Les villages côtiers

Ces petites collectivités portuaires du littoral de la province sont autant de petits ports à l'extérieur du grand port de St. John's. Certaines d'entre elles, tel Harbour Grace, comptent une importante population depuis les années 1830. La pêche constitue le principal soutien économique des villages côtiers, mais parfois c'est une scierie ou l'exploitation d'autres ressources qui leur permettent de subsister. Puisque, sauf dans un rare cas, le vocable « village côtier » désigne toutes les collectivités côtières de Terre-Neuve-et-Labrador, il ne faut pas s'étonner qu'elles diffèrent beaucoup les unes des autres.

La rive d'Harbour Grace, vers 1911
La rive d'Harbour Grace, T.-N.-L., vers 1911
Harbour Grace était l'une des plus importantes collectivités de l'île au début du 20e siècle.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll - 75, 5.05.159), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. Détails d'une photo prise par R. T. Parsons.

Les villages côtiers s'implantent là où des familles peuvent trouver un emplacement protégé, de l'eau douce et un accès à des zones de pêche. Elles doivent aussi pouvoir occuper une partie du rivage pour sécher le poisson salé, et disposer de bois pour construire leurs installations et faire du feu. Ces facteurs jouent un rôle capital dans le choix d'un endroit leur permettant de subsister. Lorsqu'il n'y a plus d'emplacements disponibles sur la rive, ou que de meilleures zones de pêche s'offrent à elles, certaines familles migrent vers d'autres régions. C'est ce qui explique la dissémination des petits villages côtiers le long du littoral et sur les centaines d'îles de Terre-Neuve et du Labrador.

Les habitants d'un petit village côtier

L'aménagement des villages correspond à la topographie des lieux. Toutefois, les petits villages de pêche présentent des traits communs. Les berges sont réservées aux quais, aux hangars de stockage et aux vigneaux configurés de façon à tirer parti du moindre lopin de terre. Les édifices publics comprennent un ou plusieurs lieux de culte, une école peut-être et une salle destinée aux réunions de sociétés fraternelles comme celle de la loge orangiste. Le nombre d'habitants détermine si un ou des marchands approvisionnent le village. Les villages côtiers se composent essentiellement de familles de pêcheurs, en plus d'un marchand, d'un prêtre ou d'un pasteur, et peut-être d'un instituteur. Des artisans, tels un forgeron ou un cordonnier, sont également présents dans les plus gros villages. Quelques villages côtiers remplissent la fonction de centres d'activités administratives et tertiaires dans leur région. Ils comptent alors un douanier, un magistrat, un médecin et un maître de poste.

La santé économique des villages fluctue d'une collectivité à l'autre, le revenu des pêcheurs aussi dans un même village. Par exemple, les pêcheurs des villages côtiers de la péninsule de Burin, qui ont accès aux riches zones poissonnières des Grands Bancs, touchent un revenu par tête supérieur à celui d'autres pêcheurs limités à la pêche côtière. Il arrive parfois que, dans un village, des familles de pêcheurs sont financièrement plus à l'aise que d'autres, peut-être en raison de leur capacité à investir dans l'achat de matériel de plus grande qualité ou un meilleur bateau. Sinon, elles sont peut-être les heureuses héritières de parcelles de terrain pour leurs potagers, leurs quais et leurs hangars de stockage. Certaines d'entre elles s'orientent vers des activités commerciales. Elles offrent des prêts et du ravitaillement aux autres habitants de leur collectivité. Pour d'autres familles, une mauvaise saison de pêche signifie une perte d'autonomie. Elles sont alors réduites à travailler sur le bateau d'une autre famille pour une quote-part des prises.

Un isolement tout relatif

Les gens s'imaginent parfois que les villages côtiers sont isolés, et ce, sans même connaître les faits ou la situation d'autres collectivités similaires. Il est vrai que les communications entre eux sont difficiles. Par exemple, la glace de mer complique notoirement les déplacements pendant la majeure partie de l'année. S'il y a des villages voisins reliés par des routes, la plupart le sont surtout par des sentiers. La majorité des habitants de la campagne partout dans le monde s'éloignent à peine de leurs collectivités. Pourtant, à l'ère de la voile, les petits ports de Terre-Neuve et du Labrador accueillent des bateaux venant d'Europe et de la Nouvelle-Angleterre, alors qu'en Europe, les paysans situés à quelques kilomètres de la côte voient très peu d'étrangers. Les habitants de Terre-Neuve parcourent tout l'Atlantique Nord pour rapporter du poisson sur les marchés. Ainsi, vers la fin de 19e siècle et au début du 20e siècle, John Froude, originaire de Twillingate, visite de nombreux pays des deux Amériques, d'Europe, d'Afrique et d'Asie. L'isolement est une notion tout à fait relative. Les villages côtiers de l'époque étaient souvent moins isolés du monde que les collectivités agricoles nord-américaines d'aujourd'hui.

La migration

Les collectivités agricoles sont sédentaires. Par contre, plusieurs collectivités de pêcheurs se déplacent d'un port à un autre selon les saisons. Ces ports sont, pour la plupart, à proximité de zones de pêche, mais situés dans des îles ou des caps qui n'offrent aucune protection contre les intempéries. Ces lieux inhospitaliers ne permettent pas d'hiverner. Dans certains cas, toutes les familles d'une collectivité possèdent deux résidences, l'une contiguë au lieu de pêche et l'autre à l'abri au fond de la baie, près d'un boisé pour le bois de chauffage. Ces collectivités habitent donc deux endroits différents, le fond du port l'hiver et les îles l'été. Ce mode de vie aboutit occasionnellement à une forme de pêche migratoire (saisonnière). Au cours du 19e siècle, des familles entières pêchent tout l'été sur la côte labradorienne, puis repartent vers la baie de la Conception pour l'hiver. L'arrivée de bateaux à moteur facilite et accélère le trajet jusqu'aux lieux de pêche. La nécessité de prévoir des maisons d'été et d'hiver diminue. À mesure que des collectivités s'enracinent sur la côte du Labrador, le déplacement des pêcheurs de la baie de la Conception au Labrador ralentit.

Port de Grave, baie de la Conception, T.-N.-L., vers 1994
Port de Grave, baie de la Conception, T.-N.-L., vers 1994
Avec la permission de Ben Hansen © 1994. Tiré de Newfoundland and Labrador, Ben Hansen, St. John's, 1994, p. 18.

Les villages côtiers au 20e siècle

Au 20e siècle, des habitants s'installent en permanence dans de nombreux ports d'hiver situés au fond des baies. Ces résidents travaillent pour les papeteries comme scieurs et bûcherons. Les collectivités desservies par le chemin de fer au 19e siècle, Gambo par exemple, bénéficient de leur mutation en centres de services. Des bateaux appartenant au gouvernement font la navette entre les villages côtiers les mieux situés dans leur région. Ceux-ci commencent alors à y jouer un rôle décisif. Certains villages se tournent vers le transport maritime. Ainsi, le port de Botwood est le point d'expédition vers les marchés des produits du papier de la papeterie de Grand Falls. La majorité des villages côtiers vivent de la pêche, mais ceux axés sur l'exploitation forestière et le transport n'en conservent pas moins les aspects culturels et communautaires d'un village côtier.

Il faut éviter de transposer sur tous les villages côtiers les caractéristiques culturelles particulières d'un seul village. Les habitants des plus petits villages sont souvent de même confession chrétienne. On peut donc supposer que des villages voisins professent des croyances religieuses différentes. Les traditions et coutumes diffèrent, comme la fête des mummers qui autorise la consommation d'alcool chez les catholiques et recommande l'abstinence chez les méthodistes. Les conjoints viennent souvent d'un autre village de même confession. Cette situation est moins fréquente si les habitants des villages voisins sont protestants et catholiques. La population des plus gros villages côtiers, comme Harbour Grace, est composée de catholiques et de protestants. Pourtant, les différentiations confessionnelles persistent tant sous un angle géographique que social.

Avant le 20e siècle, la plupart des villages côtiers de Terre-Neuve et du Labrador n'ont pas de gouvernement local, à l'exception de quelques centres urbains. Les représentants des gouvernements de Terre-Neuve et de la Grande-Bretagne sont plutôt rares. En cas de désaccords, il faut savoir trouver une solution sans devoir recourir aux tribunaux ou à la police. Le faible nombre d'habitants permet de s'entendre sur les comportements qui sont acceptables et inacceptables. Au cours du 20e siècle, le gouvernement étend aux villages ses pouvoirs et son offre de services.

Bay de Verde, T.-N.-L., vers 1997
Bay de Verde, T.-N.-L., vers 1997
Avec la permission de John de Visser © 1997. Tiré de True Newfoundlanders: Early Homes and Families of Newfoundland and Labrador, Margaret McBurney et Mary Byers, Boston, 1997, p. 130.

Le déploiement des services dans les régions rurales

Le déploiement des services dans les régions rurales motive l'une des décisions les plus discutables du gouvernement de Terre-Neuve. En effet, le gouvernement du premier ministre Joseph Smallwood ne souhaite pas fournir des services à des centaines de petites collectivités. Le regroupement des habitants dans un nombre réduit de centres urbains permettrait au gouvernement d'offrir à moindre coût des services de santé et d'éducation. Il imagine également l'implantation des nouvelles collectivités qui en résulterait, dont l'une porterait justement le nom de Centreville. Elles constitueraient une source de main-d'œuvre pour les entreprises manufacturières qu'espère attirer Joseph Smallwood. Le programme de centralisation et le suivant, le programme de relocalisation des familles de pêcheurs, poussent des populations entières à quitter leur village. Les personnes favorables à une relocalisation reçoivent une subvention. Si la majorité de la population d'un village se prononce en faveur de la proposition, le gouvernement refuse ensuite la prestation de services aux personnes qui refusent de partir. Entre 1954 et 1972, plus de 27 000 personnes ont fait l'objet d'une relocalisation, qui a touché plus de 220 villages. Cette expérience se révèle déchirante pour de nombreuses personnes. Les récits sur la vie d'autrefois font naître une version idyllique de cet ancien mode de vie chez ceux qui grandissent en ville. À noter que les collectivités rurales de Terre-Neuve, comme ailleurs sur la planète, se dépeuplaient bien avant l'instauration de ce programme. Les centres urbains ont simplement continué à séduire leur population. Les villages côtiers n'ayant pas répondu à l'appel n'auraient pas davantage échappé au dépeuplement, et ce, même sans programme.

Le déclin des villages côtiers

Cette impression de déclin généralisé des régions rurales, qui prévaut dans la province et partout dans le monde, atteint de nouveaux sommets en 1992 à la suite du moratoire sur la pêche à la morue décrété par le gouvernement du Canada. Plusieurs villages côtiers prospères doivent envisager d'autres débouchés. La pêche d'autres espèces et le développement de nouvelles industries comme celle du tourisme leur procurent une lueur d'espoir. Cependant, la plupart des villages côtiers ne peuvent freiner une chute de leur population. L'assiette fiscale des municipalités diminue constamment. De plus, le recrutement de nouveaux employeurs se révèle laborieux. Les jeunes couples avec enfants quittent les villages. L'existence même de ces collectivités est menacée. Certaines s'éteindront et d'autres se transformeront, comme toujours.

English version