Religion et politique, 1829-1850

Dans son ensemble, le clergé catholique de l'île de Terre-Neuve se montre plutôt passif avant la venue de Michael Anthony Fleming. Pourtant, dans les années 1820, la vie politique intéresse un nombre toujours plus grand d'Irlandais. Ils sont en effet conscients qu'en l'absence d'un gouvernement représentatif, les marchands s'arrogent le droit de prendre des décisions au nom de la colonie, qu'un nombre important de leurs concitoyens ne jouit d'aucune liberté religieuse et que le gouvernement britannique ne traite pas équitablement l'île de Terre-Neuve. Des membres bien en vue de la Benevolent Irish Society (BIS), notamment Patrick Morris, Patrick Doyle et Laurence O'Brien, participent au mouvement de réforme du gouvernement local. Ce mouvement s'amorce à St. John's et fait de nombreux adeptes dans la péninsule d'Avalon. L'adoption de la Judicature Act (La Loi sur l'organisation judiciaire) en 1824 motive les artisans de la réforme. En effet, cette loi abolit les tribunaux maritimes de succession qui se substituaient aux tribunaux civils. La probable nomination d'un gouverneur et d'un conseil civils permanents, capables de gérer les situations locales, amplifie le mouvement réformiste.

Patrick Morris (1789-1849), s. d.
Patrick Morris (1789-1849), s. d.
Patrick Morris était un membre important de la Benevolent Irish Society (BIS) et s'est engagé dans le mouvement prônant une réforme du gouvernement local.
Artiste inconnu. Tiré de Centenary volume, Benevolent Irish Society of St. John's, NL, 1806-1906, Benevolent Irish Society, Guy & Co., Cork, Ireland, 1906, p. 54.

Thomas Scallan et Michael Anthony Fleming

Dans les années 1820, une partie du clergé catholique de Terre-Neuve ne s'incline pas devant l'autorité britannique comme le fait Thomas Scallan. C'est qu'ils sont au courant des remous sociaux qui traversent leur pays d'origine et y sont favorables. Né en Irlande, le prêtre franciscain Michael Anthony Fleming (1792-1850), un partisan de la réforme, va chercher des appuis au mouvement d'émancipation catholique dirigé par Daniel O'Connell parmi l'assemblée des fidèles irlandais de St. John's. Ce mouvement cherche à obtenir la reconnaissance pleine et entière de droits civils pour les catholiques et l'abrogation des mesures discriminatoires. Michael Anthony Fleming, beaucoup moins laxiste que son supérieur Thomas Scallan, croit que l'Église catholique terre-neuvienne ne doit pas faire preuve de servilité envers les Britanniques, ni se soumettre à leur influence, et encore moins laisser entre les mains de conseils fiduciaires laïques la gestion des biens de l'Église. Selon lui, cette dernière doit se rapprocher de l'ultramontanisme (au-delà des Alpes), un mouvement intellectuel et idéologique qui se tourne vers l'Église de Rome comme principal guide spirituel et juridictionnel.

Thomas Scallan est frappé par la maladie et décède au mois de mai 1829. Michael Anthony Fleming lui succède comme vicaire apostolique. Il dirige l'Église catholique de Terre-Neuve jusqu'à sa mort en 1850. Au cours de ces 20 années, il met en œuvre des réformes radicales qui la métamorphosent. Il la transforme en institution puissante et disciplinée, et pousse les immigrants irlandais à se considérer d'abord comme des citoyens de Terre-Neuve. Il démantèle la clique de fiduciaires laïques qui régit les activités du comité de la chapelle et de l'établissement d'enseignement de la Benevolent Irish Society (BIS), l'Orphan Asylum. Écoles, couvents, chapelles et cimetières se multiplient. Il encourage la venue d'ordres religieux irlandais, les invitant à enseigner. Michael Anthony Fleming consacre une bonne partie de sa carrière à l'édification de la plus importante cathédrale irlandaise à l'extérieur de l'Irlande à cette époque. Ses réalisations lui valent l'admiration de toute la population et lui assurent le soutien d'une nouvelle génération d'adhérents à la réforme politique. Il occupe l'avant-plan de la scène politique à Terre-Neuve.

Les réformateurs et Michael Anthony Fleming ne manquent pas d'ennemis, que ce soit la presse locale, le gouvernement ou le British Colonial Office. L'hostilité du parti conservateur de l'île, du conseil législatif et de marchands rallie aussi un groupe de catholiques se sentant marginalisés et d'expatriés du comté de Wexford, dont certains faisaient partie des comités de la chapelle et de l'Orphan Asylum

Le parlement indiscipliné, 1832
Le parlement indiscipliné, 1832
La Chambre d'assemblée de Terre-Neuve à l'image de chiens turbulents.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Enquête de la commission parlementaire

La situation politique de l'île de Terre-Neuve atteint un point de rupture en 1840 lorsque Londres est informée qu'une élection complémentaire dans la baie de la Conception est entachée de violence. La Grande-Bretagne décide de mettre sur pied une commission parlementaire qui aura pour mandat d'examiner la conjoncture politique de l'île et de formuler des recommandations. En 1843, à la fin de l'enquête, la Chambre d'assemblée et le conseil législatif ne font dorénavant plus qu'un. Londres exerce aussi d'énormes pressions sur le Vatican pour qu'il intervienne auprès de Michael Anthony Fleming. En novembre 1840, le pape Grégoire XVI lui donne l'ordre d'expulser le prêtre Edward Troy de Terre-Neuve. Il est plutôt expédié à l'île Merasheen dans la baie Placentia. Le pape convoque alors Michael Anthony Fleming à Rome pour qu'il lui explique sa décision. Malgré l'envoi de lettres justificatives, il prétend néanmoins n'avoir jamais reçu une sommation de se rendre à Rome et évite ainsi un déplacement. Pour sa part, le Vatican n'insiste pas. Par la suite, il se cantonne à la construction de la cathédrale, une entreprise qui l'accapare totalement jusqu'à sa mort en juillet 1850.

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