L'exode rural

L'exode rural ne s'essouffle pas à Terre-Neuve-et-Labrador. Pratiquement chaque année depuis l'entrée dans la Confédération canadienne, le nombre de personnes désertant les collectivités rurales est supérieur à celui des personnes s'y installant. La plupart sont de jeunes gens et des couples avec de jeunes enfants. C'est la quête d'un emploi ou d'une meilleure prestation de services, notamment en santé et en éducation, qui guident leur choix. Les personnes qui ne migrent pas sont plutôt vieillissantes et leur nombre ne suffit pas à maintenir en activité les écoles, les lieux de culte, les cliniques, les centres commerciaux et autres commodités que les citadins, eux, tiennent pour acquises.

Fogo, T.-N.-L., 2006
Fogo, T.-N.-L., 2006
Comme la majorité des villages de pêcheurs de Terre-Neuve-et-Labrador, Fogo a connu un exode massif de sa population après l'imposition du moratoire sur la pêche à la morue en 1992. Le nombre d'habitants est passé de 1030 en 1991 à 748 en 2006.
Photographie prise par Jody Cairns et reproduite avec sa permission. © 2008.

Le phénomène de l'exode rural existe depuis longtemps dans la province. Toutefois, l'effondrement de la pêche à la morue, qui dépouille la plupart des petits villages de leur assise économique, agit comme un accélérateur dans les années 1990. Entre 1991 et 2001, la province subit une décroissance démographique de 10 p. 100, principalement en raison de l'émigration d'un nombre considérable d'habitants des villages côtiers vers d'autres provinces et pays. De nos jours, l'avenir des collectivités rurales se révèle de plus en plus incertain. Le tourisme et le démarrage de petites entreprises représentent pour quelques-unes d'entre elles une planche de salut, et même un espoir de prospérité, mais d'autres finiront par disparaître.

La migration avant la Confédération

L'exode rural n'est pas une situation nouvelle ou unique à la province. Au fil des siècles, ses habitants migrent vers d'autres lieux à la recherche de travail ou de ressources naturelles à exploiter. Parfois aussi, ils cherchent à satisfaire un besoin ou une ambition personnels. Les migrations saisonnières font partie intégrante de la vie des premiers colons. L'été, ceux-ci pêchent sur les côtes et l'hiver, ils s'éloignent dans les terres pour récolter du bois ou pratiquer le trappage. Lorsque l'exploitation de zones de pêche s'intensifie, des familles de pêcheurs fondent ailleurs de nouveaux villages. Le développement des industries minière et forestière suscite aussi l'intérêt des habitants de villages côtiers qui partent alors vivre dans des villes industrielles comme Stephenville, Corner Brook et Buchans.

Avant 1949, les habitants de Terre-Neuve et du Labrador choisissent souvent les États-Unis (Boston en particulier) ou le Canada pour chercher un emploi permanent ou temporaire. Après l'entrée de la province dans la Confédération, l'émigration s'est réorientée surtout vers les villes canadiennes. Durant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de villageois partent travailler sur les bases militaires américaines et canadiennes situées à St. John's, Gander et autres centres d'importance. Un grand nombre de femmes épousent des soldats en poste ici et suivent leurs maris lorsqu'ils sont ensuite rapatriés au Canada ou aux États-Unis.

Lors de l'union de Terre-Neuve et du Labrador au Canada en 1949, plus de la moitié de la population de la province est répartie entre des centaines de petits villages éparpillés sur des milliers de kilomètres de littoral. Le revenu de la majorité repose principalement sur la pêche. La culture des légumes, l'élevage du bétail, la cueillette des petits fruits et la coupe du bois permettent aux gens d'améliorer ce revenu. La situation de très nombreuses collectivités demeure précaire, car elles restent à la merci des incertitudes de la pêche. Il suffit d'une seule mauvaise saison de pêche ou d'un fléchissement de la demande de poisson salé sur les marchés étrangers pour que s'abatte sur elles la pauvreté. Ainsi donc, les difficultés économiques des villages côtiers sont telles qu'elles nourrissent la migration constante des habitants à la recherche de travail vers les plus grandes collectivités.

La modernisation et l'industrialisation

Après la Confédération, le gouvernement de Joseph Smallwood espère ralentir l'émigration en exploitant les ressources de la terre c'est-à-dire les forêts, les minéraux et les forces hydrauliques. Il entend aussi implanter des industries de moindre envergure dans la province, y compris une cimenterie à Corner Brook et une usine de fabrication de bottes en caoutchouc à Holyrood. Il préfère la mise en application de programmes de relocalisation et de centralisation des populations à la recherche de pistes de solution susceptibles d'améliorer la situation économique des collectivités rurales. Ces programmes discutables ont pour objectif de fortement inciter les habitants à s'installer dans des centres de croissance.

Entre 1954 et 1975, environ 24 000 personnes laissent derrière elles plus de 315 villages et emménagent dans de grandes collectivités centralisées. Là, elles comptent bien trouver du travail dans les usines et les entreprises surgies de la politique d'industrialisation du gouvernement Smallwood. Pourtant, cette dernière ne donne pas les résultats escomptés. Ni les emplois ni les revenus ne se manifestent. Le chômage est tout aussi endémique qu'avant la vague de relocalisation. Les habitants se tournent de nouveau vers la pêche.

Pushthrough, T.-N.-L., vers 1900
Pushthrough, T.-N.-L., vers 1900
Pushthrough est un petit village de pêcheurs situé sur la côte méridionale de Terre-Neuve.
Photographe inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 21.07.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Par contre, l'industrie de la pêche se métamorphose sous l'impulsion de la modernisation entamée par le gouvernement. L'industrie de la congélation du poisson supplante progressivement le salage, le monopole des pêcheurs. Ceux-ci travaillent maintenant sur des chalutiers hauturiers et apportent le poisson aux usines de transformation. Après l'entrée dans la Confédération, les secteurs agricole et forestier sont également soumis à une conversion industrielle. Les habitants des régions rurales peinent ensuite à augmenter leur revenu au moyen de l'agriculture et de la coupe du bois.

Devenue une activité permanente et payante, la pêche industrielle relègue aux oubliettes un mode de subsistance qui a longtemps dominé dans les campagnes. Les habitants cessent de cultiver leurs propres légumes, de confectionner leurs propres vêtements et d'effectuer d'autres tâches qui bonifiaient leurs faibles revenus de pêche. D'ailleurs, dans les années 1980, une nouvelle législation gouvernementale vise à empêcher les habitants d'élever des vaches, des poules et autres animaux d'élevage. Malgré le filet de sécurité sociale du gouvernement canadien et un accès facile à des liquidités qui améliorent la qualité de vie de nombreux résidents côtiers, ceux-ci s'appuient de plus en plus sur la pêche pour leur survie.

Le moratoire sur la pêche à la morue

La récolte et la transformation du poisson connaissent de grandes avancées au cours du 20e siècle. Les pêcheurs multiplient leurs prises de poisson de fond dans les eaux côtières et au large. La réglementation gouvernementale sur la protection des stocks de morue ne parvient pas à contrer les capacités industrielles de la pêche. À mesure que le taux de prise grimpe, les stocks de poisson faiblissent, puis s'effondrent dans les années 1990. Le gouvernement fédéral impose alors un moratoire sur la pêche commerciale de la morue en 1992. Il sonne le glas d'un mode de vie vieux de 500 ans.

Les répercussions sont désastreuses pour les villages côtiers de la province. Les usines de transformation du poisson ferment, les bateaux de pêche restent à quai, et 30 000 travailleurs se retrouvent au chômage. Aucun secteur industriel ni aucune entreprise en région ne peuvent embaucher un si grand nombre de chômeurs. Des milliers d'entre eux quittent leur village pour chercher du travail. Entre 1991 et 2001, la population rurale de la province passe de 264 023 à 216 734, soit une baisse de 18 p. 100. À la même époque, la perte démographique des centres urbains de la province se situe à environ 9000 personnes. Quant à la population rurale au Canada, elle diminue de 0,5 p. 100.

Baie Bonne, T.-N.-L., 2006
Baie Bonne, T.-N.-L., 2006
La baie Bonne est située sur la côte ouest de Terre-Neuve et comprend plusieurs villages côtiers.
Photographe inconnu. Avec la permission d‘Image Services, Marketing and Communications, Memorial University of Newfoundland, St. John's. T.-N.-L. © 2008.

En plus d'un taux de chômage élevé, l'exode rural résulte d'autres facteurs contributifs. Par exemple, la dissémination à grande échelle des produits de consommation et de divertissement nord-américains après l'union avec le Canada mène au changement des valeurs et des attitudes dans les collectivités rurales. Les jeunes gens comparent leur mode de vie à ceux des protagonistes des émissions de télévision américaines ou à celui exposé dans les magazines et les journaux. Certains constatent l'impossibilité de leur collectivité à leur procurer une gamme complète de services et à leur offrir toutes les possibilités voulues, contrairement aux villes. Ils plient bagage et se dirigent vers les agglomérations urbaines. Les jeunes familles partent également s'installer en centre urbain pour bénéficier de meilleurs services de santé et d'éducation, et bien d'autres commodités.

À l'éternel problème de l'exode rural, qui concerne particulièrement les jeunes gens et les couples avec de jeunes enfants, se greffe la baisse du taux de natalité, observée aussi ailleurs au Canada. La croissance démographique naturelle compensait autrefois les départs, mais ce n'est plus le cas. Les parents préfèrent un nombre moins élevé d'enfants. Bien sûr, des personnes de l'extérieur choisissent de vivre dans des collectivités rurales, mais leur nombre ne contrebalance pas l'exode rural. Le faible taux de natalité et d'immigration en région rurale ainsi que la propension des jeunes à migrer laissent derrière des résidents vieillissants et de moins en moins nombreux.

L'avenir des régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador est problématique. Le moratoire est toujours en vigueur. Nul ne sait à quel moment, ou même, si les stocks de morue se rétabliront. L'expansion de l'industrie des mollusques et des crustacés fournit un certain nombre d'emplois aux travailleurs déplacés. Les secteurs du tourisme et des petites et moyennes entreprises génèrent des emplois dans d'autres secteurs d'activité. Pourtant, aucune mesure n'arrive à refréner le nombre de personnes quittant leurs petites collectivités pour St. John's, l'Alberta, ou ailleurs. Rien non plus ne permet d'assurer la subsistance des résidents ruraux comme la pêche y est parvenue pendant des siècles.

English version

Relocalisation (en anglais seulement)