Organismes de soins de santé

Pendant les années qui ont précédé la Commission de gouvernement, ce sont surtout les organismes de charité, les églises et les groupes non gouvernementaux qui faisaient la promotion de la santé publique et du bien-être à Terre-Neuve et au Labrador. Ils étaient à la tête des hôpitaux, ouvraient des écoles, établissaient des postes de soins infirmiers et ils distribuaient de la nourriture et des vêtements aux pauvres. Certains groupes, par exemple l'International Grenfell Association et la Newfoundland Outport Nursing and Industrial Association (NONIA) apportaient des améliorations significatives aux conditions de vie dans les régions rurales du pays, alors que la Child Welfare Association concentrait ses énergies à aider la jeunesse.

Hôpital à Battle Harbour, vers 1920
Hôpital à Battle Harbour, vers 1920
La Grenfell Mission a établi son premier hôpital au Labrador à Battle Harbour en 1893.
Photographe inconnu. Reproduit avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-323.009), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Même si la Commission faisait augmenter dramatiquement la participation de l'état dans les soins de santé après 1934, il n'en reste pas moins qu'il bénéficiait grandement de l'existence des organismes non gouvernementaux de la santé. Par exemple, NONIA fournissait à l'état les services de huit infirmières expérimentées et qui étaient déjà habituées à la vie dans les villages côtiers. De plus, l'hôpital St. Clare's Mercy, sous la juridiction de l'église catholique et la maternité Salvation Army Grace continuaient à offrir des services hospitaliers dont on avait grand besoin dans la capitale.

La mission Grenfell

La mission Grenfell (qui est devenue plus tard l'International Grenfell Association) avait pour objectif d'offrir des soins de santé de qualité aux résidents du Labrador et dans le nord de Terre-Neuve, là où il y avait peu ou pas de services médicaux ou sociaux. Lorsque le fondateur de la mission, Sir Wilfred Grenfell, a visité pour la première fois le Labrador pendant l'été de 1892, il a été secoué d'observer dans la population la pauvreté endémique, la malnutrition et la maladie. Plus tard cette année-là, à son retour en Angleterre, il a lancé une campagne de levée de fonds pour construire un hôpital à Battle Harbour en 1893. D'autres ont suivi rapidement, à Indian Harbour (1894), St. Anthony (1901), North West River (1915) et ailleurs.

Chaque hôpital de la mission employait au moins un docteur et quelques infirmières. La mission possédait aussi une série de navires-hôpitaux qui visitaient les villages côtiers pour traiter les malades et les blessés, et pour distribuer du matériel médical ou autre. En 1899, la mission a pris possession du navire-hôpital Strathcona, un des premiers navires du monde dans lequel il y avait de l'équipement de radiographie. À l'intérieur du navire, on trouvait aussi un dispensaire, des lits portatifs en cas d'urgence et un espace de rencontre. Avec les hôpitaux de la mission à Battle Harbour, Indian Harbour, et St. Anthony, le Strathcona traitait environ 3 000 personnes par an.

Équipage du Strathcona, juillet 1921
Équipage du Strathcona, juillet 1921
En 1899, la mission Grenfell a pris possession du navire-hôpital Strathcona pour traiter les patients le long des côtes du Labrador et du nord de l'île de Terre-Neuve.
Photographe inconnu. Reproduit avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-323.001), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

En plus d'offrir des services médicaux, la mission Grenfell encourageait l'agriculture, l'éducation et le développement industriel. Elle a construit des écoles dans le sud-est du Labrador, a aidé à envoyer les élèves ayant un fort potentiel dans de bons collèges aux États-Unis et elle a dirigé un orphelinat et un pensionnat après l'épidémie de grippe de 1918 qui a laissé de nombreux enfants orphelins.

La mission faisait aussi la promotion du développement agricole au Labrador. On espérait que si les résidents faisaient pousser leurs propres légumes, ils deviendraient plus autonomes et dépendraient moins des marchands pour l'alimentation et autres produits. On espérait aussi qu'en ayant accès à des légumes à haute valeur nutritive, on ferait diminuer les cas de maladies telles que le béribéri et le rachitisme dont souffrait la population locale. Cependant, la mauvaise qualité du sol et les conditions climatiques ajoutées au style de vie migratoire de la majorité des résidents du Labrador affectaient négativement les efforts de la mission pour promouvoir l'agriculture.

Dans le but de stimuler le développement industriel, la mission a aidé à établir des scieries, des magasins coopératifs et une industrie commerciale de l'artisanat qui vendait des tapis au crochet, des produits tricotés, des sculptures sur bois et d'autres objets dans les magasins d'artisanat Grenfell, au Canada et aux États-Unis. Les membres de la mission espéraient que ces efforts serviraient à augmenter les revenus locaux et à diversifier l'économie du Labrador dans des industries autres que la pêche et le piégeage.

Infirmière de la mission Grenfell, vers 1920
Infirmière de la mission Grenfell, vers 1920
La mission Grenfell avait pour objectif d'offrir des soins de santé de qualité aux résidents du Labrador et du nord de l'île Terre-Neuve. Elle encourageait aussi l'agriculture, l'éducation et le développement industriel.
Photographe inconnu. Reproduit avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-325.093), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Même si la mission faisait beaucoup pour promouvoir le bien-être social et physique au Labrador, certains historiens sont d'avis qu'elle était en conflit avec certaines pratiques culturelles et qu'elle obligeait de nombreuses familles à modifier leur mode de vie traditionnel. Au tournant du 20e siècle, beaucoup de résidents du Labrador menaient un mode de vie migratoire selon les saisons: ils pêchaient en été et piégeaient en hiver. Cependant, les hôpitaux de Grenfell, les écoles, les fermes et autres services étaient favorables à une population centralisée, située à une distance convenable pour atteindre les installations de la mission. De plus, la majorité des employés de la mission Grenfell venaient du Royaume-Uni ou d'Amérique du Nord et ils ne connaissaient pas les coutumes du Labrador; malgré leurs bonnes intentions, ils imposaient souvent leurs propres pratiques culturelles à la population locale. Néanmoins, la mission Grenfell était très bien acceptée par les résidents du Labrador.

NONIA

L'association NONIA (Newfoundland Outport Nursing and Industrial Association) aidait à fournir des soins infirmiers, de sage-femme et autres services médicaux dans les régions rurales de l'île par la vente des produits tricotés et tissés. Avant l'établissement de cet organisme, il y avait peu d'infirmières dans les villages côtiers de l'île de Terre-Neuve; entre Hermitage et Port aux Basques, par exemple, il n'y avait pas une seule infirmière pour les 6 500 résidents qui vivaient le long des 240 km de côte.

En 1920, Lady Constance Maria Harris, qui était la femme du gouverneur Sir Alexander Harris, a formé le comité de soins infirmiers des villages côtiers, qui était un précurseur de NONIA, avec la collaboration de plusieurs personnages importants et de personnel médical. Le mandat du comité était de placer des infirmières qualifiées dans des collectivités isolées où il n'y avait aucun service médical. Le gouvernement avait accepté de payer l'équivalent de la moitié des salaires des infirmières à condition que le comité puisse financer le reste grâce à ses levées de fonds; les membres du comité espéraient aussi que les patients qui bénéficieraient de ce programme offriraient de payer 1 $ par an.

À la fin de 1920, le comité a embauché six infirmières, qui venaient d'Angleterre, aux termes d'un contrat de deux ans et elles ont été envoyées dans toute l'île, à Lower Island Cove, Daniel's Harbour, Hant's Harbour, Joe Batt's Arm, Rose Blanche et Hodge's Cove. Cependant, lorsque le contrat s'est terminé en 1922, quatre infirmières ont quitté l'île ainsi que Lady Harris qui est retournée en Angleterre avec son mari dont le mandat de gouverneur finissait cette année-là.

Lady Elsie Allardyce, la femme du nouveau gouverneur, avait décidé de restructurer et d'agrandir l'organisme en difficulté. Sous sa direction, le comité a engagé des femmes dans les villages côtiers pour tricoter des chandails et autres vêtements qui étaient ensuite vendus au public. Les revenus servaient à payer le salaire des infirmières. Des comités locaux ont été mis sur pied dans toute l'île pour organiser les activités de tricotage et tissage, distribuer la laine et payer les travailleuses. Un comité central situé à St. John's fournissait aux comités locaux le matériel, les instructions et les fonds et il recevait tous les objets destinés à la vente au public.

Le 24 janvier 1924, le comité des soins infirmiers des villages côtiers a adopté le nom officiel de Newfoundland Outport Nursing and Industrial Association à l'occasion d'une réunion publique à St. John's. NONIA est devenue la marque déposée pour tout l'artisanat de l'association et ses infirmières étaient connues partout au pays comme les infirmières de NONIA. En plus de fournir des soins médicaux de qualité, l'association servait à augmenter le niveau de vie de ses tisserandes en leur payant un salaire. Ce qui était rare dans de nombreuses communautés côtières et c'était une source de revenus très appréciée pendant la Crise économique.

Dans son livre, le révérend Hugh MacDermott a parlé de l'influence de NONIA sur une des tricoteuses, MacDermott de la baie Fortune : « Quand j'ai payé la première tricoteuse, elle a regardé l'argent – dix dollars – en ouvrant tout grand ses yeux remplis de larmes. Le lendemain, je l'ai rencontrée sur la route et je lui ai demandé si elle était satisfaite de son paiement. Elle a répondu : 'Je ne sais pas comment je suis rentrée chez moi. Sur la tête ou sur les talons! Nous n'avions plus rien dans la maison. Will n'a rien gagné cette année. J'ai acheté de la farine et d'autres choses dont on avait vraiment besoin' » (traduction libre).

Quand la Commission de gouvernement a pris le pouvoir en 1934, elle a pris le contrôle des tous les services infirmiers à Terre-Neuve et au Labrador, y compris ceux de NONIA. Même si les huit infirmières de l'association ont été transférées au ministère de la santé et du bien-être public, ses tricoteuses et tisserandes ont continué à travailler sous la marque NONIA. Les années suivantes, l'association a augmenté ses activités, ce qui représentait des revenus supplémentaires pour les femmes des villages côtiers. Lorsque Terre-Neuve (et le Labrador) a rejoint la Confédération canadienne en 1949, on comptait 840 travailleuses qui produisaient des objets d'artisanat dans 50 communautés. De nos jours, l'association continue à travailler comme organisme sans but lucratif.

La Child Welfare Association (CWA)

Bien que la CWA (une association pour le bien-être des enfants) a été fondée en 1921 pour veiller aux besoins physiques et sociaux des jeunes du pays, elle a son origine dans la WPA (Women's Patriotic Association – association des femmes patriotiques), organismes de charité qui œuvrait pendant la Première Guerre mondiale. À la fin des hostilités en 1918, la WPA s'est intéressée à la promotion de la santé infantile et maternelle. Elle a commencé par une campagne de levée de fonds pour embaucher trois infirmières communautaires et distribuer des vêtements aux pauvres, en plus d'ouvrir un centre de bien-être pour les enfants à St. John's.

Jeune fille blessée à l'hôpital de St. Anthony, vers 1920
Jeune fille blessée à l'hôpital de St. Anthony, vers 1920
La Child Welfare Association (CWA) a été fondée en 1921 pour veiller aux besoins physiques et sociaux des jeunes de Terre-Neuve et du Labrador.
Photographe inconnu. Reproduit avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-325.145), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Après avoir reconnu que la majorité de ses efforts après la guerre se portaient sur l'amélioration de la santé des enfants, la WPA a été dissoute en janvier 1921 et s'est réorganisée en CWA au mois de mai suivant. Le groupe a poursuivi ses efforts pour promouvoir le bien-être des enfants et en particulier, il s'est concentré sur la réduction du taux élevé de mortalité infantile du pays, qui atteignait 146,34 pour 1000 naissances en 1920. Le gouvernement et les responsables médicaux croyaient que la malnutrition était un des facteurs de la mortalité des nourrissons et on citait la rareté du lait comme étant un problème majeur. Pour remédier à ce problème, la CWA a aidé à établir une série de dépôts de lait à St. John's.

La Commission de gouvernement a mis en œuvre un programme semblable dans les années trente, quand elle a distribué gratuitement aux enfants de Terre-Neuve et du Labrador une boisson nutritive maltée appelée Cocomalt. Le nouveau gouvernement était en faveur de plusieurs préoccupations de la CWA et il a bien amélioré le bien-être des enfants pendant ses quinze ans au pouvoir. Il a aussi été capable d'élargir une variété d'autres services non gouvernementaux existants en santé et bien-être établis à Terre-Neuve et au Labrador pendant les deux premières décennies du 20e siècle, notamment l'augmentation des services médicaux dans les régions rurales et la promotion de l'éducation de la santé dans les écoles du pays.

Entreprises privées

En plus des organismes sans but lucratif, certaines entreprises minières et papetières de Terre-Neuve et du Labrador offraient aussi des services médicaux et sociaux à leurs employés. C'était particulièrement vrai des grosses entreprises, notamment la American Smelting and Refining Company (ASARCO) ainsi que l'Anglo-Newfoundland Development Company (AND) qui avaient établi des collectivités pour loger les ouvriers des mines et des scieries. À Buchans, par exemple, ASARCO a fait construire et a dirigé le seul hôpital de la collectivité pour offrir des services médicaux à leurs employés et aux membres de leur famille. L'entreprise AND a ouvert un hôpital à Grand Falls pour les travailleurs des scieries. Les compagnies ont aussi construit des écoles et des routes dans leurs collectivités et ils fournissaient aux résidents les services d'eau et d'égout ainsi que d'autres services.

Même si les conditions de travail et de vie dans les camps forestiers étaient déplorables pour les ouvriers au début du 20e siècle, il y avait au moins un exploitant forestier qui faisait exception à la norme. En 1923, Harry Crowe avait fondé un camp forestier à Hampden, baie White, et on y offrait une variété de services sociaux pour les travailleurs et leur famille. En particulier, on y avait accès à des soins de santé de qualité ainsi que des installations éducatives et sanitaires, notamment des douches et des cours du soir.

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