La migration irlandaise

La migration irlandaise vers Terre-Neuve et le Labrador démarre vers la fin du 17e siècle. Elle atteint son point culminant au cours des 20 premières années du 19e siècle. C'est alors qu'au moins 35 000 Irlandais mettent le pied sur l'île. La majorité d'entre eux prévoient un bref séjour dans la colonie, le temps d'une pêche saisonnière à la morue. Cependant, vers la fin du 18e siècle et le début du 19e siècle, la plupart des travailleurs irlandais s'établissent en permanence à Terre-Neuve et au Labrador, car les activités de pêche sont dorénavant l'affaire des pêcheurs résidents.

Carte de l'Irlande, 1943
Carte de l'Irlande, 1943
La plupart des immigrants irlandais qui arrivent à Terre-Neuve et au Labrador viennent de Waterford et d'autres régions du sud-est de l'Irlande. [Océan Atlantique, Mer d'Irlande]
Carte dessinée par F. Nichols. Tirée de The Story of Ireland, Sean O'Faolain, éd. W. Collins, Londres, 1943, p. 8.

La majorité des travailleurs migrants viennent des ports du sud-est de l'Irlande, dont les liens commerciaux avec Terre-Neuve et le Labrador datent de la fin du 17e siècle. Ils quittent leur foyer pour divers motifs. La surpopulation en pousse certains à chercher ailleurs des terres à cultiver et du travail. D'autres veulent fuir une situation financière précaire résultant de mauvaises récoltes, de la mécanisation de l'agriculture et les pertes d'emploi subséquentes, de la débâcle d'industries locales, ou d'autres facteurs. Lorsque prennent fin les vagues migratoires au début des années 1840, environ la moitié des habitants de la colonie est d'origine irlandaise.

Le commerce et les premiers mouvements migratoires

Jusqu'à la fin du 18e siècle, le séjour des travailleurs migrants irlandais, alors peu nombreux, était de courte durée et associé à la pêche saisonnière. La plupart de ces jeunes hommes veulent s'engager comme travailleurs auprès de colons propriétaires (habitants-pêcheurs). Ils partent ordinairement au printemps d'un port de leur région et travaillent dans les pêcheries un ou deux étés et un hiver avant de revenir en Irlande à l'automne. Quelques-uns restent un peu plus longtemps, mais moins encore décident de s'installer pour de bon sur l'île. Avant les années 1780, ce petit groupe est bien évidemment noyé dans la masse des travailleurs saisonniers.

Les exportations de produits irlandais vers le port de St. John's et d'autres ports terre-neuviens déterminent les mouvements migratoires. Même si l'Irlande n'est aucunement partie prenante du commerce du poisson au 17e siècle, les marchands irlandais approvisionnent les pêcheurs anglais en expédiant annuellement outremer du bœuf et du porc salés, du beurre, du fromage et autres produits. Les fermiers anglais produisent les mêmes denrées, mais les destinent plutôt au vaste marché intérieur qui est en pleine expansion. En conséquence, dès le milieu des années 1670, les navires anglais à destination de Terre-Neuve et du Labrador font escale dans les ports irlandais pour obtenir le ravitaillement nécessaire aux centaines de pêcheurs traversant l'Atlantique. La plupart s'arrêtent aux ports du sud-est de l'Irlande, dont Waterford, situés le long des routes maritimes vers Terre-Neuve.

Dans les décennies qui suivent, la pêche saisonnière prend son envol. Elle exige donc un nombre toujours croissant de travailleurs. Au début du 18e siècle, les commandants de navires embarquent désormais non seulement du ravitaillement en Irlande, mais aussi des travailleurs qu'ils recrutent pour la pêche outremer. La majorité d'entre eux sont de jeunes hommes pauvres et célibataires prêts à rester au moins une saison à Terre-Neuve au service des colons propriétaires ou des marchands. Ces travailleurs viennent du sud-est, surtout des comtés de Waterford, Kilkenny, Tipperary, Wexford et Cork, car les bateaux anglais fréquentent les ports de cette région.

Kilkenny, Irelande, s.d.
Kilkenny, Irelande, s.d.
Les travailleurs irlandais recrutés pour la pêche migratoire (saisonnière) proviennent des comtés de Waterford, Kilkenny, Wexford, et d'autres comtés du sud-est de l'Irlande.
Illustration de Paul Henry. Tirée de An Irish Journey, Sean O'Faolain, Longmans, Green and Co., Londres, 1940, p. 64.

La majorité des travailleurs irlandais ne connaissent rien à la pêche (puisque venus surtout du milieu rural). Ils représentent donc pour les colons propriétaires (habitants-pêcheurs indépendants) un intéressant réservoir de main-d'œuvre à bon marché. En outre, les colons propriétaires sont forcés d'engager des serviteurs d'autres régions en raison d'une disette de travailleurs anglais pendant les premières années du 18e siècle. Entre 1702 et 1713, l'Angleterre et la France sont en guerre. Le service militaire détourne des milliers de jeunes Anglais de la pêche migratoire. À la fin de ce conflit, l'industrie de la pêche à Terre-Neuve et au Labrador est déjà au ralenti et elle ne rebondira pas avant 1728. Tout le sud-ouest de l'Angleterre est au courant de la situation, mais non l'Irlande. Les capitaines de bateaux et les agents commerciaux y recrutent donc plus facilement des travailleurs.

Lors du rebond de cette industrie en 1728, les travailleurs irlandais possèdent dorénavant une solide expérience et sont devenus un rouage important de ce secteur d'activité. Ayant pu accumuler suffisamment d'argent, plusieurs travailleurs irlandais acquièrent des installations de pêche et engagent eux aussi chaque année des travailleurs à partir des ports du sud-est de l'Irlande. Au printemps 1732, 738 travailleurs irlandais et 238 propriétaires de bye-boats (petits bateaux ouverts) débarquent à Terre-Neuve et au Labrador. La majorité se concentre dans la péninsule d'Avalon. Le nombre de migrants irlandais continue d'augmenter au fil du siècle pour s'élever annuellement à environ 5000 dans les années 1780. À cette époque, ils sont toujours plus nombreux à s'implanter dans l'île et à prendre une part active à la pêche de résidents.

La migration au 19e siècle

La migration irlandaise atteint des sommets au cours des 30 premières années du 19e siècle. L'île accueille en effet entre 30 000 et 35 000 immigrants. Ils viennent en majeure partie des comtés du sud-est de l'Irlande comme au siècle précédent, des comtés qui longent les routes commerciales reliant les îles britanniques à Terre-Neuve et au Labrador. Selon l'historien John Mannion (1973), environ 90 p. 100 des migrants habitaient alors dans un rayon de 65 kilomètres de la ville de Waterford, un port d'importance pour la traversée de l'Atlantique.

Passage East, Waterford, Irelande, s.d.
Passage East, Waterford, Irelande, s.d.
Au 19e siècle, la plupart des migrants irlandais vers Terre-Neuve et le Labrador vivaient dans un rayon de 65 kilomètres de la ville de Waterford, un port d'importance pour la traversée de l'Atlantique.
Illustration de Paul Henry. Tirée de An Irish Journey, Sean O'Faolain, Longmans, Green and Co., Londres, 1940, p. 148.

Différentes raisons les poussent à quitter leur foyer et à s'établir à Terre-Neuve et au Labrador au début du 19e siècle. Les plus importantes sont la rareté de terres à cultiver, la faiblesse de l'économie et la pression démographique qui prive les travailleurs d'un niveau de vie honnête. L'effondrement de l'industrie du textile de la région du sud-est et les mauvaises récoltes qui se répètent entre 1770 et 1830 font traverser de graves difficultés économiques à la classe ouvrière. Cette progression démographique pèse lourdement sur un marché du travail limité et de maigres ressources.

Les travailleurs irlandais sont nombreux à espérer trouver un emploi et des terres ailleurs. À l'instar de ceux qui les ont précédés il y a des années, ces jeunes hommes célibataires, sans qualification particulière et souvent pauvres font partie des classes moyenne et inférieure. Bon nombre vivent en milieu rural. Certains émigrent après l'expiration des baux de leurs fermes. D'autres sont des ouvriers agricoles sans espoir de voir leur situation s'améliorer, ou les fils cadets de fermiers qui ne leur laisseront pas de terres en héritage. Enfin, il y a ceux qui exploitent une parcelle de terre dont la superficie est beaucoup trop petite pour se rentabiliser. Un bon groupe est également composé d'artisans ou de négociants désireux de tirer avantage des perspectives d'emploi outremer.

Contrairement à l'Irlande, la prospérité est au rendez-vous à Terre-Neuve et au Labrador au début du 19e siècle. Les guerres napoléoniennes (1803-1815) confèrent à la colonie le quasi-monopole de la morue salée. Son économie se diversifie grâce à l'émergence d'une industrie navale, la chasse au phoque et le trappage d'hiver. Ces facteurs facilitent un peuplement à longueur d'année. À cela s'ajoute l'interdiction des navires britanniques dans les ports américains en raison du conflit qui oppose la Grande-Bretagne aux États-Unis entre 1812 et 1814. Une option pratique s'offre alors aux émigrants du vieux continent qui visent le Nouveau Monde : Terre-Neuve et le Labrador.

Les emplois sont nombreux et les salaires en hausse dans l'industrie de la pêche, et ce, même pour les travailleurs sans expérience. Le boom économique de la colonie favorise l'établissement et la croissance d'une population permanente, de même que la venue annuelle de milliers d'immigrants irlandais. Seulement entre 1811 et 1816, le flot migratoire s'élève à environ 16 000 personnes. En 1836, Terre-Neuve et le Labrador comptent 38 000 habitants d'origine irlandaise, soit près de cinq fois plus qu'en 1800.

Par contre, à la fin des guerres napoléoniennes en 1815, le ralentissement économique qui accable l'industrie de la pêche fait rapidement chuter le nombre d'immigrants irlandais à Terre-Neuve et au Labrador. Pourtant, partout ailleurs en Amérique du Nord, l'immigration irlandaise s'intensifie. C'est le déplacement des couloirs de navigation transatlantique qui en est en partie responsable, car au cours des années précédentes, ces derniers jouent un rôle prépondérant dans l'arrivée d'immigrants à St. John's et les autres ports côtiers de l'île. D'autre part, l'augmentation de la valeur des exportations de bois permet aux ports des villes de Saint John, Québec et d'autres villes nord-américaines de supplanter celui de St. John's et d'attirer les navires marchands britanniques. Comme la fin des hostilités napoléoniennes marque le début d'une crise économique dans la colonie, de nombreux émigrants choisissent plutôt de s'installer dans le reste de l'Amérique du Nord.

Néanmoins, dans les années 1840, les Irlandais constituent un fort pourcentage des habitants de Terre-Neuve et du Labrador. De fait, ils forment 50 p. 100 de la population. De nos jours, de nombreux citoyens de la province ont des ancêtres ayant migré ici aux 18e et 19e siècles.

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