La participation des Irlandais dans l'industrie de la pêche

La participation des Irlandais dans l'industrie de la pêche migratoire et de résidents à Terre-Neuve et au Labrador a été marquante. Vers la fin du 17e siècle, les marchands du sud-est de l'Irlande approvisionnent déjà d'une manière régulière les travailleurs anglais embauchés pour la pêche transatlantique en exportant du porc, du bœuf, du beurre et autre ravitaillement. Des travailleurs irlandais finissent eux aussi par traverser l'Atlantique chaque printemps et tirer parti des emplois offerts. La plupart travaillent pour des colons propriétaires (habitants-pêcheurs) ou des marchands et restent un ou deux étés avant de retourner dans leur foyer à l'automne. Même si l'industrie de la pêche migratoire (saisonnière) est surtout anglaise au 18e siècle, elle compte de plus en plus sur la main-d'œuvre irlandaise pour les activités de pêche et de préparation du poisson.

Carte de l'Irlande, 1940
Carte de l'Irlande, 1940
La participation des Irlandais dans l'industrie de la pêche migratoire et de résidents à Terre-Neuve et au Labrador a été marquante.

Tiré de An Irish Journey, Sean O'Faolain, Longmans, Green and Co., London, 1940, p. vi.

L'industrie de la pêche de résidents s'appuie tout autant sur le travail des Irlandais lorsqu'elle supplante la pêche migratoire dans les premières années du 19e siècle. Vers le milieu du 17e siècle, environ la moitié des habitants de l'île sont des natifs de l'Irlande. La pêche à la morue et sa transformation pour les marchés étrangers accaparent la majorité d'entre eux au moins une partie de l'année. À mesure que s'impose la pêche de résidents, les marchands irlandais ouvrent des établissements de commerce à St. John's, à Placentia, et dans d'autres collectivités de l'île. Ces établissements traitent avec des centaines de travailleurs de l'industrie, en grande partie des Irlandais.

Les Irlandais et la pêche migratoire

La pêche migratoire s'amorce au début du 16e siècle et se prolonge pendant plus de 300 ans, détrônée ensuite au début du 19e siècle par la pêche de résidents. La pêche migratoire est saisonnière. Elle exige de ses travailleurs qu'ils habitent sur l'île le printemps et l'été, les périodes où la morue abonde dans les zones côtières et au large. Initialement, la France, l'Espagne et le Portugal s'adonnent aussi à la pêche migratoire, mais l'Angleterre finit par prédominer. Elle expédie chaque année des bateaux remplis de travailleurs de la pêche à partir des ports du sud-ouest du pays.

Au début, l'Irlande se préoccupe peu de la pêche migratoire mais vers la fin du 17e siècle le pays commence à approvisionner les travailleurs anglais à Terre-Neuve et au Labrador. Après 1675, les bateaux anglais s'arrêtent dans les ports irlandais chaque printemps pour se ravitailler en bœuf et porc salés, fromage, beurre et autres denrées avant la traversée. Ils font escale dans les ports du sud-est de l'Irlande, dont celui de Waterford, près des routes maritimes transatlantiques.

Dès le début du 18e siècle, les capitaines et les armateurs anglais cherchent déjà à recruter des travailleurs irlandais pour la pêche outremer. Ces derniers sont, pour la plupart, célibataires, pauvres et résolus à rester au moins une saison de pêche sur l'île. Ils y travailleront pour des colons propriétaires (habitants-pêcheurs), des gardiens de bye-boats (petits bateaux ouverts) ou des marchands. Venus d'un milieu rural, ils ne connaissent rien à la pêche mais, pour les colons propriétaires et les marchands anglais, ils représentent une main-d'œuvre à bon marché immédiatement à disposition.

Au début du 18e siècle, les travailleurs anglais du secteur de la pêche se font rares, ce qui favorise l'embauche de travailleurs irlandais. C'est que la Grande-Bretagne et la France s'affrontent entre 1702 et 1713, et de nombreux pêcheurs s'enrôlent dans la marine et d'autres forcées armées. Les marchands et les colons propriétaires réclament des travailleurs. Les capitaines de bateaux ont donc pour mission de faire du recrutement pendant le chargement du ravitaillement dans les ports du sud-est de l'Irlande. Le conflit prend fin en 1728. La pêche migratoire est en déclin et peu de travailleurs anglais veulent se rendre à Terre-Neuve. En Irlande, la population n'étant pas vraiment au courant de cette situation économique, les capitaines peuvent donc engager sans difficulté des travailleurs.

Les bateaux quittent habituellement la région du sud-est au début d'avril et arrivent à Terre-Neuve en mai. Les travailleurs irlandais se répartissent ensuite le long de la côte anglaise entre Bonavista et Trepassey. Les pêcheurs français occupent les côtes septentrionale et méridionale. Le traité d'Utrecht de 1713 bouleverse cette situation. En effet, il accorde à l'Angleterre l'entière souveraineté de l'île, mais permet à la France de conserver ses droits de pêche sur la rive nord entre Pointe Riche et le cap de Bonavista.

La côte anglaise jusqu'en 1713
La côte anglaise jusqu'en 1713
Les travailleurs irlandais se dispersent le long de la côte anglaise entre Bonavista et Trepassey.
Illustration de Duleepa Wijayawardhana. © 1999, site Web du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador.

L'industrie de la pêche anglaise rayonne sur tout le sud de la péninsule d'Avalon après 1713. Elle repose en grande partie sur les travailleurs irlandais responsables des activités de pêche et de transformation du poisson. Au cours des années suivantes, les Irlandais travaillent majoritairement dans la région sud-est de la péninsule d'Avalon, à Placentia, à St. John's et dans les collectivités échelonnées entre ces deux localités. Certains se retrouvent également à la baie de la Conception et le long de la côte nord-est de Terre-Neuve. Pour leur part, les pêcheurs anglais habitent surtout St. John's et les zones côtières vers le nord.

La plupart des travailleurs irlandais restent pendant une ou deux saisons de pêche, puis retournent au pays à l'automne. Ceux qui passent deux saisons sur l'île demeurent en poste l'hiver. Ils s'emploient à couper du bois et à assurer la sécurité du matériel de pêche lorsque les autres travailleurs repartent vers l'Europe en octobre. Le nombre de travailleurs irlandais s'installant dans la colonie ne cesse d'augmenter pendant le18e siècle. Plusieurs unissent leur destinée à des immigrantes irlandaises occupant des emplois de domestique chez des colons propriétaires et des marchands.

Durant la saison de la pêche, de juin à août, les journées sont longues pour les travailleurs qui pêchent et préparent la morue. Tôt chaque matin, l'équipage d'un bateau part à la pêche à l'aide de lignes à main et d'hameçons munis d'appâts. Le bateau revient lourd de prises. L'équipe sur le rivage s'affaire ensuite à nettoyer, trancher et saler le poisson, puis à le faire sécher. La pêche et la transformation sont les deux occupations de la plupart des travailleurs irlandais. Les plus jeunes ou les moins qualifiés sont affectés à des tâches de nature générale.

Vers la fin du 18e siècle, des marchands et des colons propriétaires irlandais s'implantent aussi sur l'île. Ainsi, dans les années 1750, Richard Welsh ouvre un établissement de commerce à Placentia, qui demeure en activité pendant plus de cent ans. Il fait venir des travailleurs de la région du sud-est suivant l'exemple d'autres marchands et colons propriétaires irlandais. Un bon nombre d'entre eux s'installe dans le sud-est de la péninsule d'Avalon lorsque la pêche de résidents supplante la pêche migratoire au 19e siècle.

Les Irlandais et la pêche de résidents

L'industrie de la pêche à Terre-Neuve et au Labrador jouit d'une prospérité soudaine au début du 19e siècle. Celle-ci participe à la mutation de la pêche migratoire en pêche de résidents. Les guerres napoléoniennes (1803-1815) offrent pratiquement à la colonie le monopole total du commerce international du poisson. Ce conflit stimule aussi un flot migratoire grandissant en provenance des îles britanniques. De fait, entre 30 000 et 35 000 Irlandais débarquent sur l'île au cours des 30 premières années du 19e siècle. La plupart s'établissent sur les côtes orientale et méridionale de la péninsule d'Avalon.

Les travailleurs irlandais représentent un chaînon vital de la pêche de résidents. De nombreux colons vivent de la pêche et de la transformation du poisson destiné aux marchés étrangers. La pêche migratoire avec ses grands bateaux et ses larges équipes de travailleurs sur le rivage fait place à la pêche de résidents à plus petite échelle, celle des familles. Les femmes et les enfants y jouent un rôle considérable, car ils accomplissent la plupart des tâches autrefois exécutées par les équipes de rivage. Les pères, les oncles et les fils aînés vont à la pêche à la morue dans de petits bateaux ouverts et prennent part aux activités de préparation du poisson. Chez les marchands, les pêcheurs échangent, comme leurs prédécesseurs, leurs prises contre des denrées et du ravitaillement ou du crédit.

Contrairement aux décennies précédentes, la majorité des marchands dans l'industrie du poisson sont maintenant enracinés à Terre-Neuve et au Labrador. Plusieurs d'entre eux sont de souche irlandaise, par exemple John Rorke à Carbonear, Michael Tobin à St. Mary's et Patrick Morris, Robert Kent, James MacBraire, Lawrence O'Brien à St. John's. Les marchands irlandais recrutent couramment des travailleurs de leur pays d'origine. Ce choix participe à la hausse du nombre d'Irlandais dans l'industrie de la pêche et au peuplement de la colonie. Au 19e siècle, la pêche sur les bancs et au Labrador ainsi que la chasse au phoque attirent de nombreux immigrants irlandais.

Les pêcheurs, travailleurs et marchands irlandais ont, tout comme les Anglais, largement contribué au développement et au déroulement des activités de la pêche du 18e siècle au 19e siècle. De nos jours, bien des pêcheurs peuvent remonter la lignée de leurs ancêtres à la migration irlandaise des années 1780 à 1840.

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