La presqu'île de Port-au-Port

Une très grande partie des habitants francophones de la côte ouest de la province de Terre-Neuve-et-Labrador descendent des Acadiens de l'île du Cap-Breton venus s'installer dans cette région à partir de la fin du 18e siècle (Gerald Thomas, 1983, p. 11). Ces ancêtres acadiens s'établissent alors dans la baie Saint-Georges, Stephenville et ses environs et la vallée Codroy. L'agriculture est leur principal moyen de subsistance économique, et très secondairement la pêche. Pendant longtemps, ils parviennent à conserver leur langue et leurs coutumes intactes en raison de leur situation relativement isolée et de leur unité familiale..

Cap Saint-Georges, s.d.
Cap Saint-Georges, s.d.
CLa collectivité de Cap Saint-Georges, dans la baie Saint-Georges, est située à la pointe ouest de la presqu'île de Port-au-Port.

Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Ne pas oublier que, tout au long du 19e siècle et jusqu'en 1904, la France maintient des droits de pêche sur la côte française de l'île de Terre-Neuve. Des pêcheurs français, désertant leur bateau, élisent domicile dans la presqu'île de Port-au-Port. Ils sont surtout originaires de la Bretagne, mais aussi de la Normandie, de la Saintonge et de Saint-Pierre. Ils s'implantent à la limite occidentale de la presqu'île. C'est la deuxième vague de peuplement francophone (Gerald Thomas, 1977, p. 7). Ils fondent les collectivités de L'Anse-à-Canards, Maisons-d'Hiver, La Grand'Terre et Cap Saint-Georges (Black Duck Brook, Winterhouse, Mainland, Cape St. George).

Le marin Guillaume Robin, natif de La Roche-Derrien en Bretagne, est celui qui jette les fondements de Cap Saint-Georges en 1837. Le dernier marin à s'y enraciner est Yves Lemoine en 1895 (Pierre Biays, p. 15). Contrairement aux Acadiens établis plus à l'est, ces Français vivent principalement de la pêche. L'agriculture ne représente pour eux qu'un complément.

L'assimilation

Outre la langue, l'autre point d'intersection entre ces deux groupes francophones est le mariage. Les pêcheurs français s'unissent souvent à des Acadiennes. La population francophone poursuit son essor malgré une scolarisation et des services religieux en anglais, lorsqu'ils sont offerts.

Désireuses d'assurer un meilleur avenir à leurs enfants, quelques familles francophones renoncent à leurs coutumes et à leur langue. Le clergé incite d'autres familles à s'assimiler. C'est ce qui explique que sur la côte ouest les patronymes Young, White et Bennett côtoient fréquemment ceux des Lejeune, Leblanc et Benoit. Si les patronymes ne sont pas anglicisés, ils sont prononcés et épelés à l'anglaise, par exemple O'Quinn pour Aucoin (Gerald Thomas, 1982, p. 25), Lainey pour Lainé et Barter pour Bortheyre (Gerald Thomas, 1986, p. 25, 27).

L'installation d'une base aérienne américaine à Stephenville en 1941 constitue l'un des plus puissants facteurs d'anglicisation de cette population. Elle draine de nombreux Terre-Neuviens anglophones dans la région. S'ils veulent un revenu sûr, les francophones de la région n'ont d'autre choix que de parler anglais.

L'avènement de la télévision dans les années 1960, de langue anglaise seulement évidemment, participe aussi à l'assimilation des francophones. C'est la première fois que l'anglais s'infiltre dans les foyers où seul le français prédominait auparavant. Les conséquences sont lourdes. De nos jours, peu de gens d'ascendance francophone de la région de la baie Saint-Georges – Stephenville peuvent encore s'exprimer en français. Par contre, les collectivités situées dans la zone occidentale de la presqu'île de Port-au-Port ont survécu en partie à cette assimilation massive principalement en raison de leur isolement.

Logo de l'Association régionale de la côte Ouest (ARCO)
Logo de l'Association régionale de la côte Ouest (ARCO)
L'ARCO est une association francophone de la côte ouest de Terre-Neuve-et-Labrador.

Avec la permission de l'Association régionale de la côte Ouest (ARCO).

Le dépérissement du français se poursuit avec le déclin des stocks de poisson. De nombreux francophones doivent alors migrer vers des agglomérations plus importantes. Malgré cette situation difficile, la culture et le patrimoine français connaissent un regain d'énergie dans les années 1960. La mise en vigueur de politiques fédérales de protection des minorités linguistiques encourage la formation du premier organisme francophone de la province. De fait, l'organisme Les Terre-Neuviens Français naît à Cap Saint-Georges en 1971. D'autres sont mis sur pied peu après : L'Héritage de l'île Rouge à La Grand'Terre (Mainland) et Chez les Français de l'Anse-à-Canards (Black Duck Brook).

La promotion de la culture française

À notre époque, la télévision et la radio diffusent une programmation en langue française aux francophones de la presqu'île de Port-au-Port. Les élèves sont scolarisés en français à l'École Notre-Dame-du-Cap à Cap Saint-Georges et au Centre scolaire et communautaire Sainte-Anne à La Grand'Terre (Mainland). Les festivals Une Longue Veillée et Une Journée dans l'Passé, parmi d'autres, célèbrent le patrimoine français de la presqu'île. Ils accueillent des musiciens et des artistes d'autres régions de la francophonie.

Des francophones de la presqu'île peuvent maintenant apprendre à lire et à écrire en français par l'entremise de cours d'alphabétisation. Ce service entend contrebalancer les effets de l'assimilation et favoriser la croissance de la communauté francophone. Le Gaboteur, le seul journal francophone de la province, est publié depuis 1984. Par ailleurs, les élèves des régions de St. John's et du Labrador peuvent désormais fréquenter des établissements scolaires francophones. Depuis 1997, les francophones de la province ont droit à leur propre conseil scolaire.

La culture et la langue françaises sur la côte ouest de Terre-Neuve-et-Labrador ont vaincu de nombreux obstacles depuis les années 1960. C'est effectivement à cette époque qu'un professeur au Département des langues modernes de la Memorial University déclarait, après avoir observé de près les collectivités francophones de la presqu'île de Port-au-Port, que pratiquement rien ne subsistait de la culture française et que les effets de l'assimilation étaient irréversibles (John T. Stoker, p. 358).

Malgré les mesures prises pour sauvegarder le patrimoine et la langue française qui sont uniques à la province, la lutte à l'assimilation exige toutefois des efforts constants de la part des francophones de la presqu'île de Port-au-Port.

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