La musique

La découverte d'une flûte en os dans un tertre funéraire de l'Archaïque maritime, situé dans le petit village de L'Anse Amour sur la côte sud du Labrador, représente la preuve la plus ancienne de la présence de la musique sur le territoire qu'est aujourd'hui Terre-Neuve-et-Labrador. Nous en savons peu sur la musique propre aux Autochtones avant l'arrivée des Européens. Nous nous doutons toutefois qu'elle occupait une fonction particulière dans les sphères spirituelle et religieuse de leur vie. Elle devait également fournir plaisir et réconfort au quotidien. Les Béothuks n'ont laissé aucun indice d'instruments musicaux, mais des témoins ont mentionné des chants et des danses. Au cours de la période historique, les Inuit et les Innus du Labrador perpétuent leurs traditions musicales, dont l'usage du tambour et la musique de bouche inuit. Au Labrador, les missionnaires moraves s'efforcent de persuader les Inuit de renoncer à leur musique, ainsi qu'à toute autre manifestation culturelle jugée non chrétienne.

Les colons européens qui s'installent à Terre-Neuve et au Labrador apportent dans leurs bagages des ballades et des mélodies très répandues en Angleterre et en Irlande à cette époque. Une partie d'entre elles se transmettent d'une génération à l'autre exclusivement sous forme orale. Cette musique perdure encore au 20e siècle. Elle est dite traditionnelle, car ce sont les aînés qui la font connaître aux plus jeunes. Ceux-ci l'apprennent à leur tour et la conservent. Ce transfert musical se produit naturellement, généralement lors d'activités sociales alors qu'interprète et auditoire ne font qu'un; l'interprète ne s'attendait pas à être payé. Des spécialistes de chants populaires observent que des habitants de Terre-Neuve-et-Labrador interprètent encore certains airs qui datent assurément de plusieurs siècles. Ces chansons ont fort probablement traversé de nombreuses générations.

La musique dite traditionnelle

Nous aurions tort de croire que la musique traditionnelle n'évolue pas au fil du temps ou que son seul point d'origine est la Grande-Bretagne. Les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador ne se contentent pas simplement d'en assurer sa continuité. Des interprètes créatifs dépoussièrent les mélodies et y ajoutent de nouvelles paroles pour en moderniser le contenu. Si l'adaptation de ces airs anciens aux goûts et aux préoccupations de l'heure avait été impossible, ceux-ci seraient disparus faute de transmission. Il ne faut pas oublier que toute musique est contemporaine. Elle survit au passage du temps parce qu'elle reste populaire et non parce que la population n'a pas accès à de nouveaux styles musicaux. Les interprètes la revisitent et la transmettent aux générations suivantes parce qu'elle demeure pertinente.

De nouvelles chansons sont également composées dans un style qui rappelle la musique traditionnelle. Elles semblent donc plus anciennes qu'elles ne le sont en réalité. Prenons pour exemple la chanson « Let Me Fish Off Cape St. Mary's ». Malgré une tournure traditionnelle, son auteur, Otto Kelland, l'a écrite en 1947. Ces chansons font maintenant partie du répertoire culturel non pas grâce à la tradition orale, mais par l'intermédiaire de nouveaux médias. Les recueils de chansons de Gerald S. Doyle et les émissions radiophoniques de Terre-Neuve, comme celle animée par Irene B. Mellon, ont maintenu leur popularité. Les deux remplissent une fonction plutôt complexe. Ces médias diffusaient des chansons et des airs d'autrefois qui ne persistaient que dans quelques coins de pays et présentaient de nouvelles chansons de style traditionnel. Plusieurs représentants de cette musique appartiennent maintenant au répertoire musical de Terre-Neuve-et-Labrador. Les recueils de Gerald Doyle représentent pour les musiciens la référence en matière de musique authentiquement terre-neuvienne. Des universitaires comme Maude Karpeles et des musiciens tels ceux du groupe Figgy Duff s'attachent à conserver ce patrimoine musical et à le faire connaître. Contrairement aux idées reçues, la musique traditionnelle n'a pas régné sans partage dans l'île. Au cours du 19e siècle, plusieurs styles musicaux ont aussi diverti la population et joué un rôle social.

Les fanfares

Les corps de fifres et tambours militaires défilaient avec la garnison dans la ville de St. John's. Les fanfares de grandes villes agrémentaient les fêtes publiques d'une musique de circonstance. Elles prenaient part aux défilés, accompagnaient les organismes fraternels et ajoutaient une note musicale aux compétitions sportives. Les groupes jeunesse de type militaire possédaient leur propre fanfare qui participait aux célébrations publiques. Dans le but d'éviter toute manifestation sectaire ou la démonstration de divergences politiques au sein de la population, le gouvernement appuyait à sa façon la composition de musique patriotique. Cavendish Boyle, le gouverneur de Terre-Neuve, a composé d'ailleurs un hymne à l'île, « Ode to Newfoundland ».

Le gouverneur Cavendish Boyle, s.d.
Le gouverneur Cavendish Boyle, s.d.
Le gouverneur Boyle a composé les paroles de l'hymne national de Terre-Neuve, « Ode to Newfoundland ».

Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll - 237, 12.14.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La musique sacrée

Tout comme pour les peuples autochtones, la musique répondait à un besoin spirituel chez de nombreux habitants de Terre-Neuve et du Labrador d'origine européenne. Ces colons emportaient avec eux des hymnes chrétiens et d'autres formes de musique liturgique. Comparativement à la musique profane, la musique sacrée occupait une place prépondérante dans la vie des protestants. Il suffit de constater la place omniprésente de la musique dans la pratique du culte et les efforts d'évangélisation de l'Armée du Salut. Pour les missionnaires, la musique représentait un instrument de conversion et d'attraction à leur confession, et ce, aussi bien pour les colons européens de toutes tendances chrétiennes que pour les peuples autochtones. Ainsi, les missionnaires moraves ont publié en 1809 un hymnaire en langue inuit. Ils ont incité, non sans succès, les Inuit de la côte du Labrador à adopter la musique liturgique allemande avec ses cuivres.

La scène internationale : l'opéra, le théâtre et le vaudeville

Les Européens installés à Terre-Neuve ne vivaient pas en circuit fermé. Les voyageurs et les immigrants, de même que la musique en feuilles, ont exposé la population à de nouveaux styles musicaux. La bourgeoisie envoyait ses enfants étudier à l'étranger et s'intéressait vivement à la musique. En 1820, une troupe amateur d'art lyrique a monté un opéra à St. John's. À partir des années 1880, des troupes locales et itinérantes donnaient souvent des représentations dans la capitale et les grandes villes des régions. Les plus petites collectivités n'avaient peut-être pas les moyens de mettre en scène de telles productions, mais la musique des compositeurs européens envahissait de nombreux salons. Les concerts faisaient partie du tissu social de nombreuses collectivités. Peu de musiciens parvenaient à gagner leur vie en raison du nombre limité de troupes de théâtre amateurs et professionnelles. Certains ont réussi malgré tout en donnant des leçons de musique aux personnes désireuses d'apprendre à jouer d'un instrument, que ce soit l'alto, l'orgue ou autre. Des musiciens comme Charles Hutton, également propriétaire d'un magasin de musique, faisait partie d'un milieu musical dynamique. Un exemple remarquable était la chanteuse d'opéra Georgina Stirling, de Twillingate. Elle a fait carrière en Italie, sans négliger Terre-Neuve. À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, le vaudeville et la musique populaire recrutaient plusieurs participants à Terre-Neuve et au Labrador. Dans les années 1930, la présentation d'opéras était en déclin.

Les Terre-Neuviens ont ré imaginé et remodelé cette musique à leur image. Le musicien John Burke, de St. John's, a composé des parodies inspirées d'opérettes, du music-hall de Gilbert and Sullivan et de l'industrie musicale commerciale américaine. Ces satires accolaient une musique internationale à des propos de saveur locale en langue populaire pour provoquer le rire. Il y eut également des tentatives de composition musicale de nature plus sérieuse, mais peu de ces œuvres ont survécu. Ainsi, Mgr Michael F. Howley, archevêque catholique, rédigea un livret d'opéra sur les Béothuks.

Mgr Michael F. Howley, archevêque catholique, s.d.
Mgr Michael F. Howley, archevêque catholique, s.d.
Monseigneur Howley a rédigé un livret d'opéra ayant pour thème les Béothuks au 19e siècle.

Tiré de Part of the Main: An Illustrated History of Newfoundland and Labrador, de Peter Neary et Patrick O'Flaherty, Breakwater Books, St. John's, T.-N.-L., © 1983, p. 104. Avec la permission de Presentation Congregation Archives, Presentation Convent.

La musique country

Présent sur l'île depuis les années 1890, le phonographe, et plus tard la radio, en expansion rapide depuis son entrée en scène au début de 1921, propagent des styles musicaux d'autres pays. La radio participe à la vogue de popularité de la musique de l'île tout en présentant la musique venue d'ailleurs. Les films avec bande sonore, plus particulièrement les westerns, amplifient la cote d'amour de la musique country et ses déclinaisons, la musique western et la musique hillbilly. Née dans le sud des États-Unis, la musique country, qui avait des liens avec la même musique traditionnelle anglaise et irlandaise que l'on retrouvait encore à Terre-Neuve-et-Labrador, devint naturellement très populaire ici au 20e siècle. Les sujets quotidiens et humains qu'elle chante avec émotion semblent toucher aux préoccupations de ses habitants. Plusieurs musiciens composent des chansons country, par exemple Harry Martin, originaire du Labrador.

La culture populaire nord-américaine

La résurgence économique qui se produit à la Seconde Guerre mondiale et l'essor du gouvernement après l'union avec le Canada en 1949 jettent les bases d'un bouillonnement musical. Basés à Terre-Neuve et au Labrador, les soldats américains et canadiens, dont certains sont musiciens, accélèrent la diffusion de la musique de danse, notamment le style « big band ». Aux États-Unis, le « rhythm and blues » évolue vers le « rock and roll » dans les années 1950. Les Terre-Neuviens achètent des disques, écoutent ce style de musique à la radio et s'en imprègnent. Au cours de la deuxième moitié du 20e siècle, les musiciens de l'île composent et interprètent des styles musicaux représentatifs d'un vaste éventail de la culture populaire nord-américaine.

Le festival folk annuel de Terre-Neuve-et-Labrador, 1979
Le festival folk annuel de Terre-Neuve-et-Labrador, 1979
Une photo prise lors du Festival folk de Terre-Neuve-et-Labrador, qui a lieu chaque année depuis 1977 au parc Bannerman à St. John's.

Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll - 154), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La préservation des traditions musicales

Au moment où le marché offrait de nombreux choix musicaux autres que celui de tendance traditionnelle, un mouvement s'amorçait pour la préservation des traditions musicales de Terre-Neuve-et-Labrador. Tout au long du 20e siècle, plusieurs personnes ont élaboré des anthologies de chansons et d'airs traditionnels dans le but d'empêcher leur disparition. Selon ces gens, la musique traditionnelle pourrait ne pas survivre à l'adoption par la population de nouveaux styles musicaux en provenance des États-Unis. Cependant l'accordéoniste Harry Hibbs et d'autres musiciens ont obtenu un grand succès commercial avec des disques consacrés à la musique autrefois confinée aux rencontres sociales. Dans les années suivant l'union, un bon nombre de musiciens de l'île ont relancé la musique originaire de Terre-Neuve et du Labrador, et ont composé de nouvelles chansons en empruntant un style traditionnel. La musique traditionnelle n'est qu'une parmi d'autres formes musicales que la population de Terre-Neuve aime écouter et interpréter, du jazz à la musique country chrétienne, de la musique alternative à la musique classique ainsi que du blues à l'opéra.

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