue.

Pour des analyses détaillées des politiques municipales de St. John's aux 19e et 20e siècles, consultez la page d'accueil du Dr. Melvin Baker.

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