La présence irlandaise à Terre-Neuve

La migration d'Irlandais à Terre-Neuve et le commerce du ravitaillement qui y est rattaché sont les deux plus anciens et solides traits d'union entre l'Irlande et le Canada. Vers 1675, des bateaux en provenance des ports du sud-ouest de l'Angleterre font escale dans les ports de la côte méridionale irlandaise pour y embarquer des denrées et des travailleurs affectés à la pêche transatlantique.

D'une présence saisonnière à permanente

Ces migrations sont saisonnières et de courte durée. La plupart des travailleurs irlandais sont de jeunes hommes engagés par des marchands anglais et des colons-propriétaires (habitants pêcheurs). Leur contrat dure un été ou deux, parfois plus, puis ils reviennent au pays. Leur nombre est substantiel. Dans les années 1770 et 1780, il culmine à 5000 hommes et plus de 100 navires en partance de ports d'Irlande vers les lieux de pêche. À l'exception de l'immigration des Irlandais de l'Ulster vers l'Amérique, c'est le flux migratoire irlandais le plus imposant au 18e siècle.

Ravitaillement vers Terre-Neuve, 1698
Ravitaillement vers Terre-Neuve, 1698
Vers la fin du 17e siècle, des bateaux en provenance des ports du sud-ouest de l'Angleterre font escale dans les ports de la côte méridionale irlandaise pour y embarquer des denrées et des travailleurs affectés à la pêche transatlantique.

Carte dessinée par Tina Riche d'après des renseignements fournis par John Mannion (doctorat). © 2001 site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador.

Dès le début, un petit groupe de jeunes Irlandaises font partie de ces déplacements. En général, elles s'établissent pour de bon et épousent des travailleurs irlandais qui y hivernent. De passagers et saisonniers, ces peuplements deviennent permanents et favorisent l'enracinement de familles irlandaises à Terre-Neuve. L'affaissement de la pêche migratoire à la morue après 1790 amplifie cette tendance. Entre 1800 et 1835, le nombre d'Irlandais, et surtout d'Irlandaises, augmente. La croissance démographique qui en découle participe à la transformation socio-culturelle de Terre-Neuve.

En 1836, le gouvernement en place à St. John's demande la tenue d'un recensement extrêmement détaillé, plus qu'aucun autre à cette époque. Il dénombre plus de 400 collectivités. Les familles irlandaises forment la moitié de la population. Près des trois quarts vivent à St. John's et ses environs, entre Renews et Carbonear. Plus que partout ailleurs au Canada, cette étroite bande de territoire côtier compte le plus grand nombre de catholiques irlandais, le résultat d'une longue et complexe histoire.

La ferme irlandaise Cramps, chemin Freshwater, St. John's, s.d.
La ferme irlandaise Cramps, chemin Freshwater, St. John's, s.d.
De nombreux immigrants irlandais se sont établis à St. John's et dans les environs.
Avec la permission de John Mannion (doctorat), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photographie ©2001.

L'immigration irlandaise

Waterford et sa région avoisinante (jusqu'à 48 kilomètres du port) constituent le plus gros bassin de migrants irlandais. Ceux-ci proviennent du sud-ouest de Wexford, du sud de Carlow et de Kilkenny, du sud-est de Tipperary et de Cork, et de tout le comté Waterford. La zone géographique ceinturant Dingle dans le comté Kerry est la seule à l'extérieur de la région du sud-est à fournir également des travailleurs. Ni province canadienne ni État américain n'attirent autant de natifs d'une seule région irlandaise pendant si longtemps.

Waterford est le principal port d'embarquement. La plupart des travailleurs habitent à moins d'une journée de distance de la ville ou de son avant-port situé à 10 kilomètres en aval à Passage. Ils arrivent des paroisses et des villes bordant les grandes voies de transport et de communication terrestres ou navigables qui aboutissent à Waterford et Passage. L'ancienne cité portuaire scandinave représente l'épicentre d'un impressionnant réseau de routes commerciales qui facilite le regroupement des produits issus des fertiles fermes de l'intérieur servant à l'approvisionnement des bateaux de cette pêche lointaine. C'est là aussi que se réunissent leurs passagers chaque printemps. Les ports de New Ross et Youghal sont des ports secondaires d'embarquement. Les grands centres de recrutement de travailleurs se concentrent aux ports de Carrick et de Clonmel sur la rivière Suir, d'Inistioge et de Thomastown sur la rivière Nore, et de Graiguenamanagh sur la rivière Barrow. Les paroisses rurales longeant ces voies de navigation jouent le même rôle.

De graves problèmes économiques favorisent les départs. À la grande époque de l'émigration, le nombre d'habitants irlandais double presque entre 1785 et 1835. Les jeunes Irlandais, âgés de 18 à 25 ans, se tournent vers la pêche en raison d'une pénurie de terres, du chômage et du sous-emploi, et séduits par la promesse de meilleurs salaires. Certains sont les fils de petits fermiers peu disposés à la subdivision de leur petite mais viable exploitation agricole. D'autres encore sont de simples ouvriers agricoles sur des fermes de plus ou moins grande taille. Des artisans ou des apprentis, surtout originaires des villages et des ports, forment aussi une forte grappe de travailleurs. Peu importe leur condition économique ou sociale, la majorité des jeunes Irlandais cherchent avant tout à améliorer leur situation financière.

Potager de pommes de terre, prêt à être ensemencé, s.d.
Potager de pommes de terre, prêt à être ensemencé, s.d.
Jusqu'à tout récemment, on voyait souvent des potagers de pommes de terre dans les collectivités terre-neuviennes d'origine irlandaise.
Avec la permission de John Mannion (doctorat), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Photographie © 2001.

La transformation de Terre-Neuve

Au cours du 18e siècle, les Irlandais développent à Terre-Neuve une sous-culture typique encore présente aujourd'hui. Pratiquement tous catholiques, une bonne partie d'entre eux parlent le gaélique à leur arrivée ou divers dialectes anglais. Ils ont laissé des vestiges tels des modes agricoles et des éléments d'architecture vernaculaire et religieuse. Toutefois, leur vie se métamorphose, façonnée par la pêche à la morue, la rigueur des hivers et les nombreux immigrants anglais qui les entourent. Leurs descendants sont devenus de véritables Terre-Neuviens, des représentants d'une culture incomparable en Amérique du Nord.

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