L'Église morave

L'histoire de l'Église morave remonte au 15e siècle en Europe centrale, là où se trouve aujourd'hui la République tchèque. Elle était connue originellement sous le nom de Unitas Fratrum (Unité des frères). Cette église épiscopale protestante a subi de graves persécutions au 17e siècle, mais, dans les années 1720, sous la protection du comte Nikolaus Ludwig von Zinzendorf, un certain nombre de familles fidèles aux traditions d'origine de cette église ont pu trouver refuge en Saxe.

C'est là, dans la ville de Herrnhut, que l'Unitas Fratrum a pu se renouveler et connaître un nouvel essor. Au cours de ce cheminement, la fraternité a fusionné ses pratiques les plus anciennes avec le piétisme luthérien de Zinzendorf. Sous sa gouverne, l'influence morave s'est répandue dans toute l'Europe protestante. Au moment de sa mort, en 1760, on comptait 13 colonies moraves en Allemagne et aux Pays-Bas ainsi que des colonies et des congrégations en Angleterre, en Irlande et dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord.

C'est Zinzendorf qui a fait de cette fraternité renouvelée une Église missionnaire. Grâce à ses relations à la cour du Danemark, les premiers missionnaires moraves (les Frères moraves) ont pu se rendre dans des possessions danoises, à Saint-Thomas (Indes occidentales) en 1732 et au Groenland en 1733. Ses contacts au Danemark ont aussi permis d'organiser des expéditions dans le sud de l'Inde et en Afrique de l'Ouest. Dans les années 1760, les Frères moraves ont commencé à faire du travail missionnaire au Surinam, en Jamaïque, à Antigua et à la Barbade ainsi qu'auprès des peuples autochtones de l'Amérique du Nord.

Un voyage missionnaire au Labrador

En 1751, un groupe de marchands rattachés à la congrégation morave de Londres qui avait des visées à la fois missionnaires et commerciales a décidé d'organiser un voyage sur la côte du Labrador dès l'année suivante. Une maison missionnaire a été construite à Ford's Bight, près de Makkovik, et baptisée Hoffnungsthal (Hopedale). Cette expédition a pris fin de façon tragique quand son chef, Johann Christian Ehrhardt, et six de ses compagnons ont été tués par des Inuit.

Le projet d'établir une mission au Labrador a été repris par un autre missionnaire du Groenland, Jens Haven. Après la fin de la guerre de Sept Ans (1763), les autorités moraves lui ont accordé la permission requise et il s'est rendu à Londres dans le but de trouver un passage vers le Labrador. C'est dans cette ville qu'il a rencontré sir Hugh Palliser, gouverneur de Terre-Neuve. Ce dernier a réalisé que les Frères moraves pourraient s'avérer très utiles en aidant à mettre fin à la guerre endémique opposant les Européens aux Inuit qui faisaient du sud du Labrador et du détroit de Belle Isle des lieux dangereux. Palliser a commandité le séjour de Haven dans cette région en 1764 de même que sa seconde expédition effectuée au Labrador l'année suivante en compagnie de trois de ses compagnons.

Sir Hugh Palliser, avant 1775
Sir Hugh Palliser, avant 1775
Gouverneur de Terre-Neuve de 1764 à 1768, Palliser croyait que les Frères moraves pourraient s'avérer utiles en aidant à mettre fin au conflit opposant les Européens aux Inuit.
Détail d'un portrait attribué à George Dance le Jeune, avant 1775. Œuvre relevant du domaine public via Wikipedia.

En 1769, après des négociations interminables au sujet de l'établissement d'une mission, le gouvernement britannique a finalement accepté d'accorder à l'Unitas Fratrum et à la Society for the Furtherance of the Gospel (SFG), une organisation missionnaire des Frères moraves d'Angleterre, le droit d'occuper et de posséder « au bon plaisir de Sa Majesté » 100 000 acres de terre dans la baie des Esquimaux. Il répondait ainsi à la principale demande des Frères moraves qui souhaitaient avoir le droit de tenir les autres Européens à distance. En 1770, Haven a mené une autre expédition au Labrador dans le but de choisir un site pour établir sa mission. L'année suivante, un groupe missionnaire composé de trois couples mariés et de huit hommes célibataires a fondé la colonie de Nain. Il s'agissait de la première mission chrétienne chez les Inuit sur le territoire qui constitue aujourd'hui le Canada.

La mission de Nain, s.d.
La mission de Nain, s.d.
Lithographie du 19e siècle par un artiste inconnu. En 1771, les Frères moraves ont établi à Nain une colonie qui a fini par devenir permanente et qui est devenue le siège opérationnel de la société des Moraves au Labrador.
Avec la permission du Dr Hans Rollmann. Division des archives et collections spéciales (Coll. Siegfried Hettasch), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les Frères moraves n'ont pas tardé à établir deux autres missions – Okak en 1776 et Arvertok en 1782 (nommée Hopedale elle aussi). Chaque mission était constituée d'une maison d'habitation communautaire, d'une église, d'un magasin (géré par la SFG et dont les profits couvraient une partie des coûts de la mission) et de quelques bâtiments. Les missionnaires entretenaient des potagers et il y avait aussi un cimetière. Les Inuit qui décidaient de vivre près d'une mission construisaient des huttes de terre à proximité. La plupart des convertis venaient dans les missions entre Noël et Pâques seulement.

Le peuplement morave d'Okak, s.d.
Le peuplement morave d'Okak, s.d.
Okak a été établi en 1776. Cette photographie a été prise avant 1919.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. - 137, 22.03.001), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Une percée dans le 19e siècle

Les premières années de la mission se sont avérées difficiles et le travail de conversion a été à la fois long et décourageant. Une percée a toutefois eu lieu au début du 19e siècle et, en 1818, quelque 600 Inuit étaient rattachés aux trois missions. La mission a grossi au cours du siècle suivant alors que les Frères moraves ont établi Hebron en 1830, Zoar (1865), Ramah (1871), Makkovik (1896) et Killinek (1905). La mission desservait autant la population de colons en pleine expansion sur la côte septentrionale du Labrador que les Inuit. Ses activités commerciales faisaient face à une concurrence accrue de la part de la Compagnie de la baie d'Hudson.

Mission morave de Ramah, vers 1900
Mission morave de Ramah, vers 1900
Avec la permission de la Division des Archives et collections spéciales (Coll. - 69, 7.24), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Au cours du 19e siècle, de 30 à 40 missionnaires étaient présents sur la côte à tout moment et la plupart étaient des Allemands. Ils ont tous appris l'inuktitut, la langue utilisée à l'église et à l'école, et ils restaient habituellement au Labrador pendant de longues périodes. Leurs enfants étaient renvoyés en Europe pour faire leurs études. La visite annuelle du navire de la SFG (le Harmony la plupart du temps) constituait le principal lien des Frères moraves avec le monde extérieur.

La modernisation

Les changements significatifs qui ont marqué le 20e siècle ont forcé la mission à se moderniser et à changer ses façons de faire. À compter de 1909, l'Église morave a décidé de réduire ses dépenses, une initiative qui s'est avérée encore plus nécessaire à cause des répercussions de la Première Guerre mondiale. Les missions de Zoar et de Ramah avaient été fermées respectivement en 1889 et en 1908. Celle d'Okak a suivi en 1919, sa population ayant été dévastée par l'épidémie de la grippe espagnole. La mission de Killinek, située en territoire canadien et beaucoup trop éloignée, a fermé en 1925. Les activités commerciales ont été transférées à la Compagnie de la baie d'Hudson en 1926, une décision qui a mis fin aux voyages annuels du Harmony. Le nombre de missionnaires a diminué, mais il y avait de plus en plus de Frères moraves d'origine anglaise, l'Église morave britannique ayant hérité de la responsabilité du Labrador après la guerre.

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, un grand nombre de gens ayant quitté la côte septentrionale pour aller s'établir dans la région du lac Melville, les congrégations moraves ont établi des missions en temps opportun à Happy Valley et à North West River. Les quartiers généraux opérationnels de la mission ont quitté Nain pour aller s'installer à Happy Valley, un signe évident de l'ordre nouveau qui commençait à régner au Labrador. Le gouvernement provincial a pris le contrôle des écoles moraves tandis que l'International Grenfell Association a assumé la pleine responsabilité des services médicaux le long de la côte. Même avant la Confédération, le gouvernement de Terre-Neuve avait été forcé de prendre le contrôle des opérations commerciales. Dans un geste hautement controversé, la mission de Hebron a fermé en 1959 et sa population est allée s'installer dans les autres colonies.

La mission de Hebron, en 1961
La mission de Hebron, en 1961
Les immeubles de la mission déserte de Hebron. La collectivité a été abandonnée en 1959.
Avec la permission du Dr James Hiller, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L., © 1961.

Des congrégations moraves existent toujours dans les collectivités inuit du Labrador. Des bâtiments moraves typiques, comme ceux qui étaient construits autrefois dans toutes les missions, subsistent à Hopedale et à Hebron et sont entretenus par Parcs Canada.

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